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SCIENCE

Afrique: la révolution par le téléphone portable


Alwihda Info | Par - 29 Novembre 2012


Quand on habite dans un bidonville d'une grande capitale africaine, par exemple à Kinshasa, passer un coup de fil à quelqu'un que l'on doit impérieusement rencontrer mais qui se trouve à l'autre bout d'une agglomération s'étendant sur 80km constitue un gain de temps et d'argent net


AFRIQUE - L'Afrique de demain se construit certes au travers de grands orientations économico-politiques (alternances démocratiques dans de plus en plus de pays, dynamisme de la croissance), mais elle passe également par des mutations quasi-imperceptibles des sociétés africaines. A ce titre, l'engouement du continent pour la téléphonie mobile témoigne d'une véritable révolution et d'une volonté manifeste de la part des Africains d'être "connectés".
Le téléphone portable a révolutionné le quotidien en Afrique. Depuis le tournant du millénaire, en l'espace d'une génération, le nombre de "petits porteurs" de la communication mobile est passé de 20 millions à près de 600 millions sur un continent qui compte aujourd'hui trente fois plus de portables que de lignes fixes. Ce grand bond en avant est doublement surprenant: d'abord, pour une fois, la technologie a réellement permis de "sauter les étapes"; ensuite, la population la plus pauvre du monde a investi en priorité dans la communication. Il y a là, peut-être, des leçons à retenir.
Pourquoi, du moment où leur survie est assurée, des gens démunis dépensent-ils leur argent pour communiquer?
Cela ne va pas de soi.
A priori, on suppose qu'ils chercheraient plutôt à se soigner, à mieux se loger ou à se former davantage pour monter dans l'échelle sociale grâce à l'anabolisant qu'est l'éducation. Or, en réalité, le portable a supplanté des urgences qu'on croirait plus vitales que le besoin de téléphoner. Autant dire que les priorités des nécessiteux ne sont pas si évidentes. Il faut faire un effort pour comprendre que, pour eux, le rendement d'un dollar investi dans la communication est supérieur à celui d'un dollar investi dans la santé ou dans l'éducation. Rappelons que cette somme, assez dérisoire pour nous autres, représente pour beaucoup d'Africains un jour de leur vie, un tour du cadran en dépenses.
La pauvreté est concrète
Quand on habite dans un bidonville d'une grande capitale africaine, par exemple à Kinshasa, passer un coup de fil à quelqu'un que l'on doit impérieusement rencontrer mais qui se trouve à l'autre bout d'une agglomération s'étendant sur 80km constitue un gain de temps et d'argent net -surtout si l'autre, habitué au manque de moyens, ne décroche pas puis rappelle pour signaler qu'il est bien chez lui et que son interlocuteur ne gaspillera pas sa journée et ses sous dans le gymkhana des transports en commun. De la même manière, si le portable permet de transférer de l'argent à un parent au village, nul ne se plaindra du fait que le virement bancaire devient "simple comme un coup de fil" alors qu'il serait souvent difficile de faire parvenir une lettre.
On pourrait multiplier les exemples
L'appel au secours n'a pas de prix et, au bout du portable, le contrôle "en direct" des opérations de vote fait plus pour la démocratie en Afrique que toutes les urnes transparentes envoyées depuis l'étranger.
Cependant, il y a une autre leçon à retenir du quotidien du plus grand nombre.
De toutes les entraves au développement, la plus incapacitante est le manque d'énergie. Or, au sud du Sahara, rien n'est plus solidairement partagé que les délestages et autres coupures d'électricité: du Sénégal à l'Afrique du Sud, en passant (presque) partout, les machines s'étranglent, les lumières s'évanouissent, les réfrigérateurs s'ébrouent et les ventilateurs battent de l'aile à toute heure du jour et de la nuit. Au point où l'Afrique "noire" semble désigner un subcontinent débranché.
Dans les pays anglophones, les jeux de mot ne se comptent plus sur le power -à la fois l'électricité et le pouvoir- qui, décidément, échappe au peuple.
Ne serait-il pas temps de reconnaître que les gens se trompent rarement sur leurs besoins les plus élémentaires?
Je sais bien qu'il est mal vu de se moquer de la charité, qui commence souvent par l'hôpital et l'école. Mais en dépensant leur propre argent, qui est pour le moins compté, les plus démunis nous révèlent d'autres priorités. Pour eux, l'énergie et les voies de communication -la route, le chemin de fer, les bateaux, l'avion, le téléphone et, de plus en plus, internet- sont leurs atouts les plus précieux.
Les Africains veulent que leur pays "tourne" et qu'ils puissent se joindre facilement et joindre l'extérieur quel qu'il soit, de la ville la plus proche à l'étranger le plus lointain en passant par la capitale. Bref, ils veulent être "branchés", sans snobisme aucun.
Qui pourrait leur donner tort?
Le monde étant ce qu'il est, à savoir grand et ouvert, investir dans l'éducation en Afrique revient, en cas de succès, à fournir de la main d'œuvre qualifiée aux pays les plus riches, là où il fait bon vivre. La "fuite des cerveaux" est une réalité.
Regardons autour de nous: les Africains les mieux formés sont nos voisins, toujours prompts à nous rappeler que leurs "frères au pays" souffrent faute d'école et de soins de santé.
Ce n'est pas ce que disent les intéressés eux-mêmes. Ceux qui restent savent bien que le savoir pour s'en sortir ne s'apprend pas sur les bancs d'école -à moins que "s'en sortir" veuille dire: partir en Occident. Ils savent aussi qu'à l'hôpital on répare seulement ce que l'on ferait mieux de ne pas casser dans un premier temps, à savoir les petites gens comme eux. Pour cela, il faut que le pays tourne et qu'eux-mêmes, leurs produits et l'information circulent.
J'entends déjà les cris d'orfraie
Mais non, je ne suis pas un mitrailleur d'ambulance! Je colle seulement l'oreille au sol et cherche à apprendre des erreurs du passé. Pendant longtemps, se croyant plus malins que tout le monde, les "développeurs" ont fait l'éloge du village africain -idéalisé- alors que les villes du continent ne cessaient de gonfler.
Aujourd'hui, l'urbanisation de l'Afrique est un fait accompli mais mal vécu dans des infrastructures inadéquates. N'aurait-il pas mieux valu faire confiance aux intéressés, qui savaient bien pourquoi ils s'accrochaient, coûte que coûte, même aux mégapoles telles que Lagos, Kinshasa ou Johannesburg?
Aussi ténue qu'elle soit, la chance d'être "dans le coup" en ville est préférable à la certitude de rester coller à la glèbe. De la même façon, à présent, il faudrait se rendre à l'évidence que l'avenir de l'Afrique ne se joue ni dans les salles de classe ni dans les salles d'attente.
Bien-sûr, l'école et l'hôpital sont indispensables. Mais l'Afrique passe sa vie au portable.
 
Jean-Yves Ollivier
 
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