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ACTUALITES

Algérie: Inquiétude pour le jour d’après l’élection


- 17 Avril 2014


À Batna dans les Aurès, les habitants sont nombreux à penser que les jeux sont faits et que le président Bouteflika, bien que trop malade pour faire campagne, remportera l’élection présidentielle de jeudi 17 avril pour effectuer un quatrième mandat.


Abderrahmane Farès - Au pouvoir du 3 juillet au 25 septembre 1962. Après l’adoption des accords d’Evian, Abderrahmane Farès (au centre) devient président de l'exécutif provisoire. Cet organe, composé de délégués européens, de membres du FLN et de nationalistes, doit préparer le référendum d'autodétermination et assurer la gestion administrative de l’Algérie jusqu'à l'élection d'une assemblée constituante. Abderrahmane Farès est décédé le 13 mai 1991.
STF/AFP
 
AVEC CET ARTICLE
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La capitale des Aurès livre deux des six candidats à l’élection, dont le principal rival du président, Ali Benflis. Ses supporteurs, nombreux, veulent croire à un scrutin transparent qui le consacrerait.
 
Batna est en grande confusion. La capitale des Aurès, à 435 kilomètres au sud-est d’Alger, tangue entre apocalypse annoncée et non-événement.
 
L’Algérie, cette période d’élection présidentielle, est-elle au bord de l’abîme ? Le pays va-t-il se réveiller avec un président Abdelaziz Bouteflika élu pour la quatrième fois sans que cela ne provoque le séisme annoncé ?
 
Depuis des semaines, le pouvoir peaufine sa rhétorique « la stabilité ou le chaos » et actionne les leviers de la peur au cas où les Algériens ne feraient pas le bon choix de la continuité, si d’aventure ils pouvaient bénéficier d’un scrutin libre et transparent. « Il fait passer en boucle les images les plus violentes de Syrie, d’Égypte, de Libye et de Tunisie sur les TV nationales pour montrer l’enfer qui attend les Algériens », souligne Nabil, universitaire (1).
 
LA « RUE DE L’EURO »
Le site « Tout sur l’Algérie » rapporte ainsi que les retraits de liquidités dans les banques sont trois fois supérieurs à la normale depuis des semaines. Puis le lendemain, le délégué général de l’association des banques et établissements financiers dément dans une déclaration à l’agence Algérie Presse Service l’existence de retraits massifs. Où est la vérité ? Le mal est fait, le doute est instillé.
 
Hamana, enseignant, a beau savoir que « le pouvoir attise les tensions et veut nous faire peur », il s’est, par sécurité, rendu mardi à sa banque. « Le banquier a dit qu’il n’avait plus d’argent », témoigne-t-il. Quant au vendeur de semoule voisin, il était encore médusé d’avoir vendu deux semi-remorques de semoule en 45 minutes. « Les gens veulent avoir leur galette », commente-t-il.
 
Il se crée ainsi un réflexe de bas de laine et de garde-manger avant le déclenchement de supposées hostilités. Et dans « la rue de l’euro », la rue du marché noir en plein centre-ville, la monnaie européenne a augmenté de huit dinars pour atteindre 155 dinars, soit 42 % plus cher que le cours officiel.
 
HOMME SANS TÊTE
Dans le camp d’Ali Benflis, le fils de Batna et ancien proche d’Abdelaziz Bouteflika qui s’est érigé en chef de l’opposition, on estime que « le peuple a déjà voté Benflis président », comme l’affirme un club d’hommes d’affaires batnéen qui soutient officieusement le candidat.
 
Les murs de la ville étayent ces propos. Ils sont recouverts des affiches des deux rivaux, le benjamin des candidats, Abdelaziz Belaid, également Batnéen, s’offrant une modeste troisième place.
 
Sauf que le président Bouteflika est un homme sans tête, son visage ayant été presque systématiquement badigeonné de peinture blanche pour dire non au quatrième mandat, stop au « système » selon l’expression désignant le pouvoir opaque englobant l’armée, les services de renseignement et la présidence.
 
VOLONTÉ POPULAIRE
Or Batna joue un rôle particulier. Chaque président vient chercher sa légitimité historique dans la capitale de la guerre de libération, d’où est partie la première balle le 1er novembre 1954.
 
Au QG du candidat Benflis, le directeur de campagne Abdelkader Sallat « n’envisage même pas l’hypothèse d’un deuxième tour » et affirme disposer d’une arme anti-fraude avec ses scrutateurs qui seront présents dans quasiment tous les bureaux de vote.
 
 « Si on ne respecte pas la volonté populaire que va-t-il se passer ? Le système qui a spolié le peuple peut-il donner le pouvoir au peuple ? », interroge un membre d’un club d’hommes d’affaires.
 
FRAUDE MASSIVE
Ces dirigeants soucieux d’anonymat distillent même les scénarios les plus sombres tels un arrêt du processus électoral et une intervention de l’armée. Et entretiennent le sentiment d’insécurité. La forte présence policière en tenue et en civil dans la ville ajoute au climat de tension.
 
 « L’Algérie n’a jamais accordé le droit de vote. La fraude a toujours été massive. Voter c’est cautionner le système. » Rahmoune, enseignant, n’a jamais voté. Il n’est pas question qu’il vote ce jeudi. « L’élection est une pièce qui se joue à huis clos », justifie-t-il.
 
 « La fraude ne se limite pas aux urnes. Elle a commencé il y a un an, avec le premier ministre qui a fait la tournée des 48 wilayas [régions] pour distribuer sa manne », estime Lounes Gribissa, chef du bureau du quotidien El Watan à Batna.
 
PAS D’AFFRONTEMENT
Beaucoup voudraient que ça change. « Mais on a peur que ça dégénère », reconnaît un psychologue. Le souvenir de la guerre civile des années 1990 est toujours présent. « Les Algériens ne sont pas prêts à aller à l’affrontement, ni même à revendiquer quoi que ce soit », affirme Tahar Bezeroual, directeur du département littérature de l’université. « Les étudiants sont indifférents, les derniers à se mobiliser », ajoute-t-il.
 
 « Les gens n’ont pas l’audace de manifester », déplore Said Berkane, l’artiste de la bande de « Mbzayed », le mouvement « ça suffit » de la région des Aurès, « qui évoque le mépris, le ras-le-bol, contre le quatrième mandat du candidat de la honte », poursuit Said Berkane.
 
Ils sont tout juste une poignée à briser le tabou en brandissant des pancartes de contestation sur la place du théâtre, depuis deux semaines, depuis les propos insultants qu’a tenu l’ex-premier ministre et directeur de campagne du président, Abdelmalek Sellal, à l’encontre des Chaouis (Berbères de la région).
 
« EN ALGÉRIE, TOUT EST RÉCUPÉRÉ »
Samedi dernier, au même moment, mais sur une autre place, Barakat, le « ça suffit » national et son égérie Amira Bouraoui mobilisait jusqu’à 200 personnes. Ces mouvements restent embryonnaires et éclatés, les uns pour le vote Benflis, les autres pour le boycott.
 
Certains veulent toutefois y voir les premières étincelles du réveil d’une société civile laminée. Mardi c’était au tour d’un trentaine de membres du parti d’opposition RCD de manifester pour le boycott, encerclés par une nuée de policiers.
 
 « Qui contrôle ces mouvements ? En Algérie, tout est récupéré », estime Sami, étudiant qui préfère rester à l’écart du vote et de la politique comme la trentaine d’étudiants et d’étudiantes sollicités sur le sujet. Personne ne sait à qui se fier tant l’art de la manipulation et de l’infiltration a été développé en Algérie.
 
 « L’état d’urgence, l’interdiction de manifester, de se réunir, a profité au système. De nombreuses associations ont servi à embrigader la société. Batna n’est pas sortie du parti unique, déplore Lounes Gribissa. C’est toujours la loi de l’omertà. On vit comme dans une famille dans laquelle il y a eu un inceste. Tout le monde se tait. » 
 
SOUTIENS À BATNA
Et si les insultes d’Abdelmalek Sellal en ont fait changer plus d’un de camp, le président Bouteflika garde des soutiens à Batna et dans les villages des Aurès encore bien souvent sous la coupe du FLN.
 
En dépit des fortes séquelles de son accident vasculaire cérébral d’avril 2013 qui l’a empêché de faire campagne, le président n’est-il pas « l’homme de la réconciliation nationale après la décennie noire » et « le garant de la stabilité », comme le défend ardemment Zéroual, villageois de 60 ans qui juge bon de préciser : « Il a sa tête qui fonctionne et il est entouré d’hommes solides. » 
 
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 UN QUATRIEME MANDAT 
 
 1963-1979 : Abdelaziz Bouteflika est l’inamovible ministre des affaires étrangères de la République algérienne démocratique et populaire, sous la présidence d’Ahmed Ben Bella puis de Houari Boumediene.
 
 1999 : Élu au premier tour de l’élection avec 74 % des suffrages, il devient le cinquième président de la République algérienne. Ses six adversaires avaient retiré leurs candidatures la veille du scrutin.
 
Son référendum sur la concorde civile, proposé dans la foulée de l’élection, obtient 98 % des suffrages.
 
 2004 : Il est réélu, toujours au premier tour, avec près de 85 % des voix.
 
 2008 : L’article 74 de la constitution de 1996 qui limitait à deux le nombre de mandats présidentiels de cinq ans est modifié pour permettre un nombre illimité de mandats
 
 2009 : Le président Bouteflika est réélu une troisième fois avec 90 % des suffrages.
 
 2014 : six candidats, dont Abdelaziz Bouteflika, briguent la présidence pour le scrutin du 17 avril.
 
Reportage : MARIE VERDIER (à Batna, Algérie) / Iconographie : Sylvie Dannay et Audrey Dufour
  « Le clan présidentiel pratique une politique de la terre brûlée »
La Croix
 



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