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AFRIQUE

Chronique : Du courage et de la volonté politique pour la rupture


Alwihda Info | Par Dié Maty Fall - 11 Août 2014



Voici ce qu’on pouvait lire sur la page Facebook de l’ambassade des Etats-Unis au Sénégal le mercredi 30 juillet dernier, dans la bouche du Président Obama.
 
"Sans un système basé sur l'État de droit, le respect des droits civils et des droits de l'homme, sans moyen crédible et légitime pour les citoyens d'exprimer leurs aspirations à travers le processus politique, sans respect de la liberté d'expression et de la liberté de réunion, sans lois garantissant l'égalité pour tous devant la justice, sans un système économique transparent et débarrassé de la corruption, il est très rare qu'un pays puisse réussir. J'irai même plus loin: ce pays ne réussira pas sur le long terme".(Barack Obama).
 
Quelques heures après la publication de ce statut, il y avait déjà quarante mentions j’aime (like dans le jargon du réseau), de multiples commentaires approbateurs et des partages, signes de la viralité(impact) de l’opinion du leader américain et de l’adhésion des membres du réseau social aux 1 milliard d’abonnés. Le poste diplomatique américain au Sénégal compte 41794  mentions j’aime (like).
 
A titre de comparaison,  sur la page Facebook officielle de la présidence de la République du Sénégal, on trouve 1167 mentions like (j’aime) et 9 personnes qui en parlent, la dernière information date du 18 juillet 2013, une éternité sur Internet !  Voici ce qu’elle dit : « Le Conseil des Ministres s’est réuni le jeudi 18 juillet 2013 au palais de la République, sous la présidence du Chef de l’Etat, Son Excellence Monsieur Macky SALL. » Aucune envie d’aller plus loin, aucune attractivité, aucun teasing. C’est l’âge de Cro-Magnon de l’information. Ce n’est pas votre avis ?
Sur la page Facebook nomméeMaky SALL, personnalité politique, on trouve en revanche 57 766 mentions j’aime (like) et il y est dit que c’est la page officielle du président de la République. La dernière information date du 25 juillet 2014et le Président y déclare ceci :« hier, j'ai récompensé les meilleurs élèves dans le cadre du concours général ». Rien de bien folichon par rapport au statut de Barack Obama cité supra, mais l’honneur est quasi sauf. Car la cérémonie du Concours Général étant un marronnier (une info qui revient tous les ans), la véritable information était que le chef de l’Etat avait offert une bourse de très grande valeur financière au meilleur d’entres les élèves récompensés pour étudier à la prestigieuse université Harvard pendant quatre ans sans se soucier de rien d’autre que de réussir.
 
Ces trois exemples ont été choisis pour illustrer que, dans le fond comme dans la forme, le changement, la rupture, l’innovation, la créativité, l’audace et le progrès se font toujours attendre dans notre cher pays et même après avoir voté pour un candidat de rupture.Avons-nous aujourd’hui un système basé sur l'État de droit ?  Respectons-nous les droits civils et les droits de l'homme ? Mettons-nous à disposition un moyen crédible et légitime pour les citoyens d'exprimer leurs aspirations à travers le processus politique ? Respectons-nous la liberté d'expression et la liberté de réunion ?  Nos  lois garantissent-elles l'égalité pour tous devant la justice ?Notre système économique est-il transparent et débarrassé de la corruption ?
 
Obama pertinent
 
Nous utilisons à dessein ce questionnement du président Obama parce qu’il nous parle et nous paraît juste et fondé. Entendons-nous bien, le président américain ne saurait  être le gourou du président Macky Sall ni le mentor de la nation sénégalaise. Mais ses propos nous paraissent pertinents et il n’y a aucune honte à les reprendre à notre compte et pour notre compte. Pas de complexe à se faire d’autant plus que lorsque la nation sénégalaise refuse de dépénaliser l’homosexualité, parce que son opinion  n’est pas mûre pour le faire à cette étape de son parcours historique, le président Macky Sall, dépositaire de notre commun vouloir de vie commune, n’hésite pas  — et n’a pas hésité pas lors du Sommet USA-Afrique  tenu cette semaine à Washington - à réitérer notre refus ponctuel.
 
Avons-nous aujourd’hui un système basé sur l'État de droit ? Oui théoriquement, institutionnellement et dans les textes.Respectons-nous les droits civils et les droits de l'homme ? Oui, tout aussi théoriquement et dans les faits, exceptés des bavures et des abus non systématiques.
 
Mettons-nous à disposition un moyen crédible et légitime pour les citoyens d'exprimer leurs aspirations à travers le processus politique ? Assurément non, le processus politique sénégalais est très consensuel, présente une jolie vitrine mais est fissuré de partout en raison d’un manque de réforme de ses institutions qui sont devenues obsolètes. Le chef de l’Etat, dans sa sagesse peut-être pas infinie, a bien commandé à la dream team des Assisses Nationales drivée par le duo Professeur Amadou MactarMbow- ancien Premier Ministre Loum une réforme institutionnelle bien léchée sous le couvert de la Commission Nationale de Réforme des Institutions (CNRI). Plus d’un an après la remise du rapport et des recommandations des cracks de la CNRI, rien sinon un enterrement de première classe au cimetière des bonnes intentions et du manque de courage politique.
 
Respectons-nous la liberté d'expression et la liberté de réunion ? Oui, trois fois oui. S’il y a bien une liberté dont nous jouissons au Sénégal, foi de journaliste, c’est l’intégralité de cette liberté de penser, de s’exprimer, de dénoncer, de critiquer, de se réunir sans autre conséquence qu’une invitation de temps en temps à la Direction des Investigations Criminelles (DIC), tellement manipulée à outrance par le régime de Wade que c’en est devenu un insigne de journaliste-martyre dont la nation est redevable. Merci Père Wade !
 
Nos  lois garantissent-elles l'égalité pour tous devant la justice ? Non, trois fois non. Car ici, selon que vous serez puissant et craint, la justice ne sera pas la même. Les voleurs de pommes passent sous les fourches caudines pour servir d’exemple aux prolétaires, tandis que les voleurs en col blanc, mués depuis 2000 en pilleurs de biens et en prédateurs de richesses nationales publiques, échappent aux rigueurs des fers et du cachot. La justice — et les hommes et femmes qui la rendent  — est manipulée par les pouvoirs exécutif, économique et religieux, et n’est pas équilibrée. Mais lorsque la justice est laissée libre par le pouvoir exécutif, elle s’exerce de manière sereine et égalitaire.Cela a été le cas depuis le 12 avril 2012 lorsque les Sénégalais ont mis le président Wade à la retraite à laquelle il avait droit et soumis à la questeson dauphin dynastique, surnommé ministre du Ciel et de la Terre par le peuple, pour rendre des comptes sur sa gestion des deniers de l’Etat.
 
Volonté et courage politique défaillants
 
Notre système économique est-il transparent et débarrassé de la corruption ? Non, hélas. Pour la bonne gouvernance et la transparence dans les faits, il faudra continuer les efforts et consolider l’ancrage des organismes officiels de contrôle, de surveillance, de vérification, d’inspection, de veille, d’évaluation et d’expertise dont notre pays regorge, renforcer leur capacités et leurs pouvoirs :Cour des comptes, Commission des Finances de l’Assemblée Nationale,  Direction Générale de la Comptabilité Publique et du Trésor, Direction Générale des Finances, Direction de Contrôle Interne, Inspection Générale des finances, Inspection Générale d’Etat, ARMP, Centif, Giaba, Ofnac.
 
Au Sénégal, en la matière, tout existe ou presque : il ne manque que la volonté et le courage politique. Volonté et courage de défaire les lobbies, les féodalités, les monopoles, les ententes tacites, les situations de rente, de faire appliquer les textes et les lois sans discrimination. Selon une étude sur l’évaluation de la corruption au Sénégal du 28 août 2007, commandée par l’agence américaine USAID et menée par une équipe pluridisciplinaire intitulée «L’absence de volontarisme des intellectuels » etdirigée par le Professeur Abdou Salam Fall de l’IFAN, sociologue, et à laquelle j’ai participé, des secteurs-clés comme la Santé, l’Education, l’administration locale, la gestion des ressources naturelles, le privé,  des institutions de la mouvance civile et politique, les institutions dans les fonctions transversales de gouvernement (finances et marchés publics, transparence budgétaire, transparence dans la passation des marchés publics),la Justice, ces secteurs sont les plus affectés par la corruption.
 
Qu’attend le Président Macky Sall pour susciter le changement, en adoptant les instruments institutionnels que lui a proposés la CNRI ?Rien, sinon trouver des boucs émissaires ailleurs que dans la sphère politique.Les Sénégalais, répond-ille 24 juillet dernier devant l’Amicale des Anciens Enfants de Troupe (AAET), ne sont «pas toujours prêts au changement »alors que paradoxalement, ajoute-t-il, « ils aiment bien donner des indications sur l’éthique ».Il charge donc « les élites intellectuelles » d’assumer la « rupture » et de« servir de relais pour construire un Sénégal meilleur », regrettant  leur manque de volontarisme à prendre en charge les problèmes de l’heure, qui constituent un frein au progrès et à l’émergence.
 
En attendant d’y revenir la semaine prochaine, le président de la République est invité à balayer d’abord devant le portail de l’avenue Léopold Sédar Senghor, et à écouter attentivement, comme nous autres citoyens, ce que M. François Collin, haut fonctionnaire sénégalais émérite et indispensable à la réussite à long terme de la nation sénégalaise comme beaucoup d’autres, Vérificateur Général du Sénégal es-qualité, a listé,à l'occasion de la cérémonie de présentation du rapport public sur l'Etat de la gouvernance et la Reddition des Comptes 2014, comme principales causes de la mauvaise gouvernance administrative, économique et financière. Des maux dont le patron de l’IGE a donné,Dieu merci, les remèdes pour en finir, à très court et moyen termes, avec les manquements constatés à l’infini.
 
Dié Maty Fall
 Article paru dans « Le Témoin N° 1175 » –Hebdomadaire Sénégalais ( AOUT 2014)



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