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AFRIQUE

Guerre de la farine au Sénégal


- 12 Avril 2014


Les Grands Moulins de Dakar lancent les premières banderilles contre Sedima pour la déstabiliser


Photo : © Jacques Torregano
Photo : © Jacques Torregano
Ça va être saignant. Mortel. Le sol risque d’être jonché de cadavres. Si l’on n’y prend garde, si des casques bleus onusiens ne s’interposent pas, la guerre de la farine — car c’est de ça qu’il s’agit (nos confrères de « Libération » l’avaient annoncée et ils ont raison) — cette guerre de la farine qui vient d’être déclarée dans notre pays risque de prendre des proportions en comparaison desquelles la belligérance entre « ex-Sélékas » et « anti-Balakas » en Centrafrique ressemblerait à une partie de plaisir, un gentil pique-nique de scouts. L’apparition sur le marché d’un cinquième meunier, la Sédima en l’occurrence jusqu’ici leader national de la filière avicole, a eu l’effet de provoquer une sortie des couteaux. En effet, alors que l’implantation de la NMA (Nouvelle Minoterie africaine) du magnat Ameth Amar et de la société turque FKS s’était plutôt passée sans heurts, les GMD (Grands Moulins de Dakar) appartenant au groupe Mimran et leaders sur le marché faisant contre mauvaise fortune et s’accommodant plutôt de l’arrivée de nouveaux concurrents — après les Moulins Sentenac, historiquement le deuxième meunier de la place —, cette fois-ci, ils ont décidé de réagir. Et de sortir les grands moyens contre… le dernier arrivant, la Sédima en l’occurrence. La minoterie dirigée par M. Emile Elmolem a décoché les premières banderilles. Sous la forme d’une guerre des prix, d’abord. Ainsi, alors que les meuniers dans leur ensemble avaient fait tout un ramdam il y a deux ans pour dire que leur imposer de vendre le sac de farine à moins de 20.000 francs reviendrait à signer leur arrêt de mort et qu’ils ne survivraient pas à une telle baisse etc., eh bien voilà que, pour contrer le nouvel arrivant, les GMD ont décidé de vendre ledit sac à… 19.000 francs. Soit une baisse de 1.000 francs. Ce n’est pas tout puisque si, depuis Mathusalem, les commerçants grossistes travaillant avec la même minoterie percevaient une ristourne de 2,75 % sur leur chiffre d’affaires, eh bien ladite ristourne a été portée miraculeusement à 7 % dans un premier temps puis à 9 % ! Et ce en deux mois à peine. Vous en voulez encore ? En voici ! Les Grands Moulins de Dakar, toujours eux puisque leaders sur le marché et ayant pris la mouche du fait du comportement jugé hostile de la Sedima, ont mis sur le marché une farine prête à l’emploi pour les boulangers, c’est-à-dire à laquelle ces derniers n’ont pas besoin d’ajouter de la levure pour la mettre en pâte. Explication : pour chaque sac de farine les fabricants de pain utilisent une quantité de levure coûtant à peu près 750 francs. S’ils ont la possibilité, sans débourser un franc supplémentaire, d’acheter de la farine préalablement mélangée à de la levure, cela leur fait donc une économie de 750 francs par sac. Ce qui, ajouté aux 1000 francs de baisse et à l’augmentation de la ristourne, situe le prix du sac aux environs de 18.000 francs. Bel exploit pour des gens qui prétendaient ne pas pouvoir vendre en-deçà de 20.000 francs au risque de mettre la clef sous le paillasson !
 
D’après les spécialistes du marché, le but de la minoterie des Mimran, en cassant ainsi les prix, c’est de faire rendre gorge au dernier venu sur le marché, à savoir la Sédima, étant donné que les autres fabricants de farine ont déjà eu le temps d’amortir leurs investissements. Ce qui n’est pas le cas pour M. Babacar Ngom qui a investi quelque six milliards de francs pour lancer sa minoterie « high tech ». Confirmation d’un banquier de la place qui suit de près ces grandes manœuvres dans le secteur de la farine : « La Sédima a intérêt à surveiller ses arrières car, quand les Mimran veulent liquider un concurrent, ils ne lésinent pas sur les moyens ». Et le même interlocuteur de rappeler qu’à Abidjan, où la même famille possède la plus grande minoterie, pour briser un concurrent, ils n’avaient pas hésité il y a de cela quelques années à diviser les prix alors en vigueur par deux ! Bien évidemment, s’ils faisaient la même chose au Sénégal, ce ne sont pas les consommateurs qui s’en plaindraient…
 
L’offensive des Grands Moulins de Dakar se situe également sur le front judiciaire. En effet, accusant la Sédima d’avoir débauché ses collaborateurs, notamment un laborantin et des commerciaux, la première nommée a traîné la seconde devant les tribunaux et lui réclame des dommages et intérêts de… 800 millions de francs. Ça coûte cher du collaborateur ! A ce tarif, on se demande combien seraient condamnés à payer certains groupes de presse dont l’exercice favori consiste à débaucher les meilleurs journalistes et animateurs de la concurrence ! En fait, c’est surtout ce débauchage qui a été considéré comme un casus belli par M. Elmolem.
 
Le marché sénégalais de la farine représente un chiffre d’affaires de quelque 110 milliards de francs par année. Les GMD sont largement leaders avec 60 milliards à peu près. Suivent, à égalité, les Turcs de FKS et la NMA avec 20 milliards chacun. Sentenac ferme la marche avec 10 milliards. Avant l’arrivée de la Sédima, la production journalière des minoteries existantes tournait autour de 2.000 tonnes, alors que la demande n’excède pas 1600 tonnes. Autrement dit, ces minoteries étaient déjà surcapacitaires. Et voilà que la Sédima s’emmène sur le marché avec une capacité théorique de 250 tonnes par jour ! Comme si cela ne suffisait pas, le géant singapourien Olam, qui va mettre ses premiers sacs sur le marché dans quelques jours, s’annonce avec une capacité de 500 tonnes/jour. Olam qui a bénéficié d’un crédit de la Bad d’un montant de 53 milliards de francs pour implanter des minoteries un peu partout sur le continent. Autrement dit, alors que le marché peinait déjà à absorber l’offre journalière de farine (2.000 tonnes/jour), voilà que 750 tonnes de capacités nouvelles sont installées ! Si, par conséquent, malgré cette abondance de l’offre, les prix de la farine, et donc ceux de la baguette de pain, ne baissent pas substantiellement au cours des prochains mois, alors, assurément, ce sera sûr qu’on nous roule dans la farine !
 
Mamadou Oumar NDIAYE
Article paru dans « Le Témoin » N° 1160 –Hebdomadaire Sénégalais (AVRIL 2014)



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