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AFRIQUE

L’homme de refus s’est éteint : Hommage à Aboubacry Kane, dernier Mohican du Fouta


Alwihda Info | Par Mamadou Oumar NDIAYE - 14 Janvier 2014



L’homme de refus s’est éteint : Hommage à Aboubacry Kane, dernier Mohican du Fouta. Crédit photo : Sources
L’homme de refus s’est éteint : Hommage à Aboubacry Kane, dernier Mohican du Fouta. Crédit photo : Sources

Par Mamadou Oumar NDIAYE

C’est un baobab qui s’est effondré, assurément. Et un homme du refus, un brave, un résistant qui a quitté ce bas monde le week-end dernier. Aboubakry Kane, car c’est de lui qu’il s’agit, aura marqué l’histoire du Fouta, assurément. Il fait partie des hommes courageux qui ont implanté le Bloc démocratique sénégalais (BDS), ancêtre du Parti Socialiste (PS) en pays pulaar, particulièrement dans le département de Podor. Car courageux, téméraire même, il fallait l’être pour oser brandir la bannière de cette formation politique alors que l’administration et la chefferie traditionnelle roulaient ouvertement pour la SFIO (Section française de l’Internationale ouvrière). Militer à visage découvert pour le parti de Léopold Sédar Senghor et de Mamadou Dia, c’était assurément s’exposer à bien des risques mais Kane Aboubakry n’en avait cure. Secrétaire général de l’Assemblée territoriale basée à Saint-Louis, c’est à lui qu’avait échu le redoutable honneur de lire la résolution par laquelle le président Mamadou Dia avait transféré la capitale du Sénégal de Ndar à Dakar. Et lorsque les événements de 1962 avaient éclaté, alors que tant de responsables de l’UPS (Union progressiste sénégalaise) mais aussi de l’Etat, retournaient leur veste, lui il avait choisi obstinément de demeurer fidèle à l’ancien président du Conseil, Mamadou Dia. La même fidélité l’a conduit, quarante ans plus tard, à rester au Parti Socialiste lorsque cette formation politique qui exerçait le pouvoir
 
depuis une cinquantaine d’années l’a perdu. Et alors que la vague de transhumance battait son plein à tel point que l’existence même du PS était menacée, il a fait partie des hommes et femmes courageux et dignes, qui avaient choisi de rester pour se battre dans l’opposition aux côtés d’Ousmane Tanor Dieng qui, en capitaine courageux, avait préféré couler avec le navire socialiste plutôt que de rejoindre l’ennemi libéral. Avec d’autres socialistes de la première heure qui avaient blanchi sous le harnais de l’UPS-Ps comme les regrettés Dr Daouda Sow, Serigne Lamine Diop, Abdou Aziz Ndao, Ameth Diène et tant d’autres, ils avaient entrepris d’encadrer la jeune génération socialiste, de la faire bénéficier de leur expérience dans la conduite des affaires de l’Etat, mais aussi de leurs connaissances politiques à travers le Conseil consultatif des Sages du Parti Socialiste. Cette sagesse, ils l’ont aussi plus d’une fois mise au service du règlement de différends au sein de la formation senghorienne où leurs médiations ont souvent permis d’éviter bien des départs ou bien des conflits fratricides. Depuis qu’il était président du conseil d’administration de la défunte Banque Sénégalo-Tunisienne (BST), je savais en quelle haute estime il tenait Ousmane Tanor Dieng, qui venait d’accéder aux fonctions de Premier secrétaire du PS tout en étant le tout-puissant ministre d’Etat, ministre des Services et Affaires présidentiels. Il lui portait un amour paternel et l’enfant de Nguéniène, qui faisait ses premières armes dans la politique, vouait au patriarche de la grande famille Kane du Fouta un attachement filial qui ne s’est jamais rompu.
 
Justement, comme PCA de la BST combien de fois Aboubakry Kane était-il intervenu auprès de Pape Alioune Ndiaye, défunt directeur général de cet établissement
 
bancaire, afin qu’il accorde au directeur de publication du « Témoin » — c’est à direà l’auteur de ces lignes — un découvert pour payer les salaires de ses employés ? Il n’a jamais oublié, en effet, que mon père a été un de ses compagnons au cours des années de braise d’implantation du BDS au Fouta. Il me donnait toujours affectueusement du « mon neveu ». Et lorsque mon regretté père a quitté ce bas monde, Aboubakry Kane était venu jusqu’à Diamaguène pour présenter ses condoléances à la famille. Effondré, il a confié ce jour-là avoir perdu un grand ami, un homme à qui le liaient tant de choses depuis l’époque du BDS.
 
À preuve, cette photo que nous publions ci-contre, elle a été prise en 1961 à Aéré Lao, mon village natal, au cours d’une visite qu’y avait effectuée Mamadou Dia, alors président du Conseil du Gouvernement du Sénégal. Le pays venait alors d’accéder à la souveraineté internationale et de glorieuses perspectives, des lendemains qui chantent, s’offraient à lui. Jusqu’aux événements de 1962, lorsque cet envol a été brisé. On reconnaît derrière le président Dia, en bonnet, Aboubakry Kane. Cette photo a toujours été pieusement accrochée, comme une icône, dans le salon familial jusqu’à la disparition de mes parents. Elle a été exhumée des archives pour illustrer cet hommage…
 
Oui, c’est un monument du Fouta qui vient de disparaître et Le Témoin, par ma voix, présente ses condoléances attristées à la famille du regretté Aboubakry Kane, aux Kane de tout le Fouta ainsi qu’à tous les responsables et militants du Parti Socialiste. Que la terre de Yoff lui soit légère.
 
ARTICLE PARU DANS « LE TEMOIN » N°1148 - HEBDOMADAIRE SENEGALAIS / JANVIER 2014



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