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POINT DE VUE

La démocratie à l’épreuve des islamistes


Alwihda Info | Par - 28 Décembre 2011



L’islamisme gagne en visibilité dans les pays arabes où la révolte des masses a triomphé des dictateurs. En Tunisie, les islamistes sortent victorieux des élections de l’Assemblée constituante. En Egypte, ce sont les frères musulmans et autres salafistes plus radicaux qui raflent 60% des voix. Au Maroc également, ils ont remporté les élections organisées par le roi sous la pression de la rue et sur fond de révolution dans les pays voisins. Sauront-ils trouver le bon équilibre entre les convictions religieuses et les exigences démocratiques exprimées par de larges franges de la société ? Tel est l’enjeu.

Les islamistes qui arrivent en cascade au pouvoir, en Tunisie, au Maroc et en Egypte semblent inquiéter la presse occidentale qui se fait ainsi l’écho des préoccupations de leurs propres dirigeants. Les résultats des élections indiquent clairement qu’il faudra, dans le moyen terme, compter avec l’islam politique et les dirigeants qui l’incarnent. Une belle revanche sur le nationalisme ou le panarabisme qui a dominé la scène arabe depuis les indépendances, notamment en Egypte, en Syrie et en Irak. Traversée par les deux idéologies nationaliste et islamiste, l’histoire du monde arabe aura été depuis la période coloniale le théâtre d’une rivalité parfois violente entre ces deux courants de pensée. Ils ont tous les deux servi de sève nourricière, d’inspiration de référence pour résister à l’occupant colonial et jeter les bases et les fondements d’une société plus juste et plus unie. A l’origine du réveil arabe et de la lutte contre l’occupation, le wahhabisme (mouvement conduit par Abdul Wahhab, un religieux réformiste qui appelait à revivifier les valeurs religieuses face à la déviance et la corruption) et Mouhammed Ibn Seoud, un chef militaire bédouin ont infligé les premières défaites à l’empire ottoman. Les deux hommes fonderont le royaume d’Arabie Saoudite, du nom de d’Ibn Seoud. Ainsi est née la première doctrine islamiste aux commandes d’un Etat.

De l’autre côté de la mer rouge, la doctrine islamiste des Frères musulmans née en Egypte, en 1928, se fixe comme objectif l’instauration d’un Etat islamiste. Ils feront partie du coup d’Etat des officiers libres qui ont mis fin à la royauté en 1952 en déposant le roi Farouk de la dynastie des Mameluk. Jusque là ministre de l’intérieur, Gamal Abdel Nasser, chef incontesté des officiers libres et porte-étendard du nationalisme arabe devient président en 1954 et persécute violemment les Frères musulmans. La tentative d’assassinat de Nasser en 1954 par l’un des membres des Frères musulmans servira de prétexte à cette répression féroce qui ne sera jamais démenti depuis lors. Le parti sera alors interdit, ses membres emprisonnés par milliers, torturés et pendus. Le co-fondateur de la confrérie, Sayid Qotb, sera lui-même exécuté sous le magistère de Nasser, en 1966. Les successeurs de Nasser, Anwar El Sadaat et Hosni Moubarak seront également sans pitié à l’endroit de la confrérie.

Face à la répression tous azimuts, elle se radicalise en faisant appel au jihad. Le recours à la violence sera abandonné en 1972. En Tunisie également les islamistes ont payé le plus lourd tribut de la répression du régime de Ben Ali. Le régime bathiste syrien est le dernier régime nationaliste encore au pouvoir dans le monde arabe. Menacé de disparition de toutes parts par la forte pression de la rue, de l’Occident et de la Ligue arabe, le régime vacille et bascule dans un engrenage de violence qui le rend davantage impopulaire. Mais il faut reconnaitre que le nationalisme était déjà mort ou presque après la première guerre du Golfe, en 1991, après que le régime irakien a été irrémédiablement affaibli avant le coup de grâce de la guerre de 2003. Se définissant comme une alternative à l’islamisme, les nationalistes au pouvoir en Syrie, Egypte et en Irak ont échoué et sombré dans la dictature. Les révolutions qui remettent en selle les islamistes voient peut-être en eux l’alternative crédible aux régimes totalitaires et dictatoriaux, à l’échec de leurs politiques économiques et sociaux au clientélisme ainsi qu’à la patrimonialisation de l’Etat par les familles au pouvoir.

Pas étonnant alors qu’après les révolutions dans ces pays, les islamistes apparaissent, à juste titre, aux yeux des populations comme les opposants historiques et infatigables des régimes despotiques qui ont dirigé d’une main de fer leurs pays respectifs. Cela avec la complicité de l’Occident qui, au nom de la stabilité – qui veut dire littéralement en l’occurrence la sauvegarde de ses intérêts–, a préféré pactiser avec le diable, soi-disant pour circonvenir la menace islamiste. D’où l’inquiétude de la résurgence de l’islam politique telle qu’elle ressort de manière prépondérante dans le traitement éditorial de la presse occidentale. En défenseurs des faibles pendant cette longue période de dictature, les partis islamistes armés de leurs convictions religieuses se sont organisés pour se substituer à un Etat souvent défaillant en fournissant des services sociaux aux couches les plus vulnérables. Pour la petite histoire, le parti islamiste tunisien Al-Nahda était en concurrence à la dernière élection avec des partis inexistants pour la plupart avant la révolution.

A l’épreuve du pouvoir

L’idéologie islamiste est loin d’être homogène et monolithique. Elle présente une interprétation doctrinale variée, tantôt nuancée tantôt radicale et littéraliste. La diversité des courants et même parfois les divisions au sein des formations islamistes sont une réalité. Elles vont certainement tenter d’influencer l’orientation de leurs pays vers des valeurs islamiques mais, ils réaffirment, en même temps, leur ancrage aux valeurs démocratiques et libertés individuelles. En Egypte les salafistes n’ont pas fait mystère de leurs intentions d’islamiser le système bancaire, de censurer certaines œuvres d’art, de restreindre la vente d’alcool, de produire des programmes scolaires pour les filles et les garçons. Mais auparavant les islamistes devront gagner l’épreuve de force qui les oppose aux militaires. En effet, la lutte pour le pouvoir est loin d’être terminée. Les militaires qui ont toujours longtemps contrôlé l’Etat ne font preuve d’aucune volonté de lâcher du lest. N’eussent été les milliers de manifestants islamistes qui sont retournés le 18 novembre dernier à la place Tahrir pour exiger des militaires qu’ils rendent le pouvoir aux civils, les choses n’auraient pas bougé d’un iota. La détermination des manifestants ont eu raison de cette léthargie avec la démission du Premier ministre intérimaire.

Mais il est remplacé par Kamal al-Ganzouri, un cacique de 77 ans du régime de Moubarak. Jusqu’à quel point les militaires accepteront-ils de céder leur pouvoir ? Le philosophe Tariq Ramadan prévient sur son site internet que : « la bataille ne sera pas facile ». Il écrit que « des forces contradictoires - sur le plan national et international - cherchent à gagner du temps ; de puissants intérêts sont en jeu. » Il ajoute : « Au Moyen Orient, les défis sont nombreux, tout comme le sont les intérêts conflictuels. D’authentiques et véritables démocraties en Egypte, en Syrie, au Bahreïn, en Libye, ainsi qu’au Yémen sont loin de devenir une réalité. En fait, la démocratie authentique et véritable est loin d’être l’objectif de nombreuses personnes parmi les protagonistes de la région ». L’aspiration à plus de démocratie, de liberté et de justice sociale ont été pourtant déterminants dans le soulèvement des populations. Ils n’en attendent pas moins des nouveaux élus. L’exigence de liberté, les questions d’économie, d’emploi, de bonne gouvernance et d’intégrité des candidats reviennent dans les propos des électeurs. L’éditeur du journal égyptien Shrouq cité par le journal The Independant dit à propos des attentes : « les Frères musulmans disent qu’ils ne changeront pas la politique fiscale, donc ils sont contre les pauvres. Cela ne va pas équilibrer le budget. L’économie sera déterminante. Je pense qu’ils échoueront ». L’Egypte gagne beaucoup d’argent à partir du tourisme. Les frères musulmans soutiendront-ils le tourisme ? Crédités d’une moralité moins suspecte et du combat historique contre le système, ils ont réussi à cristalliser les espoirs de leurs mandants. Avec d’autres forces politiques en présence, la bataille politique pour influencer les orientations de leurs sociétés respectives sera rude. Les défis restent plus que jamais rebutants si l’on en juge par les immenses attentes exprimés par la rue. Une chose est sûre, rien ne sera plus comme avant. Tariq Ramadan écrit dans ce sens en se référant à la situation égyptienne : « que les forces armées, les pouvoirs occidentaux et asiatiques, ou bien encore les pantins politiques puissent préserver leurs intérêts immédiats n’empêchera pas, au demeurant, les citoyens d’obtenir leurs droits, ainsi que leur dignité. Il s’agit d’une question de temps, et de courage ».
lagazette

Aliou NIANE




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