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ANALYSE

Le Front national, un parti illégal ?


Alwihda Info | Par MEGHERBI et SCHMID - 29 Avril 2017


Le Front national attire des votes et inquiète, en même temps, une partie importante de la population française. Il suscite des craintes dans d’autres pays qui observent l’évolution de la politique française.


Front National; France; Élection présidentielle;

Le Front national attire des votes et inquiète, en même temps, une partie importante de la population française. Il suscite des craintes dans d’autres pays qui observent l’évolution de la politique française.

Un parti diviseur et ayant la préférence nationale comme point programmatique central, serait-il « républicain » ? Justifierait-il son existence dans un système politique démocratique ? La France officielle cautionne-t-elle les dérapages de cette association politique ? Le président de la République française et son gouvernement ont-ils un pouvoir de contrôle des activités illicites des partis politiques qui ne respecte pas le pacte social et les valeurs prévues dans la constitution française ?

Les principaux dirigeants Front national ont, à plusieurs reprises, été impliqués dans des procédures judiciaires pour incitation et provocation à la haine, à la violence et à la discrimination à caractère raciste ; malgré cela, ce parti demeure toujours dans le paysage politique français. Pire encore, il pourrait gouverner la France en 2017. Il est, donc légitime de s’interroger sur la légalité de ce parti dans un pays, comme la France, qui clame son attachement aux libertés fondamentales et aux droits de l’homme.

Les demandes ou les besoins de la population ?

Les partis politiques en France ont le statut d’associations - régies par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association - organisées de façon durable et implantées sur l’ensemble du territoire. Ils ont pour objectif d’exercer le pouvoir ou au moins d’y participer, ou encore de participer à la formation de l’opinion publique en matière politique.
Le pluralisme et la mise en concurrence de différentes formations politiques sont un des fondements de la démocratie et de la liberté d’opinion. Cette exigence est inscrite à l’article 4 de la Constitution de la Cinquième République française, de même que la liberté d’adhérer ou non à un parti.
Les partis politiques « concourent à l’expression du suffrage », selon l’article 4 de la Constitution. Ils participent à l’animation de la vie politique :
• Ils sont les intermédiaires entre le peuple et le pouvoir : ils recensent les demandes ou les besoins de la population et les transforment en programme politique ;
• Ils ont une fonction de direction : ils ont pour ambition d’exercer le pouvoir afin de mettre en œuvre la politique annoncée.
La division de la cohésion de la société nationale
Les dirigeants du Front national ont, à plusieurs fois, fait l’objet de poursuites pénales car leur discours tombait sous le coup des dispositions de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui prévoit les principes suivants. Et notamment de son alinéa 8 qui est formulé ainsi : « Ceux qui, par l’un des moyens énoncés à l’article 23, auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, seront punis d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ou de l’une de ces deux peines seulement. »

A titre d’exemple, la Cour d’appel de Paris a prononcé, le 24 février 2005, Jean-Marie Le Pen – alors président du Front national – à une amende de 10.000 euros, pour avoir déclaré dans les colonnes du journal « Le Monde » paru le 19 avril 2003 : « Le jour où nous aurons en France, non plus cinq millions, mais 25 millions de musulmans, ce sont eux qui commanderont et les Français raseront les murs, descendront des trottoirs en baissant les yeux. » A la date du 12 mars 2008, Jean-Marie Le Pen fut à nouveau condamné par la même Cour d’appel de Paris, à 10.000 euros d’amende, pour avoir réitéré le même propos dans le journal d’extrême droite « Rivarol » : « D’autant que quand je dis qu’avec 25 millions de musulmans chez nous, les Français raseront les murs, des gens dans la salle me disent, non sans raison : Mais Monsieur Le Pen, c’est déjà le cas maintenant ! » Le pourvoi en cassation de Jean-Marie Le Pen contre cette décision fut rejetée en février 2009.

Au total, l’ancien président du parti FN, Jean-Marie Le Pen, cumule plus d’une vingtaine de condamnations pénales devenues définitives.

Actuellement, certains parmi les principaux dirigeants du FN font également l’objet de poursuites pénales. Ainsi, la direction du parti d’extrême droite s’est vue dans l’obligation de remplacer « en catastrophe » le président par intérim du parti, Jean-François Jalkh, qu’elle avait nommé à peine deux jours avant, alors que Marine Le Pen – candidate à l’Elysée – avait provisoirement renoncé à la présidence du parti. Remplacé le vendredi 28 avril 2017, Jalkh fait l’objet de poursuites pour incitation à la discrimination (sur le fondement de l’article 24 alinéa 8 de la Loi sur la liberté de la presse), pour avoir édité en 2014 un « Petit guide pratique de l’élu municipal » à l’attention des futurs élus locaux du FN. Ce document incite, en effet, ouvertement à la discrimination en matière d’accès (des Français et des étrangers) aux logements sociaux. Le Parlement européen avait, dans cette affaire, levé l’immunité parlementaire de Jean-François Jalkh. Le fait que le même dirigeant du FN ait par ailleurs assisté, en 1991, à une cérémonie en mémoire du maréchal Philippe Pétain, et qu’il ait tenu en avril 2000 des propos niant la réalité du génocide juif commis par le régime national-socialiste allemand (selon une publication de la politologue Magali Boumaza), n’arrange par ailleurs certainement rien…

Ces propos de propagande, considérés comme illicites en application de la Loi, ne traduisent ni les demandes ni les besoins du peuple français et ne peuvent viser que la division de la cohésion de la société nationale. Ce qui est dangereux et menaçant pour la sûreté, la sécurité et l’ordre public.

Ce que ce parti refuse par principe d’admettre, c’est que la France est devenue multicolore et que l’identité nationale française est multiple. L’islam, le musulman, l’Arabe, le Maghrébin ou l’étranger font partie de l’histoire de la France et des racines de la nation française d’aujourd’hui. La preuve la plus convaincante est la composition du gouvernement actuel, formé de personnalités politiques issues de cette diversité qui fait de la France un pays multiculturel.

Il est judicieux de rappeler que le droit public français prévoit des mesures administratives pour promouvoir le principe d’égalité de traitement dans les rapports publics et les relations entre personnes ou les groupes de personne. En conséquence, les autorités administratives ainsi que les institutions gouvernementales disposent d’un certain nombre de pouvoirs et de compétences afin de veiller au respect du principe de non-discrimination et d’égalité dans la société française.

La loi n° 72-546 du 1er juillet 1972 relative à la lutte contre le racisme complétant l’article 1er de la loi du 10 janvier 1936 relative aux groupes de combat et milices privées permet au président de la République de prononcer par décret, en Conseil des ministres, la dissolution des associations ou groupements de fait qui « [...] provoqueraient à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupement de personnes en raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ».

C’est sur ce fondement qu’a été dissous, par décret du 6 août 2002 pris par le président de la République en Conseil des ministres, sur rapport du ministre de l’Intérieur, « le groupement de fait dénommé : Unité radicale » suite à la tentative d’attentat contre sa personne par un membre de ce groupe d’extrême droite. Suite à l’interdiction de ce groupement, « Unité radicale » (UR), une partie de ses partisans ont formé à partir de 2003 une nouvelle formation, devenue le Bloc identitaire. Cependant, pour échapper à des poursuites pour le délit de « reconstitution de ligue dissoute » (délit initialement prévu à l’article 2 de la Loi du 10 janvier 1936, et aujourd’hui à l’article 413-15 du Code pénal français), les animateurs de cette mouvance dite « identitaire » prétendent qu’il n’y aurait aucune continuité organisationnelle entre UR et leur propre formation. Pour souligner ce propos, qui vise à faire échapper le Bloc identitaire et ses satellites (« Génération identitaire » et autres) à des poursuites pour « reconstitution de ligue dissoute », ses dirigeants ont partiellement amendé l’idéologie affichée. Ainsi le Bloc identitaire a officiellement renoncé à l’antisémitisme et à la théorie du « complot juif », qui faisait partie du discours d’UR et en constituait une partie centrale, pour se concentrer actuellement aux attaques anti-musulmanes.

Le 28 mai 2006, la « Tribu KA », groupuscule noir ultra-radical et raciste (défendant la supériorité des « kémites », prétendue race qui serait issue des pharaons de l’Egypte ancienne), faisait irruption rue des Rosiers à Paris et provoquait des incidents avec la communauté juive. Une procédure avait été lancée par le ministère de l’Intérieur pour qu’elle soit dissoute. Le Conseil des ministres l’a entérinée, le 26 juillet 2006. La décision, prise sur proposition du ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, se fonde sur la loi du 10 janvier 1936 relative aux groupes de combat et milices privées.

Plus récemment, par décrets présidentiels du 25 juillet 2013, l’« Œuvre française» d’Yvan Benedetti et les « Jeunesses nationalistes » (JN) d’Alexandre Gabriac, deux groupes d’extrême droite, ont été dissous dans la foulée de la mort violente du militant d’extrême gauche Clément Méric lors d’une bagarre avec des militants d’extrême droite, survenue le 05 juin 2013 à Paris.
Ces deux organisations avaient saisi le juge des référés du Conseil d’État – la plus haute juridiction française en droit administratif -, demandant la suspension de l’exécution des décrets prononçant leur interdiction. Cette juridiction a rejeté leurs demandes le 25 octobre 2013. D’autres groupuscules violents d’extrême droite furent interdits dans la foulée, tels que « Troisième Voie » et les « Jeunesses nationalistes révolutionnaires » (JNR), dissous le 10 juillet 2013, groupes auxquelles appartenaient les auteurs de la mort violente de Clément Méric. Ces derniers groupes ont par la suite de facto accepté leur dissolution, leur principal animateur – Serge Ayoub – se reconvertissant par la suite dans la mouvance des clubs de moto. En revanche, Yvan Benedetti et Alexandre Gabriac ont continué leurs activités sous d’autres formes, par exemple en présentant une liste intitulée « Faire front » aux élections municipales des 23 et 30 mars 2014 à Vénissieux (près de Lyon), et en animant un média sur Internet intitulé « Jeune Nation », nom qui renvoie à un groupe historique d’extrême droite lui-même dissous… en 1958.

Le Conseil d'Etat a confirmé la dissolution des Jeunesses nationalistes (JN) et de l'Oeuvre française, qui avait été prononcée par le décret présidentiel du 25 juillet 2013. Le juge des référés a estimé « qu'aucun des moyens soulevés par les associations requérantes n'était de nature à susciter un doute sérieux sur la légalité des décrets attaqués ». Il relève « que l'administration avait produit dans le cadre de l'instruction des éléments précis et concordants en ce qui concerne, d'une part, la propagation par ces deux associations d'une idéologie incitant à la haine, à la discrimination et à la violence envers des personnes en raison de leur nationalité étrangère, de leur origine et de leur confession, d'autre part, le participation de ces associations à des hommages rendus à des responsables du régime de Vichy et des miliciens condamnés pour collaboration. »

Cependant, ces dernières années et même décennies, les dissolutions de groupements d’extrême droite qui sont intervenues visaient toujours des organisations se caractérisant par leur caractère violent, plus ou moins ouvertement affiché. Les mesures de dissolution se référaient ainsi toujours, au moins parmi d’autres critères, aux premiers points de l’ancien article 1 de la Loi du 10 janvier 1936 (aujourd’hui intégré à l’article L.212-1 du Code de la sécurité intérieure, code créé le 12 mars 2012), s’agissant de groupes qui :
* « provoquent à des manifestations armées dans la rue » (1°)
* ou « qui présentent, par leur forme et leur organisation militaires, le caractère de groupes de combat ou de milices privées » (2°).
Or, ce même article L.212-1 du Code de la sécurité intérieure, reprenant l’ancien article 1 de la Loi du 10 janvier 1936, prévoit alternativement – les différents critères étant liés par « ou » et non pas par « et » -, en son point 6°, la dissolution de groupements qui « soit provoquent à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, soit propagent des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence ».

Cette disposition aurait pu trouver application au Front national, et ceci dès les premières années de son existence, alors que ce parti – ayant aujourd’hui trouvé un certain ancrage dans une partie de la société française – ne constituait qu’un groupuscule. En effet, entre 1972 (année de sa fondation) et 1982/83, le FN ne constituait qu’un gros groupuscule fort d’environ 2.000 membres et aux résultats électoraux alors microscopiques (0,3 % aux élections législatives de 1973 ; 0,7 % aux élections présidentielles de 1974 ; puis 0,2 % des voix aux législatives de 1978…). Depuis cette période, les pouvoirs publics n’ont pas tenté d’appliquer les dispositions légales ci-dessus citées, à ce parti politique.

Notons cependant que certaines structures de ce parti ont fait l’objet de mesures de dissolution, ou de tentatives de dissolution.
Ainsi, par un arrêt de principe de 10 avril 1998, la « Chambre mixte » de la Cour de cassation française (instance qui réunit plusieurs chambres de la plus haute cour en matière civile, sociale et pénale) a interdit aux pseudo-organisations syndicales mises en place depuis 1995 par le parti FN de revendiquer la qualité de syndicat de salariés. En effet, la Cour de cassation a considéré, dans cet arrêt important, qu’une organisation – prétendument syndicale – qui a inscrit dans ses statuts la « préférence nationale », et par là l’application de droits sociaux différents aux individus en fonction de leur nationalité, ne peut pas se prévaloir de la qualité de syndicat de salariés. Ceci parce que l’article L.411-1 du Code du travail français de l’époque (devenu article L.2131-1 du Code du travail actuel) définit l’objet des organisations syndicales comme « l'étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu'individuels » des salariés ; ce qui n’est pas le cas d’une structure prônant la « préférence nationale ». Cette décision de Justice a contraint les pseudo-syndicats proches du FN, mis en place par ce parti depuis 1995 et 1996, soit à de dissoudre soit à se transformer en association de fait ne revendiquant pas la qualité de syndicat.
En 1998/99, le service d’ordre permanent du Front national, structure appelé DPS (pour « Département protection-sécurité ») a fait l’objet d’une commission d’enquête parlementaire, instituée après un débat à l’Assemblée nationale française du 09 décembre 1998. Cette commission d’enquête (« sur les agissements, l'organisation, le fonctionnement, les objectifs du 
groupement de fait dit "DÉPARTEMENT PROTECTION SÉCURITÉ" et les 
soutiens dont il bénéficierait ») a rendu un rapport, enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale en date du 26 mai 1999, et dont la partie I fut intitulée : « Le DPS à l’origine de trop nombreux incidents ». Le service d’ordre permanent du parti FN n’a échappé, à l’époque, à une mesure de dissolution que parce que sa propre structure venant alors de se vider d’une bonne partie de ses membres, parmi lesquelles se trouvaient de nombreuses personnes nommément visées dans le rapport. En effet, l’importante scission du FN – entre les partisans de son président Jean-Marie Le Pen, et ceux de son ancien « délégué général » Bruno Mégret – avait occasionné le départ de nombreux militants du FN, et du DPS.

Le FN bénéficie toujours de l’argent public

Il est à noter également que le financement des partis politiques a été réglementé à partir de 1984, et notamment par une grande loi de 1990. Quatre grands principes régissent aujourd’hui ce financement : il est essentiellement d’origine publique. C’est la nouveauté apportée par les lois sur le financement des partis : l’aide publique est désormais la ressource principale des partis.
Peut-on accepter en France qu’un parti diviseur comme le Front national bénéficie toujours de l’argent public et continue à faire des ravages dans la vie politique française ? Est-il toujours nécessaire de rappeler que la devise officielle de ce pays est encore « Liberté, égalité et fraternité » ?

Une solution pour éviter que l’argent public ne contribue à financer des activités contraires à cette maxime et à la philosophie qu’elle sous-entend, une mesure – située en dessous du niveau d’une mesure de dissolution légale – serait envisageable, et consisterait à priver d’argent public une formation politique dont les agissements sont contraires aux principes de la République dans la mesure où elle est prône explicitement une discrimination structurelle et l’instauration de la « préférence nationale ». Une telle mesure a été appliquée par l’Etat belge au parti d’extrême droite néerlandophone « Vlaams Blok » (Bloc flamand), même si ce parti a par la suite contourné cette décision… en déclarant son auto-dissolution, le 14 novembre 2004, puis sa reconstitution à partir du 15 novembre 2004 sous un autre nom : celui de « Vlaams Belang » (ou « Intérêt flamand ») qu’il porte actuellement.
Il est en tout cas légitime d’affirmer que la France officielle doit prendre les mesures nécessaires et symboliques pour éviter justement les « dérapages » calculés de certains responsables d’associations politiques. Le but serait d’arriver enfin à concrétiser la paix entre les différentes composantes de la société française et de poser les fondements d’une relation basée sur le respect réciproque.

Par Maîtres Fayçal Megherbi et Bernard Schmid, avocats au Barreau de Paris




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