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AFRIQUE

Limogeage de Mimi Touré : Cadence, décadanse, décadence


Alwihda Info | Par Serigne Saliou Guèye - 14 Juillet 2014



Elle avait voulu « accélérer la cadence » des réformes et de la relance du secteur productif, finalement, elle n’aura réussi qu’à accélérer la cadence de sa propre décadence. Hélas, la « décadanse » de Kouthia, c’est-à-dire ce mouvement serpentin de danse  aux accents lascifs tant prisés par la gent féminine, n’a pu galvaniser les électeurs pour sauver Mimi de la décadence. 
 
Il y a dix mois, quand Abdoul Mbaye quittait le neuvième étage du building administratif au profit de celle qui gérait jusqu’alors le ministère de la Justice, beaucoup de Sénégalais pensaient que la cadence des réformes et de la matérialisation des engagements présidentiels allait enfin être accélérée. Et cela compte tenu du remarquable travail que, somme toute, Mme Aminata Touré avait accompli au sein de son département notamment sur la traque des biens mal acquis, l’avancée vers le procès Hissène Habré et l’arrestation de Cheikh Béthio Thioune. Au moment où elle était nommée Premier ministre, il fallait donc relancer la machine de la production grippée afin de booster la croissance économique du Sénégal qui oscillait depuis des lustres à 2, 5 %. C’est pourquoi, quand le successeur de M. Abdoul Mbaye avait lancé cette phrase  galvanisatrice après son décret de nomination en disant qu’ « il faut accélérer la cadence », cela était perçu comme une réelle prise de conscience du retard que le gouvernement du président Macky Sall avait accusé  dans la mise en exécution de la politique pour laquelle les Sénégalais lui avaient accordé leurs suffrages à 65 % au soir du 25 mars 2012. Plus qu’un slogan politicien, l’accélération de la cadence devait être une réalité politique qui transcenderait toutes les contingences partisanes et pousserait inclusivement tous les fils de la nation à travailler pour placer le Sénégal dans le cénacle des pays émergents. Hélas très tôt, les querelles de positionnement, les envies, les jalousies et les haines partisanes ont pris le dessus sur les intérêts de la patrie. 
 
Une liquidation politique lâchement planifiée 
 
Dans nos démocraties, la nature du régime présidentialiste est par essence conflictualiste. Elle confère de facto au Premier ministre, qui partage le même parti avec le président de la République qui l’a nommé, une place de numéro 2 dans l’appareil gouvernemental ainsi qu’au sein du parti. Ainsi, dès que « Mimi » Touré a été nommée Premier ministre, au sein de la structure des cadres de l’Alliance pour la République, on l’a considérée comme une usurpatrice de la 25e heure qui a profité du raffut promotionnel créé autour de la traque des biens mal acquis pour accéder à la Primature. Dès lors, elle était devenue la personne politique à abattre. Et comme si c’était un assassinat politique concocté et programmé dans les officines de l’Apr, il fallait pilonner graduellement Mme Touré dans les médias. C’est ainsi que dans le journal L’Obs du 11 octobre 2013, la présidente du Mouvement des femmes apéristes, Mme Marième Badiane, qui accusait le Premier ministre de vouloir faire main basse sur la structure qu’elle dirige par l’entremise de son pantin Awa Guèye, première vice-présidente de l’Assemblée nationale, fut la première à décocher les flèches empoisonnées contre l’ex-Pm en déclarant sans aménités ceci : « «Mimi Touré est une militante de la 25e heure. Elle est un épiphénomène, ne me parlez pas d’elle ».
 
Ensuite, ce fut au tour de Mame Mbaye Niang (dont l’arrogance et l’allégeance au couple présidentiel ont été récompensées par un poste ministériel) qui, dans une longue interview accordée au journal L’Enquête du 04 janvier 2014, de crucifier implacablement Mme Aminata Touré. Morceaux choisis dans cette logorrhée virulente, acérée, sans concessions de l’alors président du Conseil de surveillance de la Haute autorité de l’aéroport Léopold Sédar Senghor, contre le chef du gouvernement : « Aucun président de la République ne va accepter, après avoir été élu par les Sénégalais, de laisser prendre son pouvoir ou ruiner ses prérogatives par quelqu’un qui a été nommé par lui. Mais les gens, dès que vous les nommez, ils commencent à développer des esprits de groupe, des tendances sectaires, à avoir des ambitions, au point d’en oublier ceux qui les ont choisis. Ils développent des stratégies d’implantation, de maillage, de noyautage, en se disant : ce pourrait être moi. Ce n’est pas acceptable, et il faut que ceux qui nourrissent ces ambitions fassent attention. » 
 
« Quelle influence un Premier ministre peut-il avoir, alors qu’il est simplement le premier des exécutants ? Comment un Premier ministre peut avoir de l’ambition au détriment de celui qui l'a nommé ? Dès qu’on se met dans cette dynamique, on cesse de penser au pays, au travail, pour se mettre dans une sorte de lissage de son image et de sa personnalité. »
 
« On ne défend plus le président de la République, on se défend et on pense déjà à un mouvement, une association, en se disant qu’on a déjà un destin créé. On sait qui est qui au Sénégal. Qui connaissait tous ces gens avant qu’ils ne soient nommés ? La plupart de ceux qui réclament aujourd’hui une légitimité étaient des salariés payés par Macky Sall (dont Mimi Touré : Ndlr).» 
 
« Dans notre parti, la seule légitimité est celle acquise au combat, par son engagement, et je pense que Mimi gagnerait à faire la différence entre responsabilité étatique et responsabilité politique. » N’en jetons plus ! 
Auparavant le même journal Enquête avait fait état dans sa livraison du 26 octobre 2013, des relations exécrables qui existent entre le Premier ministre et le Secrétaire général du gouvernement, par ailleurs porte-parole de l’Alliance pour la République (Apr), Seydou Guèye. 
 
Dans le même sillage, le ministre conseiller Mbaye Ndiaye avait lui aussi, dans une interview accordée au journal Quotidien du 09 novembre 2013, dénié au Premier ministre le poste de facto de n° 2 de l’Apr. 
 
Ces attaques virulentes contre Mme Touré n’étaient que le début d’une longue machination visant à la défenestrer du 9e étage du building administratif avec la complicité du chef de l’Etat qui, aphone, n’a jamais réagi aux attaques violentes contre son Premier ministre. Lui-même, il avait désavoué son PM quand, au lendemain de sa déclaration de politique générale inspiré par le « Yoonu Yokkuté », il avait enterré ce programme de campagne au profit du Plan Sénégal émergent (PSE). Et chose gravissime, le suivi de ce PSE a été confié à Mouhamed Dione plutôt qu’à celle qui a constitutionnellement en charge de conduire la politique gouvernementale. 
 
Même si l’alors Premier ministre était astreinte de déclarer dans l’émission le Grand jury du 09 mars que « mes relations avec le président sont au beau fixe et ce sont des relations de travail intenses », il était de notoriété publique que la froid était de mise au sein du couple exécutif.
 
L’erreur de casting présidentiel était manifeste.  La pauvre Mme Touré, en tant que Premier ministre, en était même arrivée à ne présider que des conseils interministériels. Finalement, on ne reconnaissait plus cette femme politique vivace dont l’alacrité du discours charme et enfièvre même ses opposants. Diserte, elle était devenue soudainement aphasique au point que certains médias où elle aimait s’épancher ne parvenaient plus à lui soutirer un seul mot. Cet acharnement contre Mme Aminata Touré, cautionné par le président de la République, a fait que la cadence, tant claironnée dès sa nomination, n’a jamais pu être accélérée pour mettre en œuvre la feuille de route tracée par le « Yoonu Yokkuté » ou par son ersatz le PSE. En conséquence, l’immobilisme, les errements, le tâtonnement et l’atermoiement du président de la République auront plombé les dix mois de Mme Aminata Touré à la tête du gouvernement. 
 
La convoitise de la Primature : l’erreur fatale de Mimi
 
La passivité complice dont  le Président avait toujours fait montre quand Mme Aminata Touré était crucifiée par ses propres frères de parti, montre que l’actuel régime ne semble pas être guéri des addictions du régime wadien qui a paralysé le pays pendant ses quatre premières années par un conflit mortifère entre le président Abdoulaye Wade et le Premier ministre Idrissa Seck. Macky Sall, lui-même Premier ministre de Wade, après M. Seck, avait été renvoyé après avoir gagné brillamment les élections présidentielle et législatives de 2007 avant d’être éjecté du Perchoir de l’Assemblée nationale. Pour avoir maîtrisé les leçons du machiavélisme de son mentor Abdoulaye Wade,  le président Sall, pour se débarrasser de son Premier ministre, l’aura poussée à se jeter dans la fosse aux lions en se présentant à Grand Yoff contre Khalifa Sall dont le bilan quinquennal à la mairie de Dakar entérine sans crainte son second mandat. Pour Mme Aminata Touré, c’était à quitte ou double : gagner et se réhabiliter au sein d’un parti où elle n’était plus en odeur de sainteté avec son président et sa valetaille ou perdre et compromettre sa carrière politique. C’est cette dernière occurrence qui s’est produite. Au soir du 29 juin, « Mimi », défaite, savait que son limogeage n’était plus qu’une question de jours. Aujourd’hui limogée ou démissionnaire, elle aura commis la grossière erreur d’avoir guigné prématurément la Primature qui n’est en réalité que le tombeau de tous ces hommes ou femmes politiques qui aspirent aux responsabilités suprêmes de la République. Alors ministre de la Justice, elle se conduisait d’une façon qui laissait croire qu’elle convoitait manifestement le poste d’Abdoul Mbaye. Et c’est à partir de là qu’elle a commencé à accélérer la cadence de sa décadence.
 
Même l’appui explicite de l’humoriste Khouthia avec sa trouvaille la « décadanse » (déjà popularisée par feu Serge Gainsbourg), inspirée de la formule « il faut accélérer la cadence », n’a pas pu sauver Mimi de la décadence… 
 
Serigne Saliou Guèye
Article paru dans « Le Témoin » N° 1172 –Hebdomadaire Sénégalais (JUILLET 2014)



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