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Nigeria: Le Kalifat de Boko Haram a-t-il les moyens de ses ambitions?


Alwihda Info | Par Jolpress - 26 Août 2014


Entretien avec Roland Marchal, spécialiste de l'Afrique et des conflits armés, chargé de recherche au CNRS (CERI-Sciences Po).

Dimanche 24 août, le chef du groupe islamiste Boko Haram, Abubakar Shekau, a déclaré qu’il plaçait la ville de Gwoza, dans le nord-est du Nigeria, sous le règne du « califat islamique ». Une annonce qui intervient peu de temps après la proclamation d’un califat en Irak et en Syrie par l’Etat islamique (EI), auquel le leader de Boko Haram a fait allégeance.


Abubakar Shekau, leader du groupe terroriste Boko Haram, auteur de nombreux enlèvements et exactions au Nigeria. Photo: Wikimedia Commons
Dans une vidéo de 52 minutes, le chef de Boko Haram, Abubakar Shekau, a placé dimanche la ville de Gwoza, prise par ses combattants islamistes, sous le règne du califat.
 
« Ils appellent (ce pays) le Nigeria. Nous sommes dans le califat islamique. Nous n’avons rien à faire avec le Nigeria », a-t-il expliqué, sans préciser s’il se met sous la protection du calife Al-Baghdadi, à la tête du califat proclamé en Irak et en Syrie, ou s’il crée un nouveau califat.
 
Lundi 25 août, le groupe islamiste armé a lancé une attaque contre une autre ville du nord-est du Nigeria, obligeant des milliers d’habitants à fuir vers le Cameroun.
 
Mimétisme
 
JOL Press : Le chef de Boko Haram a proclamé dimanche la création d’un califat islamique au Nigeria. Comment expliquer cette annonce ?
 
Roland Marchal : C’est le mimétisme de ce qui se passe en Irak et en Syrie, où l’Etat islamique (EI) a proclamé la création d’un califat à la fin du mois de juin. Je crois qu’il faut considérer cette annonce du chef de Boko Haram comme une fuite en avant plutôt que comme la consolidation de l’influence militaire ou idéologique de ce mouvement. Cela montre surtout qu’ils ne savent pas vraiment quoi faire, et qu’ils essaient de s’organiser pour durer.
 
Ils ont donc repris le mot d’ordre imposé en Irak et en Syrie, estimant que, puisque cela avait marché là-bas, cela fonctionnerait aussi pour eux au Nigeria. C’est un exercice rhétorique mais, plus que cela, c’est surtout une façon de s’inscrire dans une alliance qui ne soit pas seulement de fait avec d’autres groupes islamistes radicaux.
 
JOL Press : Boko Haram n’a cependant pas autant d’influence au Nigeria que l’Etat islamique en Irak et en Syrie...
 
Roland Marchal : Pour l’instant, Boko Haram n’a jamais démontré une capacité de gouvernement de la population nigériane. Ce que l’on sait, indépendamment de toute affiliation idéologique, c’est que gouverner des populations suppose un minimum d’organisation propre, mais aussi des compromis. Ils ne peuvent pas brûler des villages entiers sous prétexte que les populations ne croient pas exactement à la même chose qu’eux. C’est une tâche délicate qui peut créer énormément de tensions.
 
On l’a vu en Irak en 2004-2005, avec Abou Moussab Al-Zarqaoui, ancien chef d’Al-Qaïda. Le réveil des tribus arabes sunnites, qui en ont eu assez de voir des étrangers venir chez eux faire le djihad et ne pas respecter leurs traditions, a contribué à signer la défaite d’Al-Qaïda à cette époque-là en Irak. Ces groupes se sont en effet organisés et ont constitué une force de frappe contre les islamistes radicaux, rapidement reprise par les Américains.
 
Il faut se rendre compte, encore une fois, qu’au-delà du discours idéologique, la mise en œuvre d’un tel projet est extrêmement difficile et peut faire naître des contradictions internes au sein des différents groupes qui se revendiquent de Boko Haram au lieu de les homogénéiser.
 
 
Pas de gros moyens
 
JOL Press : Quels sont concrètement les moyens d’action de Boko Haram au Nigeria ?
 
Roland Marchal : Les combattants peuvent se procurer des armes et des munitions : il y a en effet un important trafic à la fois à l’intérieur du pays et en provenance des pays voisins. Boko Haram a plusieurs fois attaqué des commissariats de police ou des casernes de l’armée, et ils ont récupéré un peu d’argent en attaquant des banques ou en prenant des gens en otage.
 
D’un point de vue strictement militaire, ils n’ont pas de très gros moyens : ils peuvent surtout adopter la stratégie « frapper puis disparaître » (« hit and run »). S’ils ont vraiment mis la main sur plusieurs localités nigérianes [ce que réfute l’armée nigériane, ndlr], il faut encore qu’ils déterminent les frontières de leur « califat » et qu’ils le protègent d’une intervention de l’armée nigériane ou étrangère.
 
Or, je ne pense pas que Boko Haram ait les moyens, aujourd’hui, d’investir dans des hélicoptères de combat ou dans de l’artillerie lourde pour tenir leur territoire, contrairement à l’Etat islamique qui a réussi à mettre la main sur d’importantes ressources financières et militaires.
 
JOL Press : L’armée nigériane est régulièrement critiquée pour son incapacité à tenir le territoire. Pourquoi ?
 
Roland Marchal : L’armée nigériane est représentative de tout l’appareil d’Etat nigérian, miné par la corruption. À chaque niveau, les gens retiennent une part de l’allocation ressources. Quand cela arrive au sommet, il ne reste donc plus grand-chose, et l’armée n’est pas soutenue par la population.
 
JOL Press : Quels liens entretient Boko Haram avec d’autres groupes terroristes du continent africain ?
 
Roland Marchal : Il existe des liens, certains combattants voyagent parfois d’un groupe à l’autre, ou sont formés à l’étranger, surtout au Mali. Mais il n’y a rien de systémique.
 
Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press
 
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Roland Marchal est un politologue spécialiste de l’Afrique, chercheur au Centre d’études et de recherches internationales (CERI/CNRS/Sciences Po).









http://www.jolpress.com/nigeria-califat-islamique-boko-haram-moyens-ambitions-irak-syrie-terrorisme-article-827681.html



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