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AFRIQUE

Quand Dionne emprunte à Wade le culte du travail…


Alwihda Info | Par Aly Samba Ndiaye - 13 Juillet 2014


SENEGAL : Mahammad Ben Dionne 3ème Premier ministre en moins de trois ans


Pour limoger un Premier ministre après seulement dix mois d’exercice, il faudrait avoir de sacrées raisons pour le faire. Et pourtant, le président de la République n’a pas hésité à franchir ce pas audacieux. Au risque d’être accusé de générateur d’instabilité institutionnelle, notamment par des hommes avertis, Idrissa Seck de Rewmi et Mamadou Ndoye de la LD, en l’occurrence. Qu’est-ce qui a pu bien opposer les deux têtes de l’exécutif au point que le passé militant, la douce courtoisie et l’estime profonde qui les a unis se transformassent en un courroux si violent ? Surtout en dix mois à peine. La séparation a été donc tumultueuse, puisque, dimanche en fin de soirée, le Président a  mis fin au suspense pour annoncer la nomination de M. Mahammad Ben Abdallah Dionne, au poste de Premier ministre. Mme Touré est donc limogée puisqu’elle a refusé de démissionner. L’avant-veille, elle avait  tenu une réunion de son cabinet de suivi et de contrôle de l’action gouvernementale. 

Comme pour donner au Président un signal de sa volonté à s’accrocher à son poste. Une démission de sa part n’était pas envisageable, puisqu’elle n’avait rien à se reprocher, semble-t-il. Perdre aux élections municipales dans une petite localité de Dakar contre le mastodonte Khalifa Salla, n’avait, à ses yeux, rien de déshonorant. Même pour un Premier ministre en service. C’est du moins sa position. 
 
Scénario similaire en France, le Président Hollande ne s’était pas débarrassé de son Premier ministre Jean Marc Ayrault après le cuisant échec du Parti Socialiste aux élections municipales (155 communes perdues par les socialistes, même si Paris est sauvée). C’est à la suite de la déroute aux élections européennes, que Manuel Valls s’est substitué à Ayrault. Macky Sall ne pouvait manifestement pas attendre une prochaine échéance électorale (2017, c’eût été trop tard) pour faire appel à Dionne. Il n’avait donc d’autre choix que de défénestrer Mme Touré, victime expiatoire d’une situation dont le président est lui-même le premier responsable. Si la coalition Benno a été défaite dans les grandes villes. Si la malgré l’ampleur de sa victoire (475 circonscriptions électorales remportées sur 602), le sentiment d’une débâcle de la coalition est prégnant, c’est qu’en fait, la désaffection populaire est grande. Il y a bien longtemps que cet état de grâce est fini. Peu de ruptures, trop de dérives, trop peu de résultats économiques, trop de clanisme, de passe-droits, de maladresses, de boulimie, d’affaiblissement institutionnel, ont fini par désarmer moralement les Sénégalais, anxieux et inquiets pour leur devenir, alors que leur présent est angoissant.
 
C’est dans ce climat de désespérance, que Mme Touré est partie de la primature. Ses proches promettent un prochain retour. Sous quelle forme ? Difficile à dire ! Déjà accusée par les proches du président de  trop lorgner vers son fauteuil, en mal-vivre avec la Première dame, Mme Touré aura beaucoup à se refaire une santé dans la sphère politique de Macky Sall. Aura-t-elle assez de ressources morales, d’audace et de pugnacité pour prendre son destin en main ? Membre du comité de rédaction du projet « Yoonu Yokuté » du candidat- président, pourra-t-elle tracer son propre chemin ? Rien n’est moins sûr. Son bilan au gouvernement n’est ni bon, ni mauvais, ni mitigé, il est inqualifiable. Et si on devait l’évaluer sur la base de « l’accélération de la cadence des réformes », mais quelles réformes ?, il faudra emprunter à l’humoriste Koutia sa parodie de la bonne Dame congédiée qui part sur la pointe des pieds.  Mais à voir l’ovation qu’elle a eue après sa passation de service avec Dionne et l’enthousiasme qu’elle suscite chez ses partisans révoltés, on se dit  bien que Mme Touré n’a encore dit son dernier mot.
                     
Le culte du travail : du déjà entendu

Macky 2 s’est terminé dans un climat d’incertitude et de fortes interrogations, Macky 3 a commencé sur un appel au travail. Curieusement, cette tonalité rappelle le refrain de Wade en 2000, « il faut travailler, encore travailler, toujours travailler ». Mais ce recours au culte du travail comme élément de mobilisation est trop éculé pour susciter de l’intérêt. Déjà vu, déjà entendu. Et venant de la bouche d’un cadre qualifié de brillant, loyal, compétent, mais sans grande expérience dans la gestion des affaires publiques, ce slogan ne peut avoir de résonance. C’est lui, le nouveau PM, que le peuple attend de voir travailler, pour mesurer ses capacités à gérer les affaires de la Nation. Jusqu’ici planqué dans les organisations internationales et les conforts douillets des cabinets présidentiels ou ministériels, il est désormais regardé et scruté par des millions de Sénégalais, pour qui même l’espoir est devenu un rêve impossible.
 
Et ce n’est pas l’éloquence du discours et la sagacité dans les réponses à sa prochaine déclaration de politique générale qui nous impressionneront. Encore moins son talent d’informaticien ! Car, il est surtout attendu dans sa réelle capacité à diriger une équipe, pour appliquer des politiques efficaces.
 
   A première vue, son équipe gouvernementale ne semble pas receler des meilleurs atouts, pour gagner cette bataille du développement et de l’émergence.  Pléthorique, politique,  aux allures claniques, tel pourrait être le rapide descriptif de l’équipe que le Président Macky  Sall a mise en place dimanche. Trente ministres, trois ministres délégués, et en prime six secrétaires d’état, siégeant à la demande au Conseil des ministres, soit onze entrants et neuf départs, l’attelage paraît bien balourd pour le long chemin qui mène vers la croissance structurante. 
 
Depuis son premier réaménagement ministériel quelques semaines après son avènement, le Président avait décidé de retirer de la chaîne des ruptures annoncées en grande pompe, la réduction de son gouvernement à vingt-cinq ministres. Premier faux pas sans frais. Mais en période de crise où la nécessité de réduire les dépenses publiques  et la recherche de l’efficacité devraient faire  loi, ce second péché est  inadmissible. 
 
Départements ministériels morcelés         
 
  Mais, en plus d’être volumineux et large, le gouvernement de Mahamad Ben Dionne refait les mêmes péchés que les précédents : un morcellement incohérent, un découpage irrationnel en plusieurs départements dont certains comme l’Energie, les Postes et Télécommunications, le NEPAD, la Fonction publique, la Promotion des investissements, entre autres, auraient pu être réduits en simples directions nationales. Qui plus est, l’intitulé kilométrique et ronflant de certaines dénominations,  cache mal le creux et le vide de la structure artificiellement créée pour caser des proches. On sent bien que la volonté de couvrir le large éventail des aspirants à la fonction a été plus forte que la recherche de l’efficacité gouvernementale. 
 
Nouvellement acquise à la démocratie, la Guinée-Bissau vient de former un gouvernement de 15 ministres et quelques strapontins, dans un réel souci d’efficience. C’est bien ce qu’on attendait de ce Macky 3. Mais à la place d’une équipe resserrée et centrée sur les missions essentielles, on a eu droit  à un format « triple X, » assorti de six figurants, pour s’assurer que personne des alliés politiques ou sociaux n’est oublié. Ainsi, 23 membres de l’équipe sortante ont été reconduits. Parmi eux, on trouve paradoxalement les alliés de Benno Bok Yakar, en rupture de ban pendant les dernières élections, (la LD et le PS) et l’AFP, fidèle compagnon de l’APR. Etonnante contradiction : des ministres sont sanctionnés  et éjectés pour avoir perdu le scrutin local. Dans le même  temps, d’autres en rébellion contre le Président, se payent le luxe de s’opposer et de battre aux urnes des membres restés fidèles à la coalition gouvernementale. Ils continuent pourtant de s’en réclamer, et siègent dans l’actuelle équipe, sans frais.
 
L’APR minoritaire au parlement
 
Assurément, il faut savoir lire dans un marc de café pour comprendre quelque chose dans cet imbroglio. Le parti auquel se réclame le tombeur du Premier ministre sortant reste bien ancré dans l’équipe gouvernementale, alors que les malheureux défaits en sont exclus.  Cette inconséquence ne doit  pas au hasard. Elle relève d’un simple calcul politique. L’APR n’a que 69 députés (sur 150) dans la coalition parlementaire Benno Bok Yaakar.  Il pourrait très vite se retrouver minoritaire si le reste du groupe, exclu alors du gouvernement, décidait de se coaliser avec l’opposition, pour ne pas voter la confiance que va demander le nouveau Premier ministre. C’est ce scénario lugubre qui a dissuadé le président d’évincer les ministres LD et PS, devenus, du coup, les moutons noirs de la coalition.
 
C’est sans doute la mort dans l’âme que le Président garde encore sur ses tablettes la LD, le PS, le PIT, non sans s’être débarrassé de Aly Haïdar et Cheikh Bamba Dièye (démissionnaire), P ape Diouf, sans représentativité conséquente. Il semble d’ailleurs que le Président ait cherché vainement un rapprochement avec Idrissa Seck, de qui il est probablement plus proche que Tanor, Dansokho, Ndoye ou Niasse.
 
Khalifa Sall pour  l’exemple
 
Il apparaît clairement donc que le gouvernement Dionne est un pis-aller et, de loin, n’est pas celui qu’aurait souhaité avoir le Président. L’APR, son parti, a subi de plein fouet les effets du revers dans les grandes villes. Le départ de têtes de gondole comme Mor Ngom, Latif Coulibaly (nommé Secrétaire Général du Gouvernement), Benoît Sambou, Thierno Alassane Sall, Anta Diacko Sarr a eu l’effet d’un séisme. Mais le Président pourra se contenter d’avoir fait entrer dans le gouvernement les proches de son épouse, dont son propre beau-frère Mansour Faye, alors que le contentieux électoral opposant ce dernier à ses adversaires n’est pas vidé.
 
Même avec un Premier ministre crédité de compétence, ce gouvernement traîne trop de tares pour susciter  au moins l’espérance que les Sénégalais scrutent encore… désespérément. Le plus gros dans ce gouvernement politique est  que la plupart des ministres seront partagés entre leur statut de maire et leurs fonctions ministérielles. La victoire de Khalifa Sall à Dakar a au moins prouvé que  l’efficacité dans les résultats du terrain et l’efficacité d’une gestion transparente sont plus éloquents que la politique politicienne. Il ne semble pas, de ce point de vue, que le président Macky Sall ait bien retenu la leçon prodiguée avec quel talent et quel brio par  le maire de Dakar. Et les Sénégalais découvrent une éthique politique et de gestion … Pour  que les promesses engagent enfin ceux qui les font et non plus ceux qui ont la naïveté d’y croire. C’est un changement de paradigme, qui trouvera son épilogue peut-être en 2017.
 
Par Aly Samba Ndiaye
Article paru dans « Le Témoin » N° 1172 –Hebdomadaire Sénégalais (JUILLET 2014)



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