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INTERVIEW

"Rien n’est plus comme avant en Afrique où les présidents s’accrochent longtemps au pouvoir"


Alwihda Info | Par Pape NDIAYE - 11 Novembre 2014


Colonel ( Er) Ousmane Ndoye, commandant du Bataillon Sénégalais au Zaire ( 1978 )
« Le spectre de l’assassinat de Sankara a eu raison de Compaoré »


Colonel à la retraite Ousmane Ndoye alias « Ndoye Mbao » est un vrai chef de guerre. Il avait commandé et déployé le bataillon des parachutistes sénégalais au Zaire (actuelle Rd Congo), précisément au Kolwezi en 1978. Dans sa retraite, le colonel Ousmane Ndoye qui suit de prés l’actualité africaine, nous donne son point de vue sur la situation au Burkina Faso et livre son expertise sur les Armées africaines face à la démocratie. Entretien…
Mon colonel, comment analysez vous la situation au Burkina Faso provoquant la fuite du président Blaise Compaoré ?
Ousmane Ndoye : C’était prévisible ! Au contraire, ce soulèvement populaire provoquant la chute du régime de Blaise Compaoré est venu tard. Car durant les vingt sept ans de règne du président Blaise Compaoré, le spectre de l’assassinat de Thomas Sankara a toujours hanté le peuple Burkinabe sur fond de vengeance. De même que certains soldats, sous-officiers et officiers à pour qui Thomas Sankara était un modèle, une référence et un exemple. En un seul mot, les jeunes burkinabés et autres «sans-voix» avaient fait de Thomas Sankara leur idole. D’ailleurs, c’est ce qui justifiait les nombreuses tentatives de renversement ou de vengeance contre le régime de Blaise Compaoré. Aujourd’hui, force est de constater que le peuple a réussi à le faire à la place de l’Armée. Seulement, Blaise Compaoré doit remercier le Ciel d’avoir couvert sa fuite, car si c’était un coup d’Etat militaire digne de ce nom, je voyais mal un Blaise s’en sortir indemne !
La façon dont les peuples africains se révolte contre leur régime, n’est-elle pas un signe marquant la fin des dictatures ou des règnes sans partage…

Ah oui ! Rien n’est plus comme avant en Afrique où les présidents s’accrochent longtemps au pouvoir. C’est fini ça ! Les peuples africains sont devenus murs et intelligents, ils ont un niveau d’instruction enraciné dans la démocratie. Cette prise de conscience leur permet de prendre leur propre destinée en main. Et par tous les voies et moyens, quitte à se faire écraser par des chars de combats. La Tunisie, la Libye, la Cote d’Ivoire etc. sont des exemples récents qui illustrent ces aspirations démocratiques. Vous voyez ! Les peuples ne sont plus domestiqués par la dictature ou le système d’un règne sans partage. C’est fini ça !
Mon colonel, partout dans le continent africain, les régimes sont confrontés à des rebellions et autres conflits armés au point que l’Union africaine fait recours aux armées françaises ou étrangères. Quelle Armée faut-il pour l’Afrique ?
Il y a quelques années, j’avais fait une sortie exclusive dans les colonnes du « Témoin Hebdo ». Je le répète, d’abord quand on parle d’armée, on pense aussitôt à la sécurité qui est une notion difficile à appréhender. Dans sa définition littéraire, c’est une situation où l’on n’a aucun danger à craindre, alors qu’ici, il s’agit bien d’une traduction d’un principe de la guerre développé par Clausewitz et qui concerne la liberté d’actions. Donc avec l’Armée, on a une liberté et d’agir. Donc l’Afrique doit se doter d’une armée africaine ou des armées sous-régionales. Une armée forte et dissuasive pour freiner ou empêcher toute velléité. J’ai toujours soutenu que toute composition d’une Armée africaine doit tenir compte de la nature des troupes qui doivent être socialement et culturellement adaptables au milieu, sous peine de survenance de problèmes importants sur le terrain. Fort d’une grande expérience au Shaba, j’ai vécu la réalité sur le terrain de Kolwezi. Il est maintenant certain qu’il n’est pas simple de réunir une force homogène composée de troupes d’Afrique blanche et d’Afrique noire. Mieux, à Kolwezi, la durée du séjour a été plus supportable pour les contingents ayant réussi à intégrer les populations zaïroises que pour les soldats marocains ou français ou belges. Vous voyez, les différences culturelles entre les deux communautés sont telles que l’équité et tolérance y sont difficilement réalisables. D’où, la difficulté de créer et de commander une Armée africaine qui se veut homogène et efficace. Surtout avec une Armée dont le commandement est unifié. Donc votre question avait trouvé sa réponse en 1964 lors d’un sommet de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) où le président Kwame Nkrumah du Ghana demandait avec insistance la création d’une Armée panafricaine et d’un gouvernement supranational africain. Le président Senghor et d’autres de ses pairs lui répondaient que la création d’une Armée panafricaine était un rêve fou. Aujourd’hui, cette Armée africaine est plus que d’actualité. Car aucune Armée régulière et républicaine d’un pays africain ne peut faire face à une rébellion interne ou à un soulèvement populaire. Et tant qu’il n’y a pas une Armée africaine forte et équipée, les rebelles et les terroristes défieront toujours les régimes en place.

Propos recueillis par Pape NDIAYE
Article paru dans « Le Témoin » quotidien sénégalais ( Novembre 2014)





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