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INTERVIEW

Salomon Kotro, ancien député de Centrafrique : "Personne n'a rien vu venir"


- 11 Mars 2014



Salomon Kotro, ancien député de Centrafrique : "Personne n'a rien vu venir"
Le conflit centrafricain et ses massacres interethniques préoccupent au plus haut point la diaspora centrafricaine, mais aussi celle du Tchad voisin. Sous la houlette de l’ancien député centrafricain Salomon Kotro, exilé à Paris depuis que la Séléka a chassé François Bozizé du pouvoir il y a un an, les ressortissants de ces deux pays ont récemment lancé à Paris « Oubangui-Chari pour le vivre- ensemble ». Une association qui œuvre pour la paix et la fraternité entre les deux voisins d’Afrique centrale.
 
Qu'est-ce qui fonde la création de votre association ?
 
L'association Oubangui-Chari pour le vivre ensemble est née d'une grande réflexion avec nos frères du Tchad de la diaspora. Nous nous sommes retrouvés pour mettre en place cette association, pour donner un autre son de cloche, mais aussi pour montrer le symbole de l'unité, de la fraternité. Ce symbole a toujours réuni ces deux peuples qui ont vécu dans l'harmonie dans le passé. Au vu de ce qui se passe, nous-nous sommes donc retrouvés pour donner ce symbole afin de participer au retour à la paix en Centrafrique. Parce que la paix n'est pas un mot, mais un comportement. Elle suppose des efforts et des actions soutenus afin de créer la cohésion et la confiance ; ce qui exclut la méfiance, la suspicion et le rejet de l'autre. Elle consiste à offrir un cadre de dialogue afin de restaurer le chantier du vivre ensemble. Le dialogue, c'est l'arme des forts. Comme le disait Voltaire, dans le traité sur la tolérance, « Puisse que tous se souviennent qu'ils sont frères ». Alors, les Centrafricains sont frères aux Tchadiens.
 
"La Centrafrique est un pays laïque et ouvert, un pays qui a toujours vécu avec ses chrétiens et ses musulmans, un pays qui a partagé une longue histoire avec le Tchad"
 
Ces images sur les massacres à Bangui qui ont tourné en boucle sur les chaines de télévisions occidentales ont-elles été le facteur déclencheur de votre initiative ?
 
C'est vrai que c'est des images qui sont touchantes, et très impressionnantes. Effectivement, dans un premier temps, ce sont images qui nous ont poussés à nous mobiliser. C'est quand même aberrant cette situation. Parce que la Centrafrique est un pays laïque et ouvert, un pays qui a toujours vécu avec ses chrétiens et ses musulmans, un pays qui a partagé une longue histoire avec le Tchad. La Centrafrique est un pays qui partage avec le Tchad les deux fleuves, l'Oubangui et le Chari. Ces deux peuples ont toujours partagé une grande diversité culturelle qui a été une grande richesse à travers les brassages ethniques et autres. Mais aujourd'hui le peuple tchadien est pris à partie parce qu'il est musulman. En effet, à travers le Tchad qui est indexé dans ce conflit, tous les musulmans sont pris à partie en Centrafrique. C'est ça qui a un peu attiré mon attention à aller au-delà, en tant qu'ancien député, pour donner un autre son de cloche pour que la quiétude, la paix, l'harmonie, le vivre ensemble puisse revenir en Centrafrique
 
Comment en est-on arrivé là ?
 
C'est la question qu'on se pose. Cette question demeure peut-être sans réponse. J'allais dire que c'est dû à des manipulations pour des fins politiques. C'est des politiques non maîtrisées. Franchement, on n'a pas vu cela arriver. Personne ne peut dire que c'est quelque chose de préparée en amont. Mais c'est arrivé d'une manière brusque, et ça a pris tout le monde de court. C'est très difficile à expliquer.
 
Vous parlez de manipulations politiques. Pouvez-vous être plus précis ?
 
Bien sûr, c'est des manipulations politiques. Vous voyez des anti-balakas qui se disent chrétiens, alors qu'il n'y a jamais de guerre des religions en Centrafrique. C'est des manipulations pour donner du crédit, surtout aux médias. On nous parle de guerre des religions, mais en même temps, on voit l'imam et l'archevêque de Bangui main dans la main. Si c'était une guerre des religions, c'est ceux-là qui devraient s'affronter d'abord. Mais ils appellent à la paix, à la sécurité. C'est pour vous dire que tout cela n'est que manipulation. J'espère que les gens auront la raison, pour que la paix revienne dans le pays.
 
Comment allez-vous alors promouvoir cette paix à partir de Paris ?
 
L'association Oubangui-Chari pour le vivre ensemble est un élément déclencheur pour donner notre son de cloche. Nous avons des projets à court et long terme. Dans un premier temps, le but de l'association est de contribuer à la paix, à l'amélioration des conditions de vie des déplacés, à apporter des explications historiques et sociologiques aux deux pays et de préserver des vies humaines et leur patrimoine. Nous-nous sommes assignés aussi comme tâche de créer un cadre de dialogue, de réflexion et d'entente afin de sauvegarder la fraternité, l'amitié et l'harmonie qui ont toujours existé entre nos deux peuples. Et nous n'allons pas rester ici en France. Pour participer à asseoir notre travail, participer activement à la recherche de la paix, nous projetons de descendre très rapidement sur le terrain, en passant d'abord par Ndjaména pour aller voir nos compatriotes qui se sont réfugiés par peur d'être tués. Même s'ils ont des origines lointaines tchadiennes, ils sont des Centrafricains du moment où ils sont nés en Centrafrique et ils y ont toujours vécu. Ils sont arrivés dans un territoire où ils ne maîtrisent plus rien. Donc nous irons les voir. Et n'oubliez pas aussi qu'au Tchad il y a beaucoup de communautés centrafricaines, environs 100 000. Si le Tchad rendait la pareille à nos compatriotes, vous imaginez ce qui se passerait ? Après Ndjaména, nous irons à Bangui, dans les camps des déplacés, pour conscientiser ces gens, les rassurer et montrer à la communauté internationale que la guerre qui se déroule en Centrafrique est non confessionnelle. Parallèlement à ça, nous allons mettre des antennes dans les zones de conflits en province et à Bangui, et appeler les gens à la paix.
 
Quelle est votre démarche à l'endroit des autorités des deux pays ?
 
Les deux pays sont au courant des actions que nous menons. Nous avons déjà rencontré l'ambassadeur de Centrafrique et la ministre de la Réconciliation, quand elle est venue en France il y a plus de deux semaines. Nous lui avons témoigné à cette occasion notre disponibilité à œuvrer la main dans la main pour ramener la paix. Elle a répondu qu'elle nous attendait. La semaine prochaine, l'ambassadeur du Tchad va nous recevoir, on va évoquer avec lui les conditions de déplacement sur le terrain. Nous attendons beaucoup de soutiens politiques et moraux de ces deux gouvernements, afin de nous permettre d'aller sur le terrain et bien mener notre travail.
 
Les artistes sont également mobilisés pour le retour de la paix en Centrafrique. Les chanteurs Youssou Ndour et Idylle Mamba sont en concert ce lundi à Paris pour récolter des fonds. Avez-vous une jonction avec ce mouvement des artistes ?
 
Nous avons été informés de cette démarche du ministre-artiste sénégalais Youssou Ndour, mais malheureusement nous ne sommes pas encore en contact avec ce mouvement. Notre association, par ma voix, lui témoigne beaucoup de reconnaissances pour avoir mobilisé l'opinion pour cette cause. Nous n'excluons rien. Nous sommes encore dans les délais. Il y a des démarches qui sont en train de se faire pour qu'on puisse le rencontrer et faire ce travail-là ensemble. Toutes les actions menées dans le but de ramener la paix en Centrafrique vont dans le même sens que ce nous faisons.
 
Il y a quelques semaines, l'ancien président François Bozizé a lancé un appel aux milices pour qu'ils déposent les armes et aux Centrafricains de s'unir pour le retour à la paix. Quel est votre sentiment sur cet appel ?
 
Son appel ne peut que participer à la recherche de la paix. Il n'y a pas un Centrafricain, quelle que soit sa position, qui reste insensé à ce qu'il se passe dans notre pays. Surtout quelqu'un comme Bozizé qui a dirigé le pays pendant dix ans, et dont le départ a occasionné l'effondrement de l'État. S'il appelle les anti-Balaka à déposer les armes ça ne peut être qu'une bonne chose pour notre association.
 
Votre association a-t-elle un lien avec le Président Bozizé ?
 
L'association Oubangui-Chari pour le vivre ensemble est purement apolitique. En même temps, elle est ouverte à toutes les sensibilités, qu'elles soient politiques ou religieuses. Tous ceux qui, de bonne foi, veulent participer à la paix, sont les bienvenus dans l'association. Pour répondre à votre question, notre association n'a aucun lien avec l'ancien Président Bozizé, ni de prés ni de loin. Par contre, nous apprécions tout acte qui tend vers la paix.
 
On sait que Bozizé, qui a été chassé par les rebelles de la Séléka en 2013, réclame un retour à l'ordre constitutionnel. Vous, qui êtes un ancien député du régime déchu de Bozizé, quelle est votre position sur ce thème, en tant que président d'Oubangui-Chari pour le vivre ensemble ?
 
Ce n'est pas à l'association de mener ces genres d'actions. Elle s'est assignée comme tâche la recherche de la paix. Si la paix revient, nous serons heureux. Mais, il n'est mentionné nulle part dans les statuts que notre association milite pour un retour à l'ordre constitutionnel.
 
Pour ce retour effectif à la paix, quelle démarche suggéreriez-vous à la présidente par intérim Catherine Samaba- Panza ?
 
Je n'ai pas rencontré Catherine Samaba- Panza. Mais à travers mes interventions dans les médias au nom de l'association, j'ai toujours soutenu que cette dame doit être appuyée. Elle est arrivée à un moment où notre pays connaît une crise sans précédent dans l'histoire. Faut-il la brancarder ? Ou bien la traiter d'incompétence ? L'abandonner ou dire qu'elle n'est pas la hauteur ? Je pense que toutes ces questions doivent être rangées dans nos armoires. Nous devons l'aider. La survie de la république dépend de cette transition qu'elle est en train de diriger. Je crois en cette dame, je crois en ses capacités. C'est que je lui demande, c'est d'être conséquent en elle-même. Elle faut qu'elle soit ferme dans ses prises de décision. Que ces décisions soient impopulaires ou pas. Il faut qu'elle ailler jusqu'au bout en ayant la fermeté en tête.

Salomon Kotro, ancien député de Centrafrique : "Personne n'a rien vu venir"
Comment est structurée votre association ?
 
On fonctionne sur le mode de la cogestion. On est à peu prés 18 membres dans le bureau, à majorité équitable avec le Tchad: un président centrafricain, un vice- président tchadien, une secrétaire tchadienne et un vice-secrétaire centrafricain, etc. C'est une façon de montrer que le vivre ensemble est possible. Le vivre- ensemble a comme devise la paix, la fraternité et la justice. C'est dans ce cadre-là que nous voulons travailler. La paix, c'est socle de tout. On ne peut pas vivre sans la paix. La justice aussi est essentielle pour une bonne harmonie dans la société. c'est pourquoi , pour ce qui se passe en Centrafrique, il faudrait aussi que la justice s'exerce librement. Parce qu'il ne faut pas commettre des actes et que ces actes-là soient impunis. Nous vivons dans un monde où on doit respecter ces principes. Le vivre-ensemble, c'est accepter la différence de l'autre, le vivre ensemble c'est accepter la religion de l'autre, c'est aussi aller vers l'autre, partager avec l'autre.
 
Pourquoi cette association est-elle constituée avec les seuls Tchadiens, alors que la géopolitique du conflit centrafricain va au-delà du Tchad ?
 
Vous savez, le Tchad est accusé à tort ou à raison -je ne sais pas- d'être derrière ce qui se passe en Centrafrique. C'est vrai, le comportement de certains militaires tchadiens sur le terrain laisse à déplorer. Ça, on le sait. Mais, comme vous le savez, dans un conflit où il y a des militaires, c'est souvent difficile de tout contrôler. Nous déplorons tout ça. Mais, quant à dire que le Tchad est derrière ce conflit, je n'ai pas de réponse à donner à cette question. Mais je dois préciser que l'association Oubangui-Chari n'est pas réservée qu'aux seuls Tchadiens. Elle est très ouverte. Aujourd'hui, il y a beaucoup de Sénégalais, Maliens, Camerounais, etc. qui sont partis. Ils sont centrafricains. Leur seul malheur, c'est parce qu'ils ont un nom musulman. Ils sont pris à partie parce qu'ils sont musulmans, donc ils sont rentrés dans leur pays d'origine pour échapper à la mort. L'association n'est pas insensible à cela. Nous avons d'ailleurs des projets à long terme. Le jour où on aura des moyens, on fera le tour de tous ces pays pour aller voir nos compatriotes. Un moment viendra, ils vont tous retourner en Centrafrique. Mais, de prime abord, nous avons voulu faire dans le symbole en structurant l'association autour du Tchad et de la Centrafrique. Mais, à terme, Oubangui-Chari sera élargie à tous ces pays où des ressortissants centrafricains sont partis se réfugier.
 
Propos recueillis par Thierno DIALLO, Afrique Conection



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