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Tchad: Le courrier qui aurait précipité l'assassinat du Dr. Outel Bono


Alwihda Info | Par - 2 Juillet 2012


La mort d’ABATCHA (qui pour les autorités tchadiennes ne fait pas de doute), et la perte de ses archives , ont été certainement un coup sévère pour la tendance « dure » de la rébellion.


Fernand WIBAUX
Ambassadeur Haut Représentant de la République Française au Tchad
A S.E. Monsieur le Ministre des Affaires Etrangères
Direction des Affaires Africaines et Malgaches
PARIS

A/S. Organisation intérieure et extérieure de la rébellion

DOCUMENT CONFIDENTIEL

Lors des opérations menées dans la première quinzaine de février contre la zone-refuge des hors-la-loi situés dans le département du Salamat, les forces de l’ordre ont saisi dans les bagages du chef rebelle Ibrahim ABATCHA, tué le 11 février, une grande quantité de documents. Le Secrétaire général du « FROLINA », homme d’ordre, tenait soigneusement des états d’affectifs, enregistrait au départ son courrier, dont il gardait copie, et conservait les lettres qu’il recevait.
Le dépouillement de ces volumineuses archives, manuscrites en français et en arabe, vient à peine d’être achevé.
Les états d’effectifs, qui comportaient pour chaque recrue des précisions d’état-civil, et la date d’enrôlement, font apparaître la faiblesse des troupes régulières dont disposait la rébellion. A la fin du mois de février dernier 432 combattants réguliers, au total, étaient inscrits. Si l’on retranche les pertes subies en décembre au Kanem (affaire d’IRONGA) et en février, au cours des opérations du Salamat, c’est à 250 hommes environ qu’on peut estimer les forces rebelles après la mort d’ABATCHA.
Un « communiqué de guerre n°4 », du 8 novembre 1967, fait le bilan des résultats obtenus par les bandes du FROLINA, il affirme que du 22 juin 1966 au 21 septembre 1967, 1983 ‘ennemis » ont été tués, 15 faits prisonniers et 125 armes saisies. Le communiqué indique d’autre part qu’il a libéré la population de l’Est tchadien du paiement de la taxe civique, « infligeant ainsi un déficit d’un milliard et demi de FCFA dans le budget tchadien ».

Sur le plan de la subversion politique intérieure, l’exploitation des archives d’ABATHA a permis aux autorités tchadiennes de démasquer divers exécutants et notamment de mettre hors d’état de nuire un réseau du FROLINA installé à FORT-ARCHAMBAULT depuis 1967. A un niveau plus élevé, la complicité de diverses personnalités musulmanes, dont trois députés, un sous-préfet  du Ouaddaï, M. Abakar KADADE, le sous-préfet de GOZ-BEIDA, le Docteur OUTEL BONO, médecin tchadien, qui exerce à l’hôpital de FORT-LAMY et qui fut naguère emprisonné, sont également cités. Des lettres leur ont été adressées. Toutefois, il ne ressort pas de documents, du moins de ceux dont j’ai eu connaissance, qu’ils aient répondue aux sollicitations d’ABATCHA.

Mais la plus grande part des papiers saisis concerne les activités extérieures du FROLINA. Un rapport adressé à Ibrahim ABATCHA, le 15 septembre 1967, par Abakar DJALLABOU, « Président de la délégation extérieure » fait le point des démarches de ce dernier auprès de divers gouvernements étrangers, en vue de les intéresser à la cause de la rébellion.
A ALGER, où se trouve son quartier général, Abakar DJALLABOU a vu le « responsable des mouvements de libération chargé des relations exterieures auprès du Secrétaire exécutif du F.L.N. ». Il semble qu’il ait auss pris contact, dans la capitale algérienne, avec des agents cubains.

A DAMAS, où il s’est rendu à plusieurs reprises, il a pu se faire entendre du « Président chargé des relations extérieures par le parti Baas ».
A BAGDAD, en novembre 1966, Abakar DJALLABOU a été reçu par le Directeur des Affaires Politiques au Ministère des Affaires Etrangères.

A KOWEIT, en novembre également, il a eu un entretien avec le Directeur du Cabinet du Ministère des Affaires Etrangères.
En LIBYE enfin, en août 1967, il a remis un mémorandum au Directeur du Cabinet royal, il s’est d’autre part efforcé de réchauffer le patriotisme de la colonie tchadienne qu’il estime à 40 000 personnes. Dans ce milieu, certainement favorable, M. DJALLABOU a pu distribuer des cartes et collecter des cotisations et des dons. Il a rencontré, dit-il, « certains sultans » ayant fui le Tchad. Le contexte laisse à penser qu’il pourrait s’agir du « Derde » de ZOUAR, celui-là même qui devait quelques mois plus tard être à l’origine de l’agitation toubou dans le Tibesti.

Le rapport d’Abakar DJALLABOU paraît surtout inspiré par un besoin de justification. Il veut démontrer qu’il n’a pas perdu de temps. En fait, les résultats obtenus semblent maigres. Le commis-voyageur du FROLINA n’a obtenu à ALGER, TRIPOLI, BAGDAD et KOWEIT que des réponses d’attente. La réponse syrienne et celle des Cubains paraissent avoir été plus favorables. Mais rien n’indique que les promesses faites ont été suivies d’effet.
Ibrahim ABATCHA n’a d’ailleurs pas laissé au seul DJALLABOU le soin de rechercher des appuis extérieurs. Il a lui-même écrit au Roi FAYCAL, au Maréchal AREF, au Président BOUMEDIENNE et au Président du Conseil de la Révolution syrienne.
Il a demandé au Représentant Permanent de l’U.R.S.S au secrétariat de l’organisation de solidarité afro-asiatique au CAIRE, d’intervenir pour l’admission du FROLINA comme représentant du Tchad auprès de l’organisation.
On trouve également dans sa correspondance, la copie d’une lettre adressé au « camarade » René RAINDORF, rédacteur à la « Voix du Peuple ».

Dans l’exposé des buts du FROLINA, Ibrahim ABATCHA modifiait l’éclairage suivant la qualité de son destinataire : pour le Roi FAYCAL, il décrivait le Président TOMBALBAYE comme un « agent du sionisme mondial » dont l’objectif « est de faire disparaître les traces de l’Islam et de l’arabisme au Tchad, et de faire obstacle à la diffusion de la culture islamique et arabe vers le reste des pays africains ». Au « camarade MAKSUDOV », il déclarait que le FROLINA lutte « contre la domination coalisée franco-américane-israélite » et terminait par des « salutations de classe ». Quant au Comité chinois de solidarité afro-asiatique, il se voyait gratifié d’un morceau d’éloquence marxiste et prié de faire parvenir au FROLINA les œuvres choisies du Président MAO.

En revanche, les demandes d’assistance variaient peu d’un destinataire à l’autre. ABATCHA réclamait des médicaments, des armes et des vêtements, du matériel de propagande (machines à écrire, appareils photos, etc…) et, bien entendu, une aide financière.
L’examen de l’ensemble de ces documents fait apparaître que les efforts du FROLINA pour se faire connaître à l’extérieur, à partir de ses bases d’ALGER ou de KHARTOUM, ont été plus développés et plus méthodiques qu’on ne le soupçonnait. Mais je remarque que la correspondance du chef rebelle reste muette sur deux points importants :
-il n’y est pas question de démarches auprès des gouvernements du CAIRE et de KHARTOUM. Cependant la recherche de leur appui ou du moins de leur bienveillance, a dû être au premier rang des préoccupations d’ABATCHA.
-On n’y trouve aucune allusion aux divergences qui opposent le FROLINA au F.L.T.
La mort d’ABATCHA (qui pour les autorités tchadiennes ne fait pas de doute), et la perte de ses archives , ont été certainement un coup sévère pour la tendance « dure » de la rébellion.

L’organisation extérieure continue apparemment à fonctionner ; elle s’est manifesté dès le 6 mars, à ALGER, par un communiqué affirmant que le Secrétaire Général du FROLINA était toujours en vie.
Sur le plan intérieur, il serait prématuré d’affirmer que les bandes armées sont désormais désorganisées et incapables d’une action de quelque envergure.

Tout récemment, un groupe de 250 hommes environ à effectuer plusieurs opérations le long du Bahr Azoum, au Nord-Est d’AM-TIMAN, et on signale ces derniers temps de nombreuses infiltrations rebelles dans le Ouaddaï et dans le Salamat.
D’après les camionneurs qui se déplacent dans ces régions, les hors-la-loi s’installent par très petits groupes dans les villages et s’intègrent à la population. Cette présence est difficilement décelable car les villageois vivent dans la hantise des représailles et observent mutisme le plus complet sur tout ce qui touche à la rébellion.
La saison des pluies commençante va rendre plusieurs mois les routes de l’Est impropres à la circulation des véhicules. Cette période de l’année, où les forces de l’ordre sont condamnées à la défensive, est donc la plus favorable pour les rebelles. Ceux-ci, après une série d’échecs, ont besoin d’un succès et il faut s’attendre dans ces conditions à une vive reprise de leurs activités. L’absence de toute tentative de leur part, au cours des prochains mois, apporterait par contre la preuve de leur impuissance.

Alwihda actualités du lundi 2 juillet 2012



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