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POINT DE VUE

Tchad : Le phénomène de l'avortement clandestin refait-il vraiment surface ?


- 5 Février 2014



Par BELEMGOTO Macaoura

En Mars 2011, le cadavre d’un bébé retrouvé dans un sac en plastique déchiqueté en partie par des chiens. Alwihda INFO/M.A.
En Mars 2011, le cadavre d’un bébé retrouvé dans un sac en plastique déchiqueté en partie par des chiens. Alwihda INFO/M.A.
 "Depuis quelques semaines, l’avortement clandestin se multiplie à un rythme gênant dans la capitale tchadienne".
 
C'est ce qu'affirme Mahamat Ramadane dans un article publié sur Alwihda info. Mais l'auteur ne nous dit pas sur quoi il se base pour nous sortir une telle affirmation. Une activité clandestine est par définition, une activité non maîtrisée en terme de prévalence. On ne sait pas à quel rythme elle se pratique. Seules les complications et certaines découvertes macabres donnent un petit reflet de la fréquence de cette pratique. Cependant, un foetus en décomposition découvert par les agents de la mairie, et quatre filles suspectes d'avortement clandestin dans la même semaine ne doivent pas suffire pour affirmer que le phénomène devient inquiétant. Le phénomène a toujours existé et existera toujours. L'ampleur restera tout au plus proportionnelle à la démographie du Tchad. C'est un peu comme si l'on disait que le phénomène des rapports sexuels non protégés hors mariage refait surface sur un rythme inquiétant. 
 
Le phénomène de l'avortement clandestin est inquiétant en terme de la forte mortalité qu'il produit.
 
"Selon les investigations faites par Alwihda, toutes sont des jeunes filles de vingtaine d’année. Mais l’on ignore pour quoi ces jeunes filles préfèrent se débarrasser de ces fœtus que de les garder jusqu’à l’accouchement".
 
 
Alwihda pourrait-il nous donner plus de précisions sur les investigations menées ?  (Sur quel échantillon, étalé sur combien de temps, dans quelles localités du Tchad,  les âges extrêmes (l'âge moyen étant de la vingtaine), les conditions socio-économiques de l'échantillon étudié, pourcentage des femmes mariées, élèves, collégiennes, lycéennes,  la méthode abortive, l'âge de la grossesse, quelle a été la manière d'approcher les filles...) autant d'éléments d'informations très intéressantes à fournir quand on mène des investigations sérieuses sur un fléau comme l'avortement clandestin.
 
On ne peut pas vivre au Tchad et feindre d'ignorer pourquoi "ces jeunes filles préfèrent se débarrasser de ces foetus que des garder jusqu'à l'accouchement".
 
Les explications sont simples, évidentes, comme le nez sur la figure : il s'agit toujours :
  • d'une grossesse non désirée 
  • chez une femme presque toujours célibataire, jeune, à l'école primaire, au collège, au lycée ou non,
  • sans aucun moyen efficace de contraception (il en faut, des moyens financiers pour une contraception efficace)
  • complètement dépendante de sa famille, donc sans ressources suffisantes pour faire vivre un enfant, 
  • presque toujours, la grossesse n'est pas assumée par le garçon. Le plaisir est partagé mais pas les conséquences.
  • avec un poids social lourd à porter : le regard des autres, la menace d'être renvoyée de chez les parents et de se retrouver dans la rue, ou chez le garçon géniteur irresponsable et sans ressources. Souvent les grossesses non désirées sont l'occasion de mariage forcé. 
  • sans oublier le poids de la religion, etc.
 
Brefs, ce sont simplement les conditions socio-économiques défavorables qui poussent les femmes en âge de procréer à mettre un terme à leur grossesse dans n'importe quelles conditions.
 
 Il est quand même un peu décevant que Alwihda ne nous ressorte pas les éléments de ses investigations dans leur ensemble.
 
L'AVORTEMENT CLANDESTIN : UNE SOURCE DE MORTALITÉ NON NÉGLIGEABLE AU TCHAD
 
Au Tchad, et dans la plupart des pays africains, l'avortement est illégal. Le taux d'avortement thérapeutique est très faible. Du coup, tous les avortements sont clandestins. Et les personnes qui paient un lourd tribut pour une loi aussi aberrante, sont les femmes. Chaque année, elles sont plusieurs milliers à mourir en Afrique dans les suites d'un avortement clandestin. L'interdiction de l'activité pousse les femmes à avoir recours à n'importe quoi pour avorter. Dans la panique, on ne réfléchit pas beaucoup : décoction ou comprimés de toutes sortes sont avalés dans un but abortif. Les filles y laissent souvent leur vie suite à des intoxications médicamenteuses mortelles.  Il y a celles qui meurent suite des hémorragie, ou une infections sévères dans les suites d'un avortement pratiqué dans des circonstances dangereuses. Le tétanos post-abortum est fréquent et mortel à presque 100%. Celles qui survivent sont exposées au risque d'infertilité avec encore un autre regard social à affronter : la femme stérile !
 
ET POURTANT 
 
Dans des villes comme N'Djamena, Dakar, Lomé, Cotonou, Abidjan, Yaoundé, etc, pour ne citer que celles-là, on connait les cliniques, les médecins, les infirmiers, les aides-soignant(e)s, qui pratiquent les avortements clandestins. Dans chaque ville au Tchad ou ailleurs, on peut fournir une cartographie des pratiques de l'avortement clandestin. On se passe l'info de bouche à oreille pour aller voir l'avorteur. C'est une source d'enrichissement illicite bien connue. Bien que l'avortement soit illégal, aucun médecin, aucun infirmier, voire aucun aide-soignant ne s'est retrouvé devant un tribunal, pour avoir pratiqué un avortement ! Silence ! On tue ! Mais on ferme les yeux. La coupable, c'est la femme. Fallait pas qu'elle tombe enceinte !
 
LES RICHES TOUJOURS AVANTAGÉES
 
L'avortement clandestin : voilà une pratique qui permet de distinguer les riches et les pauvres en Afrique. Celles qui ont les moyens vont voir un médecin dans une clinique, un hôpital, qui leur fait l'avortement clandestin dans de bonnes conditions d’asepsie, sans complication majeure. Parfois ces femmes riches se rendent à l'étranger pour avorter. Celles qui n'ont pas les moyens, les pauvres ado, vont voir un infirmier, un aide-soignant, qui a son "bloc opératoire" pour pratiquer les avortements clandestins. Souvent c'est la chambre qui fait office de "bloc opératoire". Quand ça se complique, les patientes se retrouvent dans les hôpitaux dans un état grave. Elles peuvent mourir. En aucun cas, l'avorteur ne sera inquiété par la justice.
 
LE POIDS DE LA RELIGION
 
Pour les religions soit disant révélées présentes au Tchad, l'avortement est un péché grave, donc interdit par Dieu. Dans le dernier message de la Conférence des évêques du Tchad, la banalisation de l'avortement a été dénoncée. L'islam interdit également l'interruption volontaire de grossesse. Mais il faut remarquer que ces religions ainsi que les pouvoirs publics mènent la politique de l'autruche. Le mal est là, les jeunes femmes continuent de mourir mais on continue à les culpabiliser sans trouver de solutions à ce fléau. L'avortement est présenté par les religions soit disant révélées comme un assassinat. Ce qui est ahurissant, c'est qu'on semble fermer les yeux sur d'autres crimes pour indexer uniquement l'avortement. On s'entre-tue au nom de la religion : péché véniel ! Mais quand une fille décide de mettre fin à sa grossesse, ah non ! C'est un péché mortel.
 
LE DROIT A L'AVORTEMENT : UN DROIT QUE LES FEMMES AFRICAINES DOIVENT CONQUÉRIR
 
C'est un malheur que de naître femme sur le continent africain, de surcroît quand on est pauvre. L'avortement fait des milliers de victimes, mais on continue de l'interdire aveuglément, officiellement du moins, tout en fermant les yeux sur ce qui se pratique dans la clandestinité. Le droit à l'avortement ne fait pas encore partie du débat politique en Afrique Noire. C'est consternant. Les lobbies religieux sont très puissants.  Les religieux se contentent juste de dénoncer l'avortement, sans rien proposer en retour. Pendant ce temps, en Europe, les jeunes filles ont droit à l'avortement. Mais il faut souligner que même en Europe, en France par exemple, il n'a pas été facile non plus de donner ce droit légitime aux femmes. La loi Simone Veil ne date que de 1975. Lors du débat parlementaire, certains députés n'ont pas trouvé d'autres arguments que de brandir la Bible pour s'opposer à ce droit : toujours la religion, encore la religion. Mais la loi est passée, elle est même assouplie cette année pour permettre aux femmes de faire ce qu'elles veulent de leur corps. L'islam et le christianisme sont des religions du crime dans ce domaine.
 
En Afrique, il faut se battre pour donner le droit d'interruption volontaire de grossesse aux femmes. C'est le seul moyen de mettre fin au taux élevé de mortalité liée directement aux complications de l'avortement. C'est un crime que de regarder nos filles, complètement aux abois, mourir, suite à une simple grossesse non désirée. Arrêtons de nous voiler la face : l'avortement doit être gratuit et pratiqué dans les hôpitaux dans de bonnes conditions afin d'enrayer la mortalité de nos jeunes filles. Il faut par ailleurs donner à nos filles des moyens de contraception efficace. Mais on n'en est pas encore là en Afrique, tant que ces religions inventées de toutes pièces ailleurs et exportées sur notre continent, continuent d'aveugler les pratiquants, les poussant à se mêler de tout, même de ce qui ne les regarde pas. L'imam et le curé n'ont absolument rien à voir dans ce débat. Les religieux, ces camarillas des pouvoirs politiques, disent qu'il faut respecter la vie de l'embryon. Mais il faut également respecter la vie des filles qui sont les premières à être concernées : ce sont elles les victimes.
 
 Il est plus que temps d'agir : le débat sur la légalité de l'interruption volontaire de grossesse doit être posé sur la table et discuté. C'est simplement criminel de continuer à regarder les bras croisés, nos filles mourir au printemps de leur vie, sous le prétexte fallacieux qu'on est des croyant. Arrêtons l'hypocrisie.
 
 
BELEMGOTO Macaoura



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