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ANALYSE

"Justices" exécutrices de challengers !


Alwihda Info | Par Mamadou Oumar Ndiaye - 26 Janvier 2020


En Afrique, les chefs d’Etat au pouvoir sont décidément passés maîtres, ces dernières années, dans l’art d’activer leurs « justices » pour neutraliser des opposants dangereux qui auraient l’outrecuidance de les défier aux urnes.


Mamadou Oumar Ndiaye. © DR
Mamadou Oumar Ndiaye. © DR
Guillaume Soro ne sera pas candidat à l’élection présidentielle ivoirienne de la fin de cette année. Motif : la « justice » éburnéenne a lancé contre lui un mandat d’arrêt international pour tentative de déstabilisation du pays. Plus exactement, le qualificatif retenu par le procureur Adou richard, c’est : « tentative d’atteinte à l’autorité de l’Etat et à l’intégrité du territoire national ». pas moins ! Et défense de rire…

Des faits qui remonteraient à 2017 et dont la glorieuse « justice » du pays des Eléphants ne s’est saisie qu’il y a quelques mois, lorsque des négociations de la dernière chance ont échoué et qu’il est devenu certain que l’ancien président de l’Assemblée nationale n’allait pas soutenir le dauphin présumé du président Alassane Dramane Ouattara. C’est-à-dire son actuel vice-président Amadou Gon Coulibaly. passe encore que l’ « insolent » Soro ait refusé d’adhérer au Rhdp (Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la paix) créé au forceps par le président Ouattara et regroupant, outre son parti, le Rdr, des transfuges du parti démocratique de Côte d’ivoire (Pdci), parti de son ex-allié au pouvoir, l’ancien président Henry Konan Bédié, plus quelques partis cabines téléphoniques. Mais refuser de soutenir le candidat du

président Ouattara et même envisager de se présenter contre lui !

C’était là un casus belli, assurément, et il fallait faire payer très cher à l’ex-patron de la rébellion armée des Forces nouvelles cet affront. D’où l’invention de cette « tentative de déstabilisation » pour suspendre l’épée de Damoclès d’un emprisonnement sur la tête de Soro au cas où il s’aviserait de se promener sur les bords de la Lagune Ebrié d’ici décembre prochain. Car après les élections — et la victoire souhaitée de Gon Coulibaly — tout sera toujours possible au nom d’une énième réconciliation nationale… Sénégal : Comme le facteur du film, le Président Macky (empri) sonne toujours deux fois !

En Afrique, les chefs d’Etat au pouvoir sont décidément passés maîtres, ces dernières années, dans l’art d’activer leurs « justices » pour neutraliser des opposants dangereux qui auraient l’outrecuidance de les défier aux urnes. Dans ces cas, à la « justice » de jouer et de neutraliser ces empêcheurs d’être réélus les doigts dans le nez ! Charité bien ordonnée…

Débutons ce petit tour d’horizon des présidents emprisonneurs par notre beau pays. pour mettre toutes les chances de son côté à l’élection présidentielle de février dernier, le candidat Macky Sall n’a pas eu d’états d’âme : il a actionné sa « justice » pour jeter en prison Karim Meïssa Wade et Khalifa Sall, présentés comme devant être ses plus redoutables challengers.

Il lui a suffi d’emprisonner le premier pour « enrichissement illicite » avant de l’exiler chez les émirs du Golfe, et le second pour escroquerie sur les deniers de sa mairie et le tour était joué ! D’ailleurs, à voir le féroce procureur de la république de Côte d’ivoire exposer gravement les faits d’atteinte à l’autorité de l’Etat dont se serait rendu coupable le pauvre Guillaume Soro — qui avait pourtant porté Ouattara au pouvoir ! —, on

se croirait en face de son alter ego sénégalais, Serigne Bassirou Guèye, en train de charger Karim ou Khalifa Sall ! réélu — à vaincre sans péril… —, Macky Sall a gracié le second et engagé des négociations avec le père du premier. L’essentiel, c’était de rempiler !

Trafic de bébés et escroquerie immobilière

Pour rester dans la sous-région ouest-africaine, dans l’espace Uemoa si l’on préfère, faisons escale au Niger. où, sans autre forme de procès, le président de la république, Mahamadou Issoufou, pour écarter son plus sérieux rival à la dernière présidentielle, Hama Amadou, a actionné lui aussi sa « justice » qui n’a pas cherché loin pour trouver un « crime » à reprocher à l’ancien président de l’Assemblée nationale de ce vaste pays sahélien. Ce « crime », c’est celui de « trafic de bébés » en provenance du Nigéria et il a suffi pour jeter au gnouf l’infortuné Hama Amadou ! Malgré tout, étant donné que sa candidature avait été validée par l’instance chargée des élections, il avait pu, du fond de sa cellule, mettre le président en exercice en ballotage ! Autrement dit, il avait réussi à se qualifier pour le second tour. n’ayant pas pu battre campagne et négocier des alliances, Hama avait finalement été battu à l’issue du second tour par le sortant. il purge actuellement le restant de sa peine après être parti se réfugier à paris… Là aussi, on prête au très démocrate Issoufou l’intention de le gracier ! Direction l’Afrique centrale où l’ancien président Joseph Kabila, n’étant pas très sûr de remporter l’élection à multiples prolongations — qui s’est finalement tenue en décembre 2018 et qu’il a perdue — et ayant surtout peur de la popularité de l’ex-gouverneur de la richissime province du Katanga, Moïse Katumbi, également propriétaire du grand club de football tout-puissant Mazembé, Joseph Kabila, donc, a lui aussi fait emprisonner Moïse Katumbi par sa « justice ».

Motif : une « escroquerie immobilière » au détriment d’un mystérieux propriétaire grec actionné pour les besoins de la cause. D’ailleurs, avant le verdict de ce procès rocambolesque, la juge en charge du dossier avait reçu une visite « amicale » du patron de la très redoutée Agence nationale de renseignement (Anr) venue la « conseiller » sur la sentence à rendre. Elle avait été obligée de prononcer une peine ferme à l’encontre de l’opposant ! Depuis lors, d’ailleurs, elle a fui le pays. Après Katumbi qui n’avait pas attendu l’issue de ce procès pour se faire la malle. D’autant plus qu’une autre affaire judiciaire, de « recrutement de mercenaires » cette fois-ci, lui pendait sur la tête !

Des juges qui ne perdent pas le Nord…

Mais que ceux qui avaient tendance à croire que ces persécutions politico-judiciaires contre des opposants — en tout cas des challengers de présidents au pouvoir — n’avaient cours que de ce côté-ci du continent se détrompent : en Afrique du nord, aussi, elles existent ! A preuve par la Tunisie où, durant l’élection présidentielle d’il y a quelques mois, le candidat Nabil Karaoui, présenté par les sondages comme devant être le plus sérieux rival de l’alors premier ministre Youssef Chahed (le président en exercice est mort juste avant la fin de son mandat), s’est retrouvé au cachot à deux semaines à peine du démarrage de la campagne électorale. Ce sous l’accusation de « fraude fiscale ». Là également, la glorieuse « justice » tunisienne était entrée en action ! Sans avoir pu aller à la rencontre des tunisiens, Karaoui avait néanmoins réussi à se qualifier pour le second tour à l’issue duquel il avait été battu par l’homme qui préside désormais aux destinées du pays : Kaïs Saïed. Ce petit tour d’horizon — qui n’est pas exhaustif — juste pour montrer combien le fait d’être challenger des présidents en exercice sur notre continent

peut être suicidaire. Et à quel point nos « justices » peuvent être sévères pour ces impertinents qui veulent déboulonner les présidents qui les ont mises en place. ou, du moins, ont nommé les juges obséquieux qui trônent à la tête de ces juridictions. retour à la case départ, c’est-à-dire en Côte d’ivoire où, comme c’est curieux, Alassane Ouattara qui vient d’actionner sa « justice » contre son ancien allié Soro Guillaume, avait pourtant été victime des mêmes pratiques qu’il met en œuvre aujourd’hui contre un rival de son dauphin présumé. A l’époque — Bédié était président…—, on lui avait tout simplement dénié la nationalité ivoirienne. Et on avait dit qu’il était un Burkinabé ! pour laver l’affront, Soro avait déclenché la lutte armée à partir du…Burkina pour permettre à Ouattara de prendre le pouvoir. Et voilà qu’il est accusé aujourd’hui de déstabiliser le pays par devinez qui ? Le même Alassane Ouattara qu’il avait porté au pouvoir !

Mamadou Oumar Ndiaye
« Le Témoin » quotidien sénégalais



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