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ANALYSE

Débat sur la future Constitution en RCA : Un consociationalisme ne fera qu’exacerber le patrimonialisme qui nous tue !


Alwihda Info | Par Adrien Poussou - 27 Mars 2014


Contribution au débat sur la future Constitution de la République Centrafricaine : Un consociationalisme centrafricain comme suggéré par Maître Crépin Mboli-Goumba ne fera qu’exacerber le patrimonialisme qui nous tue!


Par Adrien Poussou

Georges Adrien Poussou, ex-Ministre de la Communication, de la Promotion de la culture civique et de la Réconciliation nationale. Photo : © journaldebangui.com
Georges Adrien Poussou, ex-Ministre de la Communication, de la Promotion de la culture civique et de la Réconciliation nationale. Photo : © journaldebangui.com
Contribution au débat sur la future Constitution de la République Centrafricaine :  Un consociationalisme centrafricain comme suggéré par Maître Crépin Mboli-Goumba ne fera qu’exacerber le patrimonialisme qui nous tue!  
 
C’est par l’une de ces coïncidences de dates dont l’Histoire se régale que le président du Conseil national de transition (CNT) a annoncé que son institution lancerait bientôt les travaux de rédaction de l’avant-projet de la future constitution de la République Centrafricaine. 
 
Ce chantier n’est pas encore lancé qu’il suscite tant de réactions et fait couler encres et salives. 
 
Là, où l’on aurait espéré que chacun de nous ait à coeur d’aller au-delà d’une analyse sociale superficielle qui ne concerne que les effets et n’appréhende pas les causes sous-jacentes de la crise centrafricaine, afin d’apporter une contribution à la hauteur de l’espérance de nos compatriotes, certains, et non des moindres, y ont vu l’occasion de pouvoir denier au CNT le droit de rédiger la future constitution alors que l’article 55 de la charte constitutionnelle dispose le contraire. Tandis que d’autres, par haine mais aussi simplement par paresse intellectuelle, ont plutôt choisi de vitupérer ceux qui ont essayé de donner des orientations, les leurs, relatives au futur cadre institutionnel de notre pays. 
 
Ce faisant, et pour paraphraser un grand homme africain, « consommatrice passive et lamentable, l’élite centrafricaine se regorge de vocables fétichisés par l’Occident comme elle le fait de son whisky et de son champagne, dans ses salons à l’harmonie douteuse ». De sorte que l’on cherchera en vain, depuis le départ éternel des Alphonse Blagué et autres Zarambaud Assingambi, des productions iconoclastes ou des concepts neufs issus de la réflexion de nos proclamés « grands » intellectuels qui se sont transmué, inexorablement, en Torquemada dont le terrain de prédilection demeure le Net. Le pire, c’est qu’ils ne savent pas qu’ils ne savent rien et qu’ils oublient que toute évolution postule un débat théorique rigoureux. 
 
Dans sa « contribution à la redéfinition des institutions de la République », le président du Parti africain pour la transformation radicale et l’intégration des États (PATRIE), mon ami et frère Maître Crépin Mboli-Goumba, a évoqué un concept qui trouve un vrai écho en moi et sur lequel il me donne envie d’embrayer: c’est le « consociationalisme» auquel je ne suis pas sûr de donner tout à fait la même valeur, encore moins préconiser comme une éventuelle solution pour sortir du cycle infernal d’instabilité de notre pays. Bien au contraire. Je pense même qu’un « consociationalisme » centrafricain ne ferait qu’exacerber le « patrimonialisme » qui obstrue toute possibilité de développement du pays. Et je vais, dans les lignes qui suivent, tenter de le démontrer.
 
Le consociationalisme ou l’illustration des limites de la gouvernance par quotas. 
 
Il convient, selon Socrate, le grand philosophe pas le fils de celui que l'on sait, de créer une tension dans l’esprit des individus afin qu’ils se libèrent des chaînes imposées par les mythes et les demi-vérités, et s’élèvent jusqu’au libre domaine où régent l’analyse créatrice et l’appréciation objective. Devant la tragédie que vit le peuple centrafricain, due à l’irresponsabilité et à la soif du pouvoir d’une classe politique toujours en quête d’intérêts bassement égoïstes, Maître Mboli-Goumba, reconnaissons-le, a eu le mérite, en tant qu'un homme politique, de préconiser une option qu’il croit être la voie royale pouvant permettre de juguler l’instabilité chronique de la République Centrafricaine. 
 
Cependant, de mon point de vue, le système consociatif est le meilleur pacte établi entre les membres de l’élite politique pour exercer le pouvoir sans être responsables, et pour échapper à l’obligation de rendre compte.  Car, si l’on interrogeait le passé récent de notre pays, l’on s’apercevra que son « ingouvernabilité » est une conséquence de l’usage « informel » fait du concept consociatif par l’élite patrimoniale centrafricaine: les Accords de Libreville du 11 janvier 2013 qui avaient préconisé la répartition des pouvoirs dans le pays en sont une parfaite illustration. Faut-il rappeler que ces accords prévoyaient qu’une bonne partie du pouvoir exécutif d’alors, détenu par un président de la République impopulaire, soit confié à un Premier ministre au pouvoir renforcé issu des rangs de l’opposition et qui ne pouvait être démis de ses fonctions, avec à la clé des critères de répartition des cabinets ministériels qui devraient refléter le poids des différentes composantes de l’élite politique en présence. C’est ce que l’on pourrait appeler le « consociationalisme » centrafricain, même si, tout cela ne fait allusion à l’ethnie. 
 
Cet arrangement a malheureusement un inconvénient de taille: il a engendré une situation où les responsables politiques sont déresponsabilisés à l’égard des conséquences de leur gestion des affaires publiques. Ainsi, le Premier ministre du  gouvernement auquel nous avons appartenu Maître Mboli-Goumba et moi-même, pouvait bien dire qu’il s’agissait d’une équipe qui n’était pas la sienne mais plutôt d’un cabinet « concoctationel » qui a reproduit en son sein le poids des différentes composantes de l’élite politique. Cela veut dire qu’il n’en était pas responsable, puisque tout le monde était responsable dans ce gouvernement et tout le monde ne l’était pas. D’ailleurs, certains ministres qui n’appartenaient pas à sa mouvance politique avaient la fâcheuse tendance d’évoluer en électron libre, sans lui rendre compte. Quoi de plus normal, d'entendre ces derniers temps, certains responsables politiques évoquer la responsabilité collective de l'ensemble de la classe politique centrafricaine dans l'échec de la précédente transition afin de camoufler leurs propres turpitudes. 
 
Dans ces conditions, même si nous ne sommes plus un pays normal, même si les fondements mêmes de la Nation centrafricaine ont été abranlés et que la notion du vivre-ensemble a pris un sacré coup, il serait peu judicieux voire même franchement dangereux, d’introduire des quotas ethno-communautaires dans la gestion de la res publica. Ces deux mots qui rappellent que dans le cadre républicain, nulle confiscation n’est concevable  pour quelque clan ou quelque particularisme que ce soit. Autrement dit, au sein de la République, les places de chacun se gagnent au mérite et non à la cooptation de réseau, de connivence, d’intrigue ou de faction. De sorte qu’on pourrait un jour se retrouver à la Présidence ou à la Primature, si ce n’est déjà le cas, avec les membres d’une seule ethnie, parce qu’on aurait inscrit dans un accord que telle ou telle autre fonction reviendrait à son représentant. C’est alors que l'on n’évitera pas des situations assez ubuesques où la moindre nomination dans l'administration mettrait du temps, s’étalera en longueur, parce que les différentes factions qui se considèrent comme les représentants de leurs clans auront décidé de se neutraliser. D’ailleurs, le fait que les autorités burundaises ne veulent plus entendre parler des Accords d’Arusha établissant des quotas dans l’attribution des postes dans l’administration et veulent modifier la constitution incite à plus de prudence. On me rétorquera que c’est surtout pour briguer un autre mandat que Pierre Nkurunziza entend modifier la constitution de son pays. Soit. 
 
Mais, j’en suis moi, presque arrivé à la conclusion regrettable que c’est l’ethnicisation qui constitue ce mur opaque dont se nourrit l’élite politique et sur lequel  butent toutes les volontés de développement. Ce qu’il nous faut donc, c’est de briser ce mur opaque, qui est la première cause de nos malheurs, pour désethniciser notre démocratie. Telle est une première piste de réflexion. 
 
Par ailleurs, le « consociationalisme» centrafricain ne fera qu’amplifier le patrimonialisme déjà en vigueur. On s’en doute, le concept de patrimonialisme exprime le fait qu’un individu parvenu à occuper une charge publique, administrative ou politique, utilise sa position ou son poste et les attributions qui en découlent, comme s’il les avaient hérité, ou comme si c’étaient les siens propres. Il évoque un mode de domination historique, analysé pour la première fois par Max Weber. Le concept renvoie donc à l’appropriation privative des charges publiques par leurs détenteurs. Il permet surtout de définir un genre particulier d’élites politiques, les élites patrimoniales, et un genre d’État, l’État patrimonial. Les élites en question sont ainsi définies par le rapport qu’elles entretiennent avec l’État, qui est un rapport d’appropriation privative de ses ressources. La politique est pour elles un business.
 
Voilà donc le mal centrafricain, où ses élites politiques patrimoniales ne se sont jamais sentis concernées par le développement, mais par l’accumulation de ressources économiques et politiques, ce qui est source d’arbitraire, induit une incertitude et contribue à la désinstitutionnalisation qui se manifeste à travers la personnalisation du pouvoir. Laquelle personnalisation du pouvoir qui conduit à l’exclusion, un autre fléau centrafricain. 
 
C’est pourquoi, avec mes anciens amis du Mouvement citoyen Fini Kodé, et j’ai eu l’occasion d’en discuter toute une nuit à New York avec un spécialiste du droit public, l’ex-ambassadeur Charles Armel Doubane pour ne pas le nommer, nous avions préconisé que pour sortir définitivement du cycle infernal de l’instabilité chronique de notre pays, il serait préférable de renforcer les pouvoirs de l’Assemblée nationale qui élirait le président de la République. Celui-ci n’aura plus qu’une fonction de représentation. Cela va sans dire que l’ensemble du pouvoir exécutif qu’il détenait devra être confié entre les mains du Conseil des ministres, présidé par un Premier ministre issu de la majorité parlementaire. Ce sera donc ma seconde préconisation. Et que l’on ne vienne pas nous dire que nous évoquions là le parlementarisme des troisième et quatrième Républiques françaises qui se sont salement cassés les dents.    
 
Adrien Poussou 
Ancien Ministre 



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