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REACTION

Tchad: un ancien ministre de Habré promet l’enfer aux victimes qui osent réclamer la justice


Alwihda Info | Par - ҖЭBIЯ - - 7 Août 2008


Est-il utile pour la démocratie notamment de promettre l’enfer à tous ceux qui ne partagent pas vos idées? Quand on pense que beaucoup de Tchadiens croyaient sincèrement que l’arrivée à la tête du pays d’un compatriote vivant en occident pourrait constituer une chance pour la démocratie au Tchad, ces propos tenus par un exilé politique vivant en Suisse ont de quoi faire déchanter les plus optimistes. Notre surprise est d’autant plus grande que jusqu’ici le compatriote Yogogombaye nous a plutôt habitué à des réflexions plus constructives.


Tchad: un ancien ministre de Habré promet l’enfer aux victimes qui osent réclamer la justice

Par Benyamine

L’annonce de la tenue prochaine du procès de l’ex-dictateur tchadien commence à chauffer bien des esprits. Dans un tel contexte, on s’attend tout naturellement à des réactions passionnées, voire maladroites des inconditionnels d’Habré qui se rendent maintenant à l’évidence non sans amertume que la lutte qu’ils ont menée contre la tenue de ce procès leur échappe. C’est dans cette ambiance de panique à bord qu’il faut situer le papier du compatriote Yogogombaye Michelot paru sur le net. Une sortie qui surprend à la fois par la faiblesse de l’argumentation et par les menaces de représailles à peine voilées que le compatriote promet à qui ose demander la justice pour les crimes dont son patron est accusé. En attendant qu’il se présente devant les juges au Sénégal pour témoigner en faveur de son président, nous voulons examiner rapidement le poids des différents arguments avancés.

Disons tout de suite que notre désaccord avec le compatriote ne porte pas sur l’allégeance inconditionnelle à Habré qu’il revendique haut et fort. Nous lui reconnaissons aussi le droit de préférer un homme politique (Habré) contre un autre (Kamougué). Si ces choix sont à son honneur et à l’honneur de la démocratie au Tchad, ils ne constituent cependant en rien un événement dans le Tchad d’aujourd’hui. Rappelons que depuis le départ de l’Unir du pouvoir, le paysage politique s’est enrichi de plusieurs partis. Par conséquent, des hommes et des femmes peuvent décider sans grande contrainte de leur allégeance politique. Bref, il n’y a rien de nouveau sous le soleil comme dirait l’autre.

Par contre, nous ne partageons pas les arguments et les intimidations auxquelles l’ancien ministre se livre pour tenter de dédouaner son président à moindres frais. Nous doutons fort que ce soit avec des affirmations ci-après citées que le compatriote espère disculper son président. Il prétend que : « Les tchadiens, des traîtres, qui étaient déjà dans la collaboration avec les ennemis du peuple, avaient commis de terribles crimes. Et Aujourd’hui, on a voulu faire porter le fardeau de ces crimes à une personne qui, il est vrai, était au commande mais n’ordonnait pas tous les crimes dont il est accusé ».

Pour qui connaît les méthodes utilisées par Habré, il est inutile, voire contre-productif, d’invoquer de telles raisons pour sa défense. Insinuer que ce président (quasi omniprésent) n’est pas au courant des choses aussi graves qui se sont déroulées sous son nez est une posture intenable. Est-il nécessaire de rappeler qu’Hissein Habré a été un chef d’État autoritaire à qui presque rien d’important (surtout pas de tueries en masse dont son régime est accusé) qui se fait au pays ne pouvait échapper, ni se faire sans son accord ou sa bénédiction tacite? On sait que toutes les directions des polices politiques que comptait le pays à l’époque avaient des liens prouvés avec Habré. Par exemple, la direction de la DDS, cet instrument ingénieux de répression politique, a été confiée au propre neveu du président afin que ce dernier soit tenu constamment au courant de tout ce qui s’y déroule. Le compatriote Yogogombaye reconnaît d’ailleurs implicitement la proximité de son président avec les officines de torture quand il nous dit : (…) Hissein Habré qui venait d’être informé de l’arrestation de deux étudiants de l’Université du Tchad, a ordonné notre libération immédiate : « libérez-les immédiatement et en bonne santé », a-t-il dit au Ministre de l’Intérieur (...). Intitule de dire que seul, Habré avait ce pouvoir de libérer ou de laisser mourir une personne des prisons de la DDS. En passant, on devrait se demander combien de malheureux Tchadiens n’ont pas eu la même chance et ont finalement péri dans ces sinistres lieux. Ou bien ces victimes « étaient déjà dans la collaboration avec les ennemis du peuple » et donc ont bien mérité leur sort? Il n’est pas cohérent d’attribuer d’un côté à l’ex-président tous les crédits des victoires militaires contre la Libye sachant qu’il n’est pas le seul à obtenir ces victoires et, de l’autre côté, chercher à nier toute sa responsabilité dans les pires crimes commis sous sa direction. Dans les deux cas, le leadership de l’intéressé est indiscutable. Plus qu’une responsabilité morale à porter, malheureusement Habré a des comptes à rendre à la justice pour plusieurs cas avérés de crimes commis de son propre chef.

Les propos tels que l’ex-président « (...) n’ordonnait pas tous les crimes dont il est accusé » ne suffisent pas non plus à convaincre un grand monde. En effet, le problème qui se pose n’est pas tant que l’ex-président ait tué de ses propres mains ou non des dizaines de milliers (le chiffre 40 000 victimes recensées est refusé par le compatriote) des personnes alors qu’il était aux commandes des affaires. Le tort d’Habré est qu’il a mis en place un système sophistiqué d’atteintes graves aux droits de l’homme dans son pays. Il est tenu pour responsable d’avoir, entre autres, crée et entretenu la redoutable machine à exterminer son peuple : la DDS. Qu’importe s’il fut aidé à l’occasion directement ou non dans cette macabre entreprise par des puissances étrangères comme on le laisse entendre. D’ailleurs, même dans l’hypothèse peu probable où ce sont des « étrangers » qui auraient suggéré à Habré la mauvaise idée, sa responsabilité première n’est pas pour autant dégagée.

En suivant notre compatriote jusqu’au bout de son raisonnement, Hitler par exemple ne sera pas tenu pour responsable de l’hécatombe de la seconde Guerre mondiale puisqu’il est impossible à cet homme tout seul d’exterminer ces millions de vies qui étaient emportées dans cette campagne meurtrière. On se souvient qu’Hitler a été pourtant bien tenu pour responsable de ces crimes par le monde libre et avait failli subir un procès s’il ne s’était pas donné la mort très tôt.

Reconnaître que le contrôle de la machine à broyer la population qu’il a fabriquée de ses propres mains lui a échappé quelquefois, ne saurait non plus constituer une excuse suffisante pour disculper l’ex-président de la responsabilité des crimes perpétrés. Les atteintes aux droits de l’homme sous le régime d’Habré sont d’une telle ampleur qu’il est insensé de chercher à plaider en bonne foi une quelconque ignorance en sa faveur. En tout cas, je ne vois pas comment soutenir sans tomber dans le ridicule qu’Habré fût un simple pantin aux mains des puissances étrangères (Américains ou Français). La vérité est que c’est en toute connaissance que celui-ci a choisi le mal, l’extermination massive de son propre peuple.

Une autre affirmation qui nous désole consiste à faire le lien sans le démontrer entre la recherche de la justice par les victimes d’Habré et « la protection des intérêts étrangers ». C’est là une reprise du discours qui nous a déjà été servi par certains opportunistes sénégalais qui sont en réalité plus intéressés par l’argent d’Habré que par les souffrances des Tchadiens. Mais, quand un compatriote reprend ainsi en son compte, des propos aussi méprisants à l’égard des victimes, cela n’apportera pas grand-chose, si ce n’est la preuve d’une arrogance affligeante. Vouloir mettre sur le même pied d’égalité, ceux qui protègent je ne sais quels intérêts étrangers et des victimes qui ne réclament rien d’autre que la justice pour de graves torts subis est une attitude profondément décevante. Est-on en train de nous dire que ceux qui ont été meurtris dans leur chair sous le régime de la terreur d’Habré sont incapables de réclamer la justice pour eux-mêmes? Puisque notre compatriote demande d’être entendu dans le procès de son président, nous sommes curieux et impatients de l’entendre tenir les mêmes propos devant les juges sénégalais (ces étrangers) qui vont vraisemblablement juger son guide éclairé.

Jusqu’ici toutefois, notre compatriote a livré de façon courtoise ses points de vue même s’il n’a pas réussi à nous les faire accepter. Ce qui est incompréhensible et inacceptable, c’est lorsqu’il sort brusquement de ce cadre normal pour se livrer à des menaces d’une rare violence contre tous ceux qui ne sont pas en accord avec ses idées et qu’il qualifie de collabos. Lisez plutôt :

En attendant, je voudrais m’adresser à tous ceux qui, au Tchad, pactisent avec le diable [pas seulement Idriss Deby dans ce contexte]. Je voudrais m’adresser aux traitres, aux lâches, aux collabos de l’impérialisme et autres renégats de la République : sachez une fois pour toute que la défense de la Patrie, la défense des idéaux de l’UNIR est une chose pour laquelle moi, Michelot Yogogombaye, je suis prêt à donner ma vie! Une chose est sûre : le Tchad et le peuple tchadien gagneront un jour !

Est-il utile pour la démocratie notamment de promettre ainsi l’enfer à tous ceux qui ne partagent pas vos idées? Quand on pense que beaucoup de Tchadiens croyaient sincèrement que l’arrivée à la tête du pays d’un compatriote vivant en occident pourrait constituer une chance pour la démocratie au Tchad, ces propos tenus par un exilé politique vivant en Suisse ont de quoi faire déchanter les plus optimistes. Notre surprise est d’autant plus grande que jusqu’ici le compatriote Yogogombaye nous a plutôt habitué à des réflexions plus constructives. Qu'est-ce qui peut bien se passer pour qu’il verse subitement dans l’intimidation en tenant des propos aussi incandescents? De toute évidence, ce discours vise à faire la démonstration de sa solidarité envers son président en ce temps qui s’annonce difficile. Il est vrai que c’est dans l’adversité que l’on reconnaît les vrais alliés, dit une sagesse bien connue de chez nous. Mais mise à part la compassion exprimée, nous ne comprenons pas bien quels autres gains politiques le compatriote espère tirer pour son parti (nous croyons savoir qu’il anime un parti politique d’opposition en exil) en adoptant une rhétorique qui rappelle de mauvais souvenirs du passé? Sauf qu’à chercher à faire apparaître son parti comme un faux nez de l’Unir, nous ne voyons pas l’intérêt de ces intimidations servies sans discernement.

Nous déplorons aussi la confusion entretenue autour de ceux que le compatriote qualifie de collabos. L’emploi de cette catégorie (collabos) est si large et imprécis qu’il est à craindre qu’elle englobe non seulement tous ceux qui travaillent sous le régime actuel, mais aussi ceux qui sont en désaccord avec l’idée de l’innocence d’Habré. Nous avons à l’esprit que le qualificatif de collabos a déjà servi de fourre-tout et de prétexte aux despotes de tous poils pour maltraiter d’innocentes personnes. Et même plus prêt de nous, le parti Unir et ses bras armés (DDS et BSIR) ont abusivement fait appel à ce prétexte pour endeuiller des Tchadiens. Ainsi, des villages entiers ont été décimés sous le seul prétexte que ceux-ci sont des collaborateurs d’un opposant au pouvoir en place. En tout cas, avec un tel amalgame il y aura beaucoup de collabos tchadiens à châtier une fois que l’Unir (ou les partis affiliés) sera de retour aux affaires.

Le procès qui s’annonce va être difficile pour les nerfs mais, il faut savoir raison garder. Si, comme le disait un Tchadien bien connu des internautes, l’injure ne peut constituer un argument valable dans le procès annoncé d’Habré, les menaces de représailles proférées sans discernement contre les victimes ne seront non plus d’aucune utilité. Que l’on soit rassuré. Habré, lui au moins aura droit à un procès juste et équitable qu’il a refusé à biens de ses compatriotes. Puisque de sérieuses présomptions pèsent contre lui, ne serait-il pas finalement dans son intérêt que l’occasion lui soit donnée pour qu’il s’explique? Ainsi, si la preuve de son innocence est faite, il sera blanchi sinon, ce sera sa condamnation. Dans les deux cas, la justice sera faite enfin.

Benyamine


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