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Un vent répressif s’abat sur le Tchad


Alwihda Info | Par - 12 Juillet 2013


Le 14 juillet, l’armée tchadienne défilera sur les Champs-Élysées. Le régime du président Déby, qui accuse l’opposition d’avoir fomenté un coup d’État, a emprisonné plusieurs hommes politiques, chefs militaires, et journalistes.


Au côté des troupes françaises de retour du Mali, un détachement des armées malienne et tchadienne (ainsi que des unités des dix pays africains engagés au Mali) défilera sur les Champs-Élysées, dimanche 14 juillet. Une consécration pour le Tchad, qui a envoyé au Mali 2 000 soldats combattre auprès des Français dès le mois de janvier.
Cependant, l’heure n’est pas aux réjouissances dans ce pays. La peur d’être arrêté, emprisonné, éliminé par les agents du président Idriss Déby domine les esprits depuis des semaines. Arrestations d’opposants, villes quadrillées par l’armée, population contrôlée, surveillée et fouillée à tout moment, le climat est particulièrement tendu.
Crainte et exaspération « Nous avons peur de circuler, de parler, de disparaître soudainement. Au téléphone, sur Internet, on fait attention à ce que l’on dit. La crainte et l’exaspération sont générales », témoigne Valentin Baldal, le secrétaire général de la Ligue tchadienne des droits de l’homme, joint au téléphone à N’Djamena par La Croix.
« La situation sociale s’est considérablement détériorée depuis début mai, déplore aussi Christian Mukosa, responsable du programme Afrique d’Amnesty International, de retour du Tchad. Nous n’avions pas connu cela depuis l’attaque des rebelles sur N’Djamena en 2008. On est toujours sans nouvelles de l’un des opposants arrêtés à l’époque, Ibni Oumar Mahamat Saleh. »
« Coup d’État manqué » Cette fois, tout a commencé, avec la nouvelle d’un « coup d’État manqué », le 1er  mai. Ce jour-là, les forces de sécurité ont investi une concession où Moussa Tao Mahamat, un ancien chef rebelle, participait à une réunion politique. Selon les autorités, il se préparait un coup d’État. Bilan de l’opération selon Amnesty International : huit morts, de nombreux blessés et une trentaine de jeunes gens arrêtés.
Au cours de cette intervention, les forces de sécurité auraient trouvé la liste des membres du futur gouvernement putschiste. Cinq députés – Saleh Makki, Malloum Kadre, Gali Gatta Ngothé, Ngarlejy Yorongar et Routouang Yoma Golong  – sont arrêtés par les forces de l’ordre entre les 1er et 7 mai. Un sixième, Saleh Kebzabo, leur échappe car il est à l’étranger.
L’opposition muselée Le 2 mai, au tour de l’armée d’être touchée. Trois officiers supérieurs – le directeur de la justice militaire, le général David Ngomine Beadmadji ; le gouverneur de la région de Salamat, le colonel Ngaro Ahidjo ; le général Assie Assoue – sont arrêtés. 
Les journalistes n’échappent pas à cette vague. Deux sont arrêtés, Éric Topona, le secrétaire général de l’Union des journalistes tchadiens (UJT), Moussaye Avenir de La Tchiré, rédacteur en chef du journal Abba Garde. Un mois plus tôt, le 30 mars, le blogueur Jean Laoukolé avait été jeté en prison.
« Aujourd’hui, les jeunes gens de la réunion politique, les journalistes et un député sont toujours en prison. Les autres sont en liberté provisoire. Mais ils savent qu’ils peuvent être arrêtés à tout moment », s’inquiète Christian Mukosa.
 « Menaces de coup d’État, rumeurs selon lesquelles les mouvements rebelles se réorganisent, peur d’une attaque islamiste… Idriss Déby en profite pour museler son opposition », constate à son tour Florent Geel, du bureau Afrique de la FIDH.
Idriss Déby « tout puissant » depuis l’intervention au Mali « En aidant la France au Mali, Idriss Déby a gagné le droit, à ses propres yeux, de faire le ménage avec son opposition, analyse Valentin Baldal. Il se sent tout-puissant. Il pense qu’il peut agir comme il veut, quand il veut et contre qui il veut. Ce climat d’impunité soulève la crainte des gens. Personne n’ose critiquer ouvertement le président. »
Le journaliste de Radio FM Liberté, Blaise Djimadoum Ngarngoune, le confirme, de N’Djamena, à visage découvert : « La situation des droits de l’homme n’a jamais été très brillante au Tchad, mais depuis que l’armée tchadienne s’est engagée au Mali, le président Déby se croit tout permis. Les journalistes travaillent avec une épée de Damoclès sur la tête. Beaucoup de mes camarades ont très peur d’être arrêtés s’ils évoquent la corruption, la confiscation de la manne pétrolière par le régime… Alors, ils préfèrent s’autocensurer, éviter les sujets qui fâchent. »
« A droite de François Hollande » L’opposant Abdelkerim Yacoub Koundougoumi, réfugié politique en France, ajoute : « En voyant Idriss Déby reçu à l’Élysée en décembre, en le voyant assis à la droite de François Hollande en juin lorsque ce dernier a reçu le prix Houphouët-Boigny, en comprenant que l’armée tchadienne va défiler à Paris le 14 juillet, les Tchadiens de la rue se disent qu’il est soutenu par la France, donc qu’il est intouchable. 
Le président de l’ONG Survie, Fabrice Tarrit, est atterré : « En soutenant l’armée française, Idriss Déby est redevenu une personne fréquentable pour François Hollande. Il n’avait pas été reçu à l’Élysée après l’élection du candidat socialiste. Un an plus tard, les choses ont bien changé. Les hommages appuyés de la France à l’armée tchadienne, le défilé sur les Champs-Élysées : le Tchad d’Idriss Déby est l’allié de la France. Ce message renforce l’impunité du président tchadien chez lui. »
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L’armée tchadienne au Mali Dès janvier 2013, le président Déby envoie au Mali, à la demande de la France, 2 000 soldats pour participer à la campagne militaire. Le contingent tchadien est engagé dans la région de Kidal, où le 22 février, pris sous le feu djihadiste dans la vallée de l’Ametettai, il perd 26 soldats, et 70 sont blessés. 
Au total, 36 soldats tchadiens ont été tués et 80 blessés au Mali. La France a plaidé pour que le Tchad obtienne le commandement de la force onusienne entrée en action au Mali le 1er  juillet. Mais l’ONU lui a préféré un général rwandais. L’armée tchadienne est accusée de ne pas respecter les lois de la guerre et d’enrôler des enfants-soldats.
 
 
LAURENT LARCHER
La croix

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