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INTERVIEW

Alhabo : "un pays où la population n’a plus la capacité d’acheter les biens et services est un pays ruiné"


Alwihda Info | Par Info Alwihda - 9 Mars 2018


Le coordinateur du Front de l'opposition nouvelle pour l'alternance et le changement (FONAC), Mahamat Ahmat Alhabo a répondu aux questions d'Alwihda Info. De la crise économique à l'alternance politique, l'homme politique décrypte la situation.


Alhabo : "un pays où la population n’a plus la capacité d’acheter les biens et services est un pays ruiné"
Alwihda Info : Quelle analyse faites-vous de la crise que le Tchad traverse ?

Mahamat Ahmat Alhabo : La crise que nous connaissons aujourd’hui n’est pas une crise artificielle, elle est le résultat d’une politique qui a été mise en place par le régime MPS et Idriss Déby depuis 28 ans. Nous avons déjà avisé très tôt que le Tchad est entrain d’aller vers un mur. On a participé à l’élection en 2016, le candidat Déby a fait une promesse mirobolante aux tchadiens. Dès qu’il a été élu, la même personne qui a fait toutes ces promesses a annoncé les 16 mesures. Donc il a trompé les tchadiens pour dire que "je vais vous faire ceci, je vais vous faire cela".

En réalité, Déby a ruiné le pays. A l’issu de l’élection présidentielle de 2016, nous, nous sommes retrouvés avec plusieurs crises. La première crise, elle est politique. Parce que le président Déby n’a pas été élu au premier tour avec soixante et quelques pour cent. Il a fait un coup d’Etat électoral en déployant l’arsenal militaire sur l’ensemble du territoire pour empêcher la population de manifester. La deuxième crise, elle est économique. Le pouvoir a bradé et pillé toutes les ressources du Tchad. Nous sommes arrivés à une banqueroute. Les recettes collectées ne vont pas au trésor public, elles vont dans la poche de certaines personnes. Même l’argent du pétrole, est distribué aux parents et aux amis de Déby. Les gens deviennent virtuellement des milliardaires. Beaucoup d’entreprises ne payent pas de taxes et d’impôts. Elles reçoivent des marchés qui sont exécutés hors taxes. Ainsi le trésor public est vidé. Beaucoup des tchadiens qui sont proches du système au pouvoir sont allés acheter des appartements en Montréal pour 8 milliards de Dollars. Si vous rentrez dans Google et que vous tapez Panama papers Tchad, vous verrez que 10,76 milliards de dollars du Tchad sont placés dans les paradis fiscaux. Ça c’est la partie visible de l’iceberg.

Cela veut dire que, tout l’argent du Tchad a été détourné et placé dans les paradis fiscaux. A la fin, on vient dire qu’il n’y a pas d’argent, serrez la ceinture. Les fournisseurs, leurs factures ne sont pas payées, les fonctionnaires, leur salaire est abattu. Pour résoudre cette crise, que le pouvoir rapatrie l’argent placé dans les paradis fiscaux.

Récemment le ministre des finances déclarait qu’au Burkina Faso et au Niger, la douane fait une recette de plus de 700 milliards de FCFA annuellement. Pourquoi chez nous, la douane fait à peine 200 milliards par an. Cela veut dire que l’argent est détourné. Le cas de Salay en est une illustration exacte. Est ce que l’argent retrouvé dans les coffres des tiroirs de son bureau a été reversé au trésor public ? C’est sur l’ensemble du territoire que les gens prennent l’argent au nom de l’Etat et le mettent dans leurs poches. Et on dit que les responsables sont des fonctionnaires, il faut réduire leur salaire, augmenter les prix de carburant, le prix de billet d’avion, etc.

On ne résout pas une crise économique en réduisant le pouvoir d’achat du peuple. Un pays où la population n’a plus la capacité d’acheter les biens et services est un pays ruiné. Donc pour faire sortir le pays de la ruine, on doit pousser la population à la consommation en augmentant son pouvoir d’achat. Le gouvernement Burkinabè a décidé d’augmenter le salaire de tous les travailleurs il y a deux jours, alors que le Tchad fait le contraire. Pourtant le Burkina Faso n’a pas de pétrole. Même les ressources en eau, le Burkina Faso n’en a pas autant que le Tchad. La banqueroute, la crise sociale que nous vivons est entièrement de la responsabilité du système en place.

Alwihda Info : A votre avis, que faut-il faire pour sortir de cette crise ?

Le problème du Tchad est un tout. Il faut assainir le système du pouvoir. Parce qu’en 28 ans, le MPS a bâti un système nuisible. C’est ce système qui est responsable de la banqueroute. Tant que ce système est en place, on ne réglera rien du tout. Nous avons préconisé qu’il faut organiser un dialogue inclusif. Et dans ce dialogue, tous les problèmes seraient abordés sans tabou. Le problème de l’armée, de l’ANS, de la démocratie, des élections, de la régie financière, de la gestion de l’argent des tchadiens. C’est dans cette vérité que nous allons asseoir un Etat vivable. Mais le pouvoir ne veut pas entendre de ses oreilles. Au lieu de faire un dialogue, Déby veut organiser un forum qui serait un cadre pour lui de retrouver l’honneur devant ses pairs. Ça fait 28 ans qu’il est là sans alternance, et donc il est mal à l’aise devant ses homologues. C’est ainsi qu’il veut juste remettre dans la constitution la limitation de mandat que lui-même a fait sauter. Les restes ne sont que de l’habillage. Il veut amuser la galerie en touchant aux institutions. Ce que le président veut, c’est d’avoir deux mandats de 7 ans. Si vous analyser bien, Déby veut mourir au pouvoir au finish. C’est ça l’objectif final. Ce qui est important pour nous c’est comment faire pour que le tchadien ait à manger, se soigne quand il est malade. Le Tchad est éternel mais nous, nous sommes mortels. Déby va mourir, nous allons tous mourir mais le Tchad est éternel. Déby ne pense qu’à lui et à son mandat contrairement à nous qui pensons à la génération future.

Alwihda Info : Les écoles sont fermées, qu'en pensez-vous ?

Des grands responsables ont dit que « si voulez tuer un pays, ne lui faites pas la guerre, détruisez son système éducatif et vous allez voir que le pays va mourir lui-même ». Et malheureusement c’est ce qui se passe chez nous. Hissein Habré qui a pris le pouvoir en juin 1982 après une longue guerre et avec tous ses défauts qu’on connait, a remis l’école tchadienne, qui était cassée en morceau dans tous les coins, sur les rails. Malheureusement, depuis que le pouvoir MPS est venu, la qualité de l’enseignement a pris un coup. Après l’élection présidentielle de 1996, tous les militants du MPS qui sont partis battre campagne pour Idriss Déby Itno ont été nommés directeur d’école, proviseur, censeur, sans aucune compétence. Ils sont devenus des commerçants, ils vendent les notes, des cartes d’identité scolaire, ils vendent tout. Les stagiaires sont responsabilisés au détriment de ceux qui ont 10, 20 ans d’expérience. On a détruit l’école. Je suis enseignant à la faculté des sciences, quand j’entends mes étudiants parler français, j’ai honte de moi et de mon pays. Comme ils ne maîtrisent pas la langue française, quand tu leur expliques les choses, le message transmis est non plus connu. L’école est complètement mal-fichue au Tchad. C’est un drame, l’avenir du pays est hypothéqué. C’est un sujet du forum inclusif que nous proposons, Déby et le pouvoir MPS ne veulent pas.

Aujourd’hui, lié à cela, le problème de la fonction publique avec les faux diplômes. Sur des considérations géographique, biologique, les gens vont à l’étranger acheter les diplômes et occupent des hautes fonctions. L’administration est tuée. Comment le pays peut marcher et se développer. Si la Chine est devenue une usine mondiale, c’est parce qu’elle a des meilleures écoles. Il n’y a pas meilleure richesse que l’école. Un pouvoir ou chef qui ignore l’éducation et la formation est un criminel à la puissance.

Alwihda Info : Le Tchad peut-il rêver d'une alternance politique sans la force ?

Nous sommes une somme des partis politiques démocratiques. Notre capacité et notre action c’est la mobilisation de la population. Vous voyez comment le régime a peur des partis politiques. Il a interdit aujourd’hui toutes les formes de manifestations des partis politiques. On ne peut pas organiser des meetings, des marches. Bref, on ne peut rien organiser. C’est une dictature implacable qui s’est instaurée au Tchad. Vous journaliste, vous avez payé un lourd tribut. Combien d’entre vous ont été traqués, tabassés, torturés, jugés, condamnés pour avoir tout simplement dénoncé la mauvaise gestion. C’est la même chose dans les partis politiques. Notre force d’action c’est la prise du pouvoir par les élections libres et transparentes.

Depuis que le MPS est arrivé au pouvoir, il n’a organisé que des élections truquées. Donc il faut qu’on se batte pour qu’un jour ou l’autre, on arrive à organiser des élections libres et transparentes. Regardez, observez ce qui se passe en début de l’année 2018. Pendant longtemps, les tchadiens ont eu une peur bleue du pouvoir. On les a interdit de manifester, ils restaient chez eux. Aujourd’hui, les jeunes, ils sortent dans la rue, pas seulement à N’Djamena mais partout dans le pays. Ils ont compris que la peur n’est pas la solution, ils ont pris la décision d’affronter le pouvoir et de dire « basta », ça suffit quoi. Les gens ont peur, ils ont reculé, ils sont dos au mur, il ne leur reste qu’à avancer. C’est dommage pour le régime qui ne comprend pas cela. Ce n’est pas les partis politiques qui diront au peuple de sortir, allez y chasser le pouvoir mais le peuple lui-même instinctivement un jour bougera.

Alwihda Info : Croyez-vous au retour à un parti unique au Tchad ?

Le parti unique, on est entrain d’y vivre. C’est depuis longtemps que nous y sommes. Aujourd’hui nous sommes des partis qui ont 25 ans de vie. Est-ce que vous avez vu un jour le responsable du PLD à la télé Tchad ou vous avez écouté sa voix à la RNT ? Ce sont des médias publics mais qui sont monopolisés par le MPS, par le président Idriss Déby, par la Première dame. N’importe quelle petite association qui chante les louanges du régime a l’accès à ces médias. C’est ça même la forme du parti unique. Quand on organise les élections, c’est les mêmes qui gagnent mais, on laisse quelques postes à l’opposition qui n’a pas absolument la voix au chapitre. Alors nous vivons pleinement le parti unique.

La police politique l’ANS, c’est pendant la conférence nationale que nous avons jugé utile de mettre ce cadre qui doit sécuriser les tchadiens. Dès que la conférence est terminée, la constitution est adoptée, Déby a détricoté la constitution, il a modifié le décret portant création de l’ANS pour en faire une police politique à son service personnel. Même le premier ministre ne connait ce que l’ANS fait. C’est Déby qui donne des ordres, allez arrêter celui-ci, torturez celui-là. C’est une dictature. Tous les grands dictateurs du monde ont une police politique. Regardez Duvalier, Bébé Doc ; papa Doc, ils avaient une police politique : les Tonton Macoutes qui arrêteraient les gens, mais les Haïtiens se sont levés en 24 heures et les ont bouté. Cela ne manquera pas au Tchad.

Entretien réalisé par Freeman Djido



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