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INTERVIEW

Non, l'Afrique n'est pas que le continent des famines, des guerres tribales et des épidémies ! Entretien avec l'historien Pierre Boilley


Alwihda Info | Par CNRS - 2 Juillet 2015


Non, l'Afrique n'est pas que le continent des famines, des guerres tribales et des épidémies ! Entretien avec l'historien Pierre Boilley, co-organisateur de la 6e Conférence européenne des études africaines, qui se tiendra du 5 au 12 juillet à Paris.


Non, l'Afrique n'est pas que le continent des famines, des guerres tribales et des épidémies ! Entretien avec l'historien Pierre Boilley
En tant qu'organisateur de la 6e Conférence européenne des études africaine (ECAS(link is external)), vous appelez à « penser l’Afrique autrement ». En quoi pourrait consister ce changement de perspective ?
Pierre Boilley[1] : Il s’agit de sortir des clichés et des stéréotypes sur l’Afrique, et ils sont nombreux. Pour prendre un exemple de lieu commun scientifiquement discrédité mais qui demeure ancré dans l’opinion publique : l’image consacrée d’une Afrique restée coupée du reste du monde et qui ne se serait ouverte qu’à l’occasion de la colonisation. C’est évidemment faux. Il y a eu des liens permanents par la Méditerranée, par l’océan Indien, etc. On a retrouvé par exemple de la porcelaine chinoise en Afrique orientale, qui date au moins du XIe siècle. Et bien sûr, cette image de l’Afrique s’accompagne aussi, et cela a été écrit souvent dans la presse, que l’Afrique n’aurait rien inventé. On a remis en cause l’idée que l’Afrique ait pu inventer de son côté la métallurgie du fer, alors qu’il n’y a aucun doute là-dessus, ça ne tient plus du tout debout.

L’idée que c’est un continent isolé est confortée par un second stéréotype : celui d’imaginer que le Sahara est une barrière infranchissable depuis toujours et qu’elle aurait complètement séparé l’Afrique du Nord de l’Afrique dite noire. Cela est une absurdité. En Afrique subsaharienne, il y a aussi des blancs, et pas forcément des Européens… Par exemple, toute la bande sahélienne est occupée par des populations qui viennent, après une succession de migrations, d’Afrique du Nord, des Berbères, etc. On ne peut donc pas parler d’isolement géographique. En fait, le Sahara est plutôt un espace de jonction entre deux espaces culturellement assez différents qui n’ont pas connu la même histoire mais qui ont toujours échangé, notamment par différents liens trans-sahariens commerciaux, les traites d’esclaves, etc. Et il ne s’agit là que de deux exemples parmi de nombreux autres.

Un autre mythe tenace est celui entourant la Conférence de Berlin de 1884, où toutes les frontières africaines auraient été tracées. En fait, on n’y a même pas parlé de conquête du continent ! Pourtant, il y a une quasi-unanimité sur ce point dans l’opinion publique…

Comment présenter les « mondes africains » au pluriel ?
P. B : Penser l’Afrique autrement c’est penser l’Afrique de façon non misérabiliste comme on a facilement tendance à le faire… L’afro-pessimisme généralisé est associé à l’idée que l’Afrique est un continent à la dérive, en permanence à feu et à sang. Or nous disons que l’Afrique est immense, et personne ne s’en rend compte. Si on additionne les superficies de l’ensemble des États-Unis, de l’Australie et de l’Europe, on n’atteint pas encore celle de toute l’Afrique ! Et forcément, sur un continent aussi vaste, il y a des endroits où il y a des problèmes, mais il y a aussi des endroits où il n’y en a pas. Il faut donc arrêter de considérer l’Afrique comme le continent des famines, des guerres et du sous-développement généralisé, qui a de gros problèmes à résoudre y compris structurellement, à savoir la corruption. Néanmoins, sans être complètement optimiste ou naïf, on peut y appliquer une lecture plus générale mais moins homogène. C’est pour cela que nos laboratoires s’appellent Les Afriques dans le monde[2] ou l’Institut des mondes africains[3]. Il y a des Afriques différentes qui ont des trajectoires historiques et des cultures différentes et qui n’ont pas forcément les mêmes difficultés. Il faut donc étudier cela avec l’idée que l’Afrique est aussi un continent en devenir. En cela, nous avons été précédés par les économistes qui considèrent que certaines Afriques seront les prochains dragons économiques.





Même si l’Ecas n’est pas une conférence d’historiens mais reste très pluridisciplinaire, il s’agit d’affirmer haut et fort un fait qui n’est pas non plus forcément rentré dans les esprits (et le discours de Dakar de Nicolas Sarkozy en 2007 n’y a pas aidé) : l’Afrique a bel et bien une histoire, et une histoire de très longue durée. Elle peut en remontrer d’ailleurs à d’autres parties du monde sur la durée. Parmi les aspects complètement oubliés, il y a eu, par exemple, au Moyen Âge une faim d’or occidentale. Or il est avéré que l’or qui a été utilisé à cette époque – et que l’on retrouve jusqu’en Asie – venait en grande partie du Royaume du Mali, du Sahel. Ce qui casse à la fois le présupposé d’isolement et celui d’absence d’histoire. Maintenant, cette histoire s’appuie sur une méthodologie élaborée depuis au moins cinquante ans avec des sources qui n’étaient pas forcément écrites. Et il se trouve qu’on découvre de plus en plus de sources écrites ! Encore un des grands clichés qu’on aimerait bien briser.

Pourquoi une grande conférence sur l’Afrique compte aussi peu de participants africains ?
P. B : En premier lieu parce qu’il s’agit des rencontres des chercheurs européens qui travaillent sur les Afriques ! Et il y a peu de chercheurs africains en Europe. Il est important d’affirmer l’existence d’études européennes sur les mondes africains et d’accroître leur visibilité. Car on voit bien en France que les laboratoires qui travaillent sur l’Afrique sont très peu nombreux. La préférence est toujours donnée à l’histoire ou à l’analyse de la France et du monde occidental plutôt qu’à des aires culturelles finalement assez peu représentées. Il existe un grand déséquilibre dans nos représentations du monde… Pour contribuer à changer cet état de fait, nous alternons une année sur deux les rencontres européennes – à Londres, Uppsala, Lisbonne… – avec des rencontres françaises. Cela dit, il n’y a pas d’exclusives, si quelqu’un qui n’est pas européen souhaite intervenir dans ces conférences, il n’y a aucun problème. Mais hélas, en effe,t il n’y a pas beaucoup d’Africains. Il est vrai que de nombreuses universités africaines sont vraiment dans une situation économique très grave, et cela nous pose donc un problème d’ordre financier et technique pour les aider à venir. Il y aura malgré tout des Africains présents, des tables rondes et des ateliers donneront la parole aux collègues africains.

Dans cette Ecas en particulier, on a rajouté un versant culturel (Africa acts) parce qu’on aimerait accroître encore la visibilité de ces études africaines et de l’Afrique en général en montrant par l’aspect culturel aussi qu’il existe tout un art vivant et très contemporain qui vraiment n’est pas dans les têtes. Les gens pensent presque exclusivement en termes de masques ou d’art « traditionnel ». Mais il y a aussi des performers, des gens qui créent de la musique ou de l’art contemporain, il y a toute une vie culturelle extrêmement intense qu’on va essayer de montrer ici aussi, et qui va dans le sens d’une Afrique dynamique.

Voir aussi notre blog consacré à l'Afrique sur CNRS Le Journal: Focales Afriques



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