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POINT DE VUE

Afrique: 'Parler de République, d’Etat de droit et de démocratie au Tchad est surréaliste aujourd'hui'


Alwihda Info | Par - ҖЭBIЯ - - 15 Septembre 2008


Au Tchad, la première rébellion du Front de Libération Nationale du Tchad (FROLINAT) éclata en 1964. Depuis cette date et jusqu’à ce jour, ce pays n’a plus connu de répits. Après le coup d’Etat militaire de 1973 contre le Président Tombalmbaye, le Tchad est l’un des seuls pays en Afrique où tous les changements de pouvoir se sont produits jusqu’ici et exclusivement par une rébellion militaire. Parler de République, d’Etat de droit et de démocratie dans ce pays est surréaliste aujourd’hui.


Afrique: 'Parler de République, d’Etat de droit et de démocratie au Tchad est surréaliste aujourd'hui'

Par Martin ZIGUELE au séminaire de Bangui du 11 septembre

LA DIFFICILE CONSTRUCTION DE LA REPUBLIQUE, DE L’ETAT DE DROIT ET DE LA DEMOCRATIE EN AFRIQUE CENTRALE. CONTRIBUTION A LA REFLEXION

Je voudrais d’abord remercier très sincèrement la Fondation Harris Memel-Fotê et Les Fondations Socialistes d’Afrique de m’avoir invité à ce séminaire dont le thème constitue la trame de nos combats de tous les jours. Je les remercie surtout de m’avoir offert cette occasion d’intervenir et d’échanger avec cet éminent et brillant aréopage.

Ma contribution sera très brève. Elle se veut à la fois informative et interrogative et portera sur ma lecture des leçons et des perspectives de la construction de la République, de l’Etat de droit et de la démocratie en Afrique centrale.

L’Afrique centrale, c’est cette vaste région située au cœur de l’Afrique, et qui comprend aussi bien des pays-continents comme la République Démocratique du Congo que des très petits pays comme Sao Tomé et Principe ou encore la Guinée Equatoriale. Elle s’étend des confins du Sahara au Tchad à l’Angola aux portes de l’Afrique australe, et de l’Océan Atlantique depuis le Cameroun jusqu’aux Grands Lacs avec le Rwanda et le Burundi. Si ses potentialités économiques sont bien connues, son histoire politique et sa géographie, qui l’ont façonnée et singularisée comme nous le verrons plus loin, le sont beaucoup moins.

1. Une histoire difficile….

Sur le plan de son histoire politique, l’Afrique centrale a vécu et vit encore, pratiquement sans discontinuer depuis la période précoloniale, de crises militaro-politiques ouvertes ou larvées et à l’intensité variable, qui alternent elles-mêmes avec des coups d’Etat ou des tentatives de coups d’Etat militaires.

Cet état de belligérance quasi-permanente a structuré de manière très profonde et très durable la culture et la pratique politiques des populations et des élites locales, et notamment leur perception de la République, de l’Etat de droit et de la démocratie.
En effet, lorsque nous prenons chacun des pays d’Afrique centrale, le tableau historique est le suivant :

1.1 Le Cameroun

Le Cameroun a ouvert le bal dès la fin des années cinquante avec la guerre civile déclenchée par les maquisards de l’Union des Populations du Cameroun contre les autorités coloniales. Cette guerre civile a perduré jusqu’en 1966, aux lendemains de l’indépendance, et a servi de justification à la construction d’un Etat républicain fortement centralisé, où la démocratie multipartiste était assimilée à la subversion « marxiste » de l’UPC. Néanmoins ce pays connaîtra la seule transmission volontaire et constitutionnelle du pouvoir. Le nouveau pouvoir connaîtra un coup d’Etat militaire sanglant tendant à restaurer l’ancien régime. Cet épisode de l’histoire du Cameroun justifie à mon avis une crispation générale des pouvoirs en Afrique centrale contre toute tentative de faire jouer les règles de l’alternance et les manipulations constitutionnelles visant à éloigner le plus loin possible dans le futur cette éventualité.

1.2 Le Rwanda

Au Rwanda, la révolution de 1959, destitua la dynastie royale tutsie et causa le départ en exil des milliers de tutsis, principalement vers les pays voisins. Le pouvoir hutu issu de l’indépendance se construisit sur l’exclusion de ces minorités dont les fils exilés prendront le pouvoir en 1994, suite à une rébellion et un génocide unique dans l’histoire de l’Afrique. La conséquence de cette situation est la mise en place d’une république forte et centralisée, où la Constitution et toutes les instituions qui en découlent sont conçues pour empêcher le retour en force des auteurs de ce drame historique.

1.3 La République Démocratique du Congo

En République Démocratique du Congo, dès le lendemain de l’indépendance, plusieurs guerres civiles éclatèrent et débouchèrent sur la première sécession d’un Etat postcolonial africain. Des interventions militaires extérieures-dont la première mission des Casques Bleus en Afrique noire- ont permis le retour à la réunification du pays et à la paix mais pour une courte période. Le coup d’Etat militaire de Mobutu vit l’avènement d’un Eta républicain hyper personnalisé et hostile à toute forme de libertés. Cette situation perdurera jusqu’à l’avènement d’un multipartisme dévoyé et manipulé par le Prince. La rébellion de Kabila viendra mettre fin à ce régime où l’Etat et la République se résumaient aux volontés du Chef.

1.4 L’Angola

En Angola, après la longue guerre de libération menée contre les colons portugais appuyés par l’Afrique du Sud de l’apartheid, dans le contexte de la guerre froide, le pays entra à nouveau dans une guerre civile sanglante qui a pris fin à une date relativement récente. Les importants dégâts matériels et humains provoqués par cette longue crise induisent forcément un log délai pour la reconstruction de l’Etat et de la République.

1.5 Le Tchad

Au Tchad, la première rébellion du Front de Libération Nationale du Tchad (FROLINAT) éclata en 1964. Depuis cette date et jusqu’à ce jour, ce pays n’a plus connu de répits. Après le coup d’Etat militaire de 1973 contre le Président Tombalmbaye, le Tchad est l’un des seuls pays en Afrique où tous les changements de pouvoir se sont produits jusqu’ici et exclusivement par une rébellion militaire. Parler de République, d’Etat de droit et de démocratie dans ce pays est surréaliste aujourd’hui.

1.6 Le Congo Brazzaville

Au Congo-Brazzaville, dès 1963, les coups d’Etat militaires se sont égrenés jusqu’à la guerre civile des années 1996 et 1997 qui se concluront par le retour au pouvoir des « vaincus » des élections générales de 1992. Comme au Rwanda, la philosophie qui sous-tend la démarche politique est d’empêcher la réédition des « erreurs » ayant permis l’alternance en 1992.

1.7 La République centrafricaine

En République centrafricaine, devenu indépendant peu après la mort de son Président Fondateur, Barthélémy Boganda , le pays a connu une crise institutionnelle qui se solda par le coup d’Etat du Colonel Bokassa en 1966. Mégalomane et sanguinaire, Bokassa, après s’être autoproclamé Président à vie et Maréchal, transforma le pays en empire en décembre 1976. Après son renversement par un corps expéditionnaire français en 1979 et la réinstallation au pouvoir de l’ancien Président David DACKO en septembre 1979, le pays connu un très bref intermède multipartiste puis renoua à nouveau avec les coups d’Etat militaires dès 1981. Il a fallu attendre 1993 pour voir la seule alternance démocratique au pouvoir, réalisée par la victoire du MLPC aux élections générales. Cependant cette embellie fut de courte durée. En effet la RCA renouera dès 1996 avec les mutineries militaires, puis un coup d’Etat en 2003 suite à une grave et très destructrice rébellion armée. Après les élections de 2005, des rébellions armées ont encore repris dans une grande partie du pays.

1.8 Le Burundi

Au Burundi, l’actualité politique est celle d’une nation déchirée par une longue guerre interethnique, où les règlements politiques ne durent qu’une saison, le temps pour les différents acteurs de se réarmer. Il faut souligner que c’est le seul pays en Afrique où le partage du pouvoir s’est fait sur la base de quotas ethniques.

1.9 La Guinée-Equatoriale

Comme la république centrafricaine, la Guinée Equatoriale s’est fait connaître à l’opinion internationale par le régime ubuesque et sanguinaire de Francisco Obiang Nguema
. Après sa destitution par son propre neveu, il fut assassiné en 1979. Depuis cette date, ce pays est géré par un régime fort et autoritaire, où les scores électoraux successifs à la soviétique ôtent toute crédibilité à un processus démocratique étroitement encadré par le pouvoir.

1.10 Le Gabon

Le Gabon connut la première transmission constitutionnelle du pouvoir en 1966, après la mort du Président Léon Mba qui venait d’être rétabli au pouvoir par les forces françaises après un putsch militaire. Depuis cette date, le pays est géré par le même pouvoir, ce qui en fait le régime le plus ancien en Afrique centrale.

2. Une géographie ne facilitant pas la libre circulation des hommes.

L’Afrique centrale n’a pas que son histoire contre elle et contre la construction de l’Etat de droit, de la République et de la Démocratie. Elle a aussi une géographie qui ne favorise guère la libre circulation des hommes et donc des idées. En grande partie couverte de forêts denses, traversée par des grands fleuves, des rivières, et des lacs qui sont des véritables mers intérieures, l’Afrique centrale renferme des populations ne se connaissent pas beaucoup d’un pays à l’autre. Peu de choses ont été faites sur le plan politique et sur celui de la construction des infrastructures pour la circulation des hommes et des marchandises. Les citoyens centrafricain, camerounais et tchadien ont besoin de visas pour aller dans les autres pays membres de la CEMAC qui prône pourtant la libre circulation des hommes depuis sa création en 1964. Pionnière de ce type de regroupent en Afrique, 44 années plus tard les hommes ne peuvent pas circuler librement d’un pays à l’autre comme cela se fait dans l’espace CEDEAO.
En plus de cet enclavement « institutionnel », l’enclavement naturel interne de l’Afrique centrale est renforcé par son relatif isolement du reste de l’Afrique et son éloignement de l’hémisphère nord.

Les meilleures pratiques en matière d’organisation politique ne se diffusent que très difficilement dans cet espace géographique, où les acteurs se connaissent à peine. Il s’ensuit un nivellement par le bas de la pratique et de l’expression démocratiques : les opinions contraires y sont assimilées à de la subversion et les opposants comme des nuisances à éliminer. Les revendications relatives à la construction de la démocratie sont vivement dénoncées par des médias aux ordres et les partis politiques d’opposition, dont le rôle premier est d’animer la vie politique sont considérés comme des cinquièmes colonnes à détruire. Ils sont matériellement et financièrement asphyxiés, ce qui réduit leurs capacités opérationnelles et au-delà leurs chances de provoquer l’alternance..

Les crises politiques et militaires, quelles qu’elles soient ont pour conséquence la destruction, sinon l’affaiblissement de l’Etat, et leur récurrence a singulièrement altéré le sentiment d’appartenance à une nation dans beaucoup de pays d’Afrique centrale. En plus, l’enclavement géographique qui a renforcé une sorte d’isolationnisme politique, a favorisé l’existence de républiques formelles mais où l’alternance au pouvoir relève de l’exception.

3. Que faire pour renforcer la démocratie, l’Eta de droit et la république en Afrique Centrale ?

Cette tache titanesque revient en priorité aux partis politiques véritablement démocratiques.
Les partis politiques démocratiques ont un travail de longue haleine à effectuer en direction de la population pour la vulgarisation de la démocratie, longtemps présentée par des pouvoirs frileux comme le mal absolu, comme du temps du parti unique dont la culture est restée puissante.

La réalité est que plusieurs partis en Afrique centrale travaillent dans des conditions très difficiles à tous points de vue :

- Sur le plan sécuritaire : l’arrestation d’un opposant en Afrique centrale est toujours considérée comme normale. Les protestations les plus vives et les plus productives contre de telles violations des droits politiques viennent presque toujours de l’extérieur.

- Sur le plan matériel : si dans tous les pays ou presque en Afrique centrale, il est prévu dans la législation nationale un dispositif de financement de partis politiques ayant une représentation parlementaire, dans la réalité il ne se passe rien. Ces partis éprouvent donc des difficultés objectives de fonctionnement.

- Sur le plan politique : en règle générale en Afrique centrale, les partis politiques n’ont aucun accès aux médias d’Etat. Il est inutile d’ajouter que même en cas d’attaques ad hominem, nous n’avons jamais de droit de réponse sur les mêmes médias.

Devant de telles difficultés dans des pays où très souvent l’alternance démocratique au pouvoir n’a pas joué depuis l’indépendance, certains partis politiques démocratiques ont opté pour le statut de « partis alliés » des majorités au pouvoir afin d’exister. Pourtant, plus que jamais, devant l’apparition et la banalisation de monarchies républicaines, le combat pour la république, l’état de droit et la démocratie doit se poursuivre et s’amplifier. Les axes de travail à on avis sont les suivants :

- Le renforcement des structures de base des partis démocratiques, y compris hors des périodes électorales, et la tenue régulières des réunions statutaires (Congrès, Conseils Nationaux, etc.)
- Un encadrement plus actif de la jeunesse et des femmes
- La recherche d’alliances avec des partis partageant les mêmes valeurs
- La maîtrise de la communication du Parti : internet, journaux, radio, etc.
- La création de fondations politiques pour vulgariser l’accès du plus grand nombre à la documentation politique
- La mise en place au niveau sous-régional de réseaux de solidarité pour que les acteurs politiques se connaissent, se soutiennent et partagent leurs expériences.
Je suis bien placé pour savoir que cette lutte sera longue mais comme disait Sylvanus Olympio, le premier Président du Togo « quelque soit la longueur de la nuit, le jour vient toujours ». Souvenez-vous qu’il y a moins de deux décennies, la démocratie en Afrique ou en Europe de l’Est était un concept révolutionnaire et utopique.

Je conclus en disant que le tableau est appelé à se transformer, à condition que les acteurs politiques maintiennent le cap de la lutte pour les valeurs démocratiques, et s’organisent pour que leurs idées deviennent hégémoniques et fassent bouger les lignes actuelles.

Martin ZIGUELE

Bangui 11 septembre 2008


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