POINT DE VUE

République de Djibouti : Rejet total et à vitesse météorique de l’uniforme scolaire !


Alwihda Info | Par Kadar Abdi Ibrahim - 2 Septembre 2018


L'opposant Kadar Abdi Ibrahim, Secrétaire Général du parti MoDeL, a adressé, ce dimanche 2 septembre 2018, un appel au Ministre de l'Eduaction Nationale et de la Formation Professioonnelle, le MENFOP, Moustapha Mohamed Mohamoud, suite à l'instauration du port de l'uniforme scolaire. L'opposant demande, à son ancien ex-collègue, de ne pas s'entêter avec cette réforme décriée par la majorité des Djiboutiens et de retirer le décret.


Adresse au Ministre de l'Education nationale et de la formation professionnelle

Excellence Moustapha Mohamed Mohamoud,
Très cher ancien collègue,

Je me permets de m’adresser directement et ouvertement à vous, parce que j’ai connu l’homme que vous étiez. J’ai connu aussi l’enseignant dévoué que vous aviez été pendant plusieurs années. Mais à vrai dire, pas le politicien que vous êtes devenu. C’est pourquoi, ma lettre s’adresse avant tout à l’ami, à l’ancien collègue et au père de famille que vous êtes.

Je ne reprendrai pas, ici, les arguments développés par d’autres personnes tant par écrit que sur vidéos dont certaines ne sont faites pour uniquement satisfaire l’égo hypertrophié de leurs auteurs.

Excellence, l’on ne peut absolument pas discuter du fort sentiment de faillite de l’école publique. Parce que c’est une réalité factuelle. Aucun des plus hauts fonctionnaires de l’Etat, et en particulier, du MENFOP, n’a ces enfants dans l’école publique. C’est une vérité. Personne ne la rechigne. Sinon, il suffit de faire un petit tour au petit matin devant les écoles privées : la file des parents conduisant des voitures immatriculées « B » ou encore « C » déposant leurs petites progénitures donne une image impitoyablement funèbre de l’école publique. L’école publique s’est décomposée et a depuis assez longtemps volé en éclat sonnant le glas de son prestigieux passé. L’école publique est au fond du trou, aider, en ce sens, par les décideurs eux-mêmes qui creusent encore plus profondément. Si, au moins ces fouilles permettaient de trouver des idées neuves… Hélas non, car chaque coup de pelle ne fait que l’enfoncer encore et davantage à l’image de votre nouvelle reforme. Cela donne, excusez de l’expression, l’impression d’un prurit permanent.

Prurit, parce que cette fois-ci aussi, malheureusement, votre ministère a fait preuve de sa totale absence de perception et d’intelligence, surtout, lorsque que vous agitez, si béatement, des slogans assez rances, je cite : « l’uniforme scolaire pour combattre les inégalités à l’école ». Au demeurant, celle-ci ne marche pas, parce que cette formule à la fortune aussi soudaine que suspecte ne tient pas debout. « L’égalitarisme » dont vous parlez, ici, ne fait même pas qu’affleurer. Il plastronne. Pis, il s’agit là, en allant plus loin dans la réflexion, une certaine propension à la provocation, parce que ne dit-on pas « qui joue avec les mots, joue avec les vies » ? Pas étonnant, en conséquent, qu’il y ait un point fort obscur dans la manière de s’y prendre.

Excellence Moustapha, pour qu’un projet politico-social atteigne tout son prestige et obtienne le consentement des citoyens, il faut au préalable : l’étudier, le tester sur un échantillon, puis se concerter avec les concernés (ici les parents). A aucun moment, le votre n’a respecté ces règles pourtant assez élémentaires. Me direz-vous que cela résulte des Etats généraux de 1999 ?

Soit. Mais près de 20 ans après, les choses ont changé. Evolué. C’est du passé. Vous n’êtes pas sans savoir, monsieur le Ministre, qu’à la différence du futur, le passé, lui, est advenu. Figé. Et ce qui nous reste du passé n’est finalement qu’une interprétation variable selon les années et la population, qui, elle aussi, est constamment en évolution.

Comment alors, dans ce ministère, qui regorge tant d’anciens collègues, ces notions de « variabilité » et « d’évolution » d’une scientificité et d’un scientisme implacables, pourtant, enseignées dans plusieurs disciplines (en maths, en histoire, en sociologie, en psychologie, en philosophie…) vous ont-elles échappées ? A moins que derrière cette reforme ne se cachent des passions trompeuses. « Là où il y a la passion, la raison s’éclipse » dit-on, Excellence. Et sans raison, il devient justement facile de trafiquer le réel en tissant mensonges et demi-vérités.

Excellence, cher ancien collègue, en ce temps difficile, la crise frappe de plein fouet la majorité des Djiboutiens. La crise pèse sur leurs maigres revenus et sur leur pouvoir d’achat. Elle asphyxie plus d’un et n’épargne personne à l’exception de quelques nantis. La prospérité s’est évanouie au seuil de nos portails depuis assez longtemps. La paix sociale à laquelle les Djiboutiens se sont désespérément accrochés depuis, semble être, maintenant, menacée jusqu’à nos confins.

Cette reforme de tenues vestimentaires, ajouté à la pénurie de lait, à la cherté du coût de l’électricité, aux coupures incessantes de l’eau, créent irrémédiablement des profondes fractures. Celles-ci s’assemblent, s’additionnent et instaurent un climat à la saveur épique d’une nation en grogne. L’on distingue aisément la masse et la trame d’une population qui commence à prendre conscience de son malheur quotidien et à entrer véritablement en résistance.

Parce que, Excellence, lorsqu’on demande de payer encore, à un affamé parmi tant d’affamés, qui n’a pas vraiment de quoi s’acheter du pain et des livres, sa réaction ne peut être que fulgurante : dans ce cas, l’on n’attend pas de cet affamé, de vanter les louanges de la lame qui le lacère et du gourdin qui le châtre. Non. Excellence. Non.

C’est pourquoi, partout et aux quatre coins du pays, tous les Djiboutiens dressent les plus terribles réquisitoires contre l’instauration du port de l’uniforme scolaire. Elle est fortement contestée, frappée d’un désamour déjà quasi fonctionnel avec la population. Elle est totalement rejetée et à une vitesse météorique. Désavouée, elle l’est. Caricaturée et tournée en ridicule, aussi.

Depuis, l’expression MENFOP suscite des véritables moqueries de la part des internautes (oui, oui, il suffit de jeter un coup d’œil aux différents commentaires laissés sur la page Facebook du ministère suite à l’article de votre Conseiller en communication). Le MENSHOP ou encore le MENPOCHE sont ces magnifiques florilèges dont les internautes s’en donnent à cœur joie. Des détournements hastags redoublant d’ingéniosité, les uns des autres, fleurissent de partout. Unanimement, les Djiboutiens se déchainent contre cette reforme. Elle n’est vue que d’une seule façon : pour les Djiboutiens, c’est une autre manière, peu ingénieuse, de ruser avec le peuple.

Dénoncer sans bouger n’est pas glorieux. Subir sans ne rien faire est insupportable. Nous en sommes là, nous. Quant à vous, Excellence, ne pas tenir compte des conséquences possiblement dramatiques mais fort probables est toujours imprudent. « A trop s’entêter avec les mers agitées, on se laisse surprendre par les tempêtes » dit le vieil adage. C’est pourquoi, surtout, en politique, l’habilité réside dans l’art de savoir orienter les événements sans être submergé par eux.

Vous connaissant, surtout votre souplesse, j’ose espérer, Excellence, que vous êtes en mesure de comprendre quand il faut résister et quand il faut céder parce que les effets catastrophiques de votre proposition l’exigent. François Fillon, alors ministre de l’éducation nationale en 2005, n’avait-il pas lui aussi cédé face à la rue qui avait obtenu le retrait du texte ?

Et là, cher ancien collègue, cher camarade, je vous recommanderai, très poliment et avec beaucoup de sagesse, de CEDER parce que l’intransigeance constitue, en politique, la plus dangereuse des attitudes.

Et ce n’est pas à vous, ancien éminent professeur d’Histoire, à qui j’apprendrai, qu’en janvier 1649, Charles 1er, roi d’Angleterre, perdit sa tête pour avoir trop résisté.

Amicalement, votre ancien collègue. Kadar Abdi Ibrahim.

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