POINT DE VUE

Le regard de l'Islam sur celui qui gouverne : Les sept injonctions coraniques


Alwihda Info | Par Dr Jimi ZACKA - 31 Aout 2013



« Celui dont le fond du cœur est en harmonie avec Allah, Allah arrangera ce qu’il y a entre lui et les gens » (Omar Ibn Al Khattab)

Il est toujours périlleux d’aborder des sujets qui fâchent. Ainsi des événements qui se déroulent depuis bientôt six mois en Centrafrique: à savoir les exactions de la séléka devenues, aujourd’hui, la matrice d’une révolte de plus grande ampleur contre l’autoritarisme d’un régime oppresseur. Pour des observateurs avertis, il faudrait, non seulement, y voir les mains occultes de quelques forces négatives qui tirent les ficelles, mais aussi réfléchir à certaines questions qui s’imposent. : Pourquoi, à l’exception du Monseigneur Nzapalainga et du pasteur Guerekoyamene, les imams de Bangui s’enferment dans un mutisme complice ? Pourquoi ne dénoncent-ils pas les exactions commises par la coalition Séléka ? Les attributions d’un imam se limitent- elles seulement dans une mosquée ou est-il censé prendre parole dans un espace public pour défendre les sans-voix ? Que dit l’Islam à propos d’un régime oppresseur? Enfin, quel regard l’Islam porte-t-il sur celui qui gouverne ?

Ces multiples questions m’ont contraint à des recherches fouillées pour m’imprégner de ce que dit le Coran à propos de la gouvernance. Car, notre pays a pour la première fois un Président musulman et en cinq mois le curseur des souffrances du peuple centrafricain a atteint son paroxysme. Je pense qu’avoir un Président musulman ne pose pas de problème en Centrafrique à l’instar du Gabon, mais là où le bât blesse, c’est de voir nos dirigeants actuels se livrer à des barbaries meurtrières sous le regard indifférent des imams. C’est comme si le coran donne autorisation à tout bon musulman de tuer, piller, violer, voler son prochain ou à un dirigeant musulman d’oppresser son peuple. Or, non. C’est faux. Et c’est l’imam qui doit expliciter ce qui est dit dans le Coran à propos du rôle du gouverneur envers son peuple. L’imam, d’après le sahîh’ de Muslim, n’est pas seulement une personne qui dirige une prière dans une mosquée, il est aussi une personne versée dans l’interprétation du coran et dans la connaissance des rites de l’Islam. Il lui appartient en effet de condamner les comportements déviants des musulmans qui ne se soumettent pas aux principes du Coran. En fait, je ne vais pas me substituer à un imam ici pour prodiguer des conseils à nos princiers actuels, mais, en tant que chercheur, je vais tenter de faire l’exégèse de certains textes coraniques que les imams devraient en principe porter comme message divin auprès de nos gouvernants actuels..

I. LE CORAN ENJOINT CELUI QUI GOUVERNE D’ETRE HUMBLE

L’islam considère celui qui gouverne comme un mandataire de la nation, ou un employé chez elle. Or, le peuple a le droit de demander des comptes à son mandataire, et de lui retirer son mandat, notamment s’il n’honore pas sa charge.

En islam, le gouvernant n’exerce pas un pouvoir infaillible. Au contraire, c’est un homme susceptible de voir juste et de se tromper, de faire justice et de commettre l’injustice ;

l’ensemble des musulmans ont le droit de le corriger lorsqu’il se trompe et de le rectifier lorsqu’il dévie.

C’est ce qu’ont déclaré les plus grands gouvernants musulmans, après Mahomet, les Califes Bien-Guidés, dont les musulmans ont reçu l’ordre de suivre la tradition.

- Le premier Calife, Abû Bakr, a dit dans son discours d’investiture : « Ô gens, j’ai été nommé à votre tête, mais je ne suis pas le meilleur d’entre vous. Si vous me voyez dans le vrai, aidez-moi. Et si vous me voyez dans le faux, corrigez-moi. Obéissez-moi aussi longtemps que j’obéis à Dieu à votre égard. Mais si je Lui désobéis, aucune obéissance de votre part ne m’est due. »

- Le deuxième Calife, `Umar, a dit : « Que Dieu fasse miséricorde à toute personne qui me fait cadeau de mes défauts. » Il a dit aussi : « Ô gens, quiconque parmi vous voit en moi quelque déviance qu’il me rectifie. » Ce sur quoi un homme dans le public a répondu : « Par Dieu, fils d’Al-Khattâb, si nous voyons en toi quelque déviance nous la rectifierons du tranchant de nos épées ! »

À une autre occasion, une femme a rejeté son opinion alors qu’il se tenait sur le minbar, sans qu’il ne s’en offusque. Au contraire, il a commenté : « Une femme a vu juste, et `Umar s’est trompé ! »

- De même, `Alî Ibn Abî Tâlib a dit à un homme qui s’était opposé à lui dans une affaire :

« Tu as raison et j’ai tort. "Certes au-dessus de chaque savant il y a Plus Connaisseur."

II. LE CORAN CONDAMNE LES GOUVERNEURS QUI SE POSENT EN DIEUX SUR TERRE

Le Coran a mené une campagne très dure contre les gouverneurs qui se posent en dieux sur terre, et qui asservissent les serviteurs de Dieu, tels que Nemrod à propos duquel le Coran relate le face à face qui l’a opposé à Abraham en ces termes : « N’as-tu pas vu celui qui, parce que Allâh l’avait fait roi, argumenta contre Abraham au sujet de son Seigneur ? Abraham ayant dit : "J’ai pour Seigneur Celui qui donne la vie et la mort", "Moi aussi, dit l’autre, je donne la vie et la mort." Alors dit Abraham : "Puisqu’Allâh fait venir le soleil du Levant, fais-le donc venir du Couchant." Le mécréant resta alors confondu. Allâh ne guide point les gens injustes. » (Sourate 2, Al-Baqarah, La génisse, verset 258). Ce tyran, qui affirmait donner la vie et la mort, tout comme le seigneur d’Abraham — le Seigneur des Mondes — donne la vie et la mort, exigeait que les gens lui vouent un culte comme ils vouaient un culte au seigneur d’Abraham. L’imprudence de cet homme était telle qu’il a choisi au hasard deux passants dans la rue et les a condamné à mort. Il a fait exécuter l’un d’eux en disant : « Voilà, je lui ai donné la mort. » Puis, il a amnistié l’autre en disant : « Voilà, je lui ai donné la vie » et de demander : « N’est-il pas vrai que je donne la vie et la mort ? » Dans la même veine, il y a Pharaon qui a fait annoncer à son peuple : « Je suis votre Seigneur le Très-Haut. » (Sourate 79, An-Nâzi`ât, verset 24).

En effet, le Coran condamne trois formes de vices caractérisant le despotisme politique :

1) Le gouverneur se posant en dieu sur terre, dominant la terre de Dieu et sévissant contre les serviteurs de Dieu, à l’instar de Pharaon.

2) L’homme politique arriviste qui met son intelligence et son expérience au service d’un tyran afin d’asseoir son pouvoir et assujettir les masses, à l’instar de Hâmân..

3) Le capitaliste qui profite du pouvoir du tyran ; il soutient ce dernier par sa fortune pour récolter une fortune encore plus grande qu’il suce dans la sueur et le sang du peuple, à l’instar de Qârûn (Coré).

III. LE CORAN FAIT LIEN ENTRE LA TYRANNIE ET LA CORRUPTION

Le Coran établit une relation entre la tyrannie et la propagation de la corruption qui entraîne le péril et la destruction des nations. Le Très-Haut dit en effet : « N’as-tu pas vu comment ton Seigneur a agi avec les `Âd § (avec) Iram, (la cité) à la colonne remarquable, § dont jamais pareille ne fut construite parmi les villes ? § et avec les Thamûd qui taillaient le rocher dans la vallée ? § ainsi qu’avec Pharaon, l’homme aux épieux ? § Tous, étaient des tyrans dans (leurs) pays, § et y avaient semé beaucoup de corruption. » (Sourate 89, Al-Fajr, L’aube, versets 6 à 12). Parfois, le Coran désigne la tyrannie en parlant « d’élévation » (`uluww), qui correspond à un sentiment de supériorité et le fait de sévir contre les gens en les humiliant et en les écrasant. Ainsi le Très-Haut dit de Pharaon : « Pharaon qui était hautain et outrancier » (Sourate 44, Ad-Dukhân, La fumée, verset 31). « Pharaon était hautain sur terre ; il répartit en clans ses habitants, afin d’abuser de la faiblesse de l’un d’eux : Il égorgeait leurs fils et laissait vivantes leurs femmes. Il était vraiment parmi les fauteurs de corruption. » (Sourate 28, Al-Qasas, Les récits, verset 4). Ainsi voit-on que le sentiment de supériorité va toujours de pair avec la corruption.

IV. LES SOLDATS DU TYRAN ET SES MOYENS D’OPPRESSION PARTAGENT SON PECHE

En sus des tyrans eux-mêmes, la responsabilité (des méfaits) repose sur les « instruments du pouvoir », que le Coran désigne par le terme « soldats », et qui correspondent à la force militaire qui constitue la force de frappe du pouvoir politique destinée à mâter les populations si d’aventure elles se rebellaient ou songeaient à se rebeller. Le Coran dit à ce sujet : « Pharaon, Hâmân et leurs soldats étaient fautifs. » (Sourate 28, Al-Qasas, Les récits, verset 8.) et « Nous le saisîmes donc, ainsi que ses soldats, et les jetâmes dans le flot. Regarde donc ce qu’il est advenu des injustes ! » (Sourate 28, Al-Qasas, Les récits, verset 40).

V. LE CORAN CRITIQUE LES PEUPLES QUI SE SOUMETTENT AUX TYRANS

Le Coran n’a pas limité sa condamnation aux individus qui se prennent pour des dieux uniquement, il a étendu sa critique à leurs peuples qui ont obéi à leur commandement, leur ont emboîté le pas et leur ont confié leur sort. Le Coran leur a attribué une part de responsabilité. Le Très-Haut dit à propos du peuple de Nûh (Noé) : « Noé dit : "Seigneur, ils m’ont désobéi et ils ont suivi celui dont les biens et les enfants n’ont fait qu’accroître la perte. » (Sourate 71,

Nûh, Noé, verset 21). Il dit — Exalté soit-Il — à propos des `Âd, le peuple de Hûd : « Voilà les `Âd. Ils avaient nié les signes de leur Seigneur, désobéi à Ses messagers et suivi le commandement de tout tyran entêté. » (Sourate 11, Hûd, verset 59).

Il dit aussi — Exalté soit-Il — à propos du peuple de Pharaon : « Ainsi chercha-t-il à étourdir son peuple et ainsi lui obéirent-ils car ils étaient des gens pervers. » (Sourate 43, Az-Zukhruf, L’ornement, verset 54). « Mais ils suivirent l’ordre de Pharaon, bien que l’ordre de Pharaon n’était point avisé. § Il précédera son peuple, au Jour de la Résurrection. Il les mènera à l’aiguade du Feu. Et quelle détestable aiguade ! » (Sourate 43, Az-Zukhruf, L’ornement, verset 54). Il a fait porter aux peuples une part de responsabilité car ce sont les peuples qui fabriquent les pharaons et les tyrans. C’est ce que les gens expriment dans l’adage : « On a demandé à Pharaon : “Qu’est-ce qui a fait de toi un despote ?” Il a répondu : “Personne ne m’a arrêté !” »

VI. LA SUNNAH FUSTIGE LES PRINCES INJUSTES

La tradition prophétique a également fustigé les princes injustes et les tyrans, qui mènent leurs peuples au martinet, et lorsqu’ils se prononcent personne n’ose les reprendre. Ceux-là sont « ceux qui se précipitent dans le feu tels des papillons de nuit ». Elle a également fustigé leurs auxiliaires, qui les entourent et les encensent. La tradition prophétique critique aussi les peuples qui se laissent imprégner par la peur au point que personne ne puisse appeler un tyran un tyran.

Selon Abû Mûsâ, le Messager de Dieu dit : « La Géhenne contient une vallée dans laquelle se trouve un puits du nom de Habhab. Dieu y a destiné tout tyran obstiné. »

Selon Mu`âwiyah, le Prophète dit : « Après moi viendront des gens qui se prononceront sans que personne n’ose les reprendre, ils feront la grimace dans le Feu comme des singes. »

D’après Jâbir, le Prophète dit à Ka`b Ibn `Ajrah : « “Que Dieu te préserve du pouvoir des princes indigents, ô Ka`b.”

— “Qui sont les princes indigents ?”, s’enquit ce dernier.

— “Ce sont des princes qui viendront après moi, qui ne suivent pas ma guidance et n’appliquent pas ma tradition. Ceux qui approuveront leurs mensonges, ou les soutiendront dans leurs injustices, ne sont pas des miens et je ne suis pas des leurs et ils ne boiront pas à mon Bassin. Ceux qui ne les approuveront pas ni ne les soutiendront dans leurs injustices,sont des miens et je suis des leurs et ils boiront à mon Bassin.”.

D’après un récit attribué au Prophète (marfû`) selon Mu`âwiyah : « Toute nation où l’on ne rend pas la justice et où le faible n’arrache pas ses droits au fort sans peine ne sera point sanctifiée. »

D’après un récit attribué au Prophète (marfû`) selon `Abd Allâh Ibn `Amr : « Si tu vois ma nation craindre d’appeler un injuste un injuste, alors plus rien n’est à espérer d’elle. ».

VII. LA CONCERTATION, L’INJONCTION DU CONVENABLE ET L’INTERDICTION DU BLAMABLE

L’islam a érigé la concertation (Ash-Shûrâ) en règle dans la vie islamique. Il a enjoint au gouverneur de consulter et a enjoint à la communauté de prodiguer le conseil, au point que la religion toute entière a été assimilée au conseil... Or, le conseil inclut le conseil donné à la communauté musulmane, dont les princes et les gouverneurs.

De même, l’islam a élevé l’injonction du convenable et l’interdiction du blâmable au rang de l’obligation ferme. Mieux encore il a décrété que la forme de jihâd la plus méritoire consiste à dire une parole juste face à un despote. Ceci signifie que l’islam considère que la résistance à la tyrannie et à la corruption intérieure est plus importante encore aux yeux de Dieu que la résistance à l’invasion extérieure. Car la tyrannie est souvent les prémices de l’invasion extérieure.

CONCLUSION

In fine, je ne peux laisser passer sous silence la lettre de Omar Ibn Al Khatab (la gouvernance en Islam) adressée à Abou Moussa Al Achari que je soumets à la lecture de Son excellence Mr le Président de la transition Michel Djotodia. Elle dit ceci :

« La justice est une obligation sans équivoque et une voie à suivre. Sois perspicace lorsqu’une affaire t’est soumise, car il ne sert à rien de dire la vérité sans la mettre en application. Sois impartial vis-à-vis des gens dans ton assise et ton regard afin que le noble n’espère pas de toi une conduite injuste et que le faible ne désespère pas de ton équité…Evite le malaise, l’angoisse et le préjudice que tu peux causer aux parties dans des endroits de vérité auxquels Allah accorde la récompense et l’agrément, car celui dont le fond du cœur est en harmonie avec Allah, Allah arrangera ce qu’il y a entre lui et les gens. Que la paix soit sur toi ».

Dr Jimi ZACKA (Théologien, Anthropologue)

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