ANALYSE

RCA : La dictature de l'amateurisme


Alwihda Info | Par Prosper INDO - 25 Mars 2014



Par Prosper INDO

Des manifestants lors d'une manifestation contre l'opération Sangaris. Crédit photo : Sources
De Bangui, la capitale centrafricaine, les nouvelles parviennent au fil de l'eau. Les évènements se précipitent, se télescopent ou se contredisent, entre rumeurs et propagandes.
 
Ces derniers jours, les nouvelles se veulent rassurantes mais ne parviennent pas à tromper l'angoisse.
 
D'un côté, c'est la Misca qui fait état de la découverte, après dénonciation anonyme, et de la saisie d'un important stock d'armes et de munitions. Un arsenal à faire pâlir de jalousie tous les groupes jihadistes les plus durs : 10 000 munitions de calibre 12,7mm, 2 armes anti-aériennes quadritubes, 15 MAS 36, 68 mitrailleurs MAT 49, 20 mines anti-personnelles, etc. Il s'agit sans aucun doute de matériels militaires destinés aux milices anti-Balaka et détournés au détriment des forces armées centrafricaines (FACA).
 
D'un autre côté d'autres nouvelles sans être rassurantes, laissent augurer une accalmie dans les assassinats de ces dernières semaines.
 
En bonne place, il faut tenir la signature d'un accord visant la sécurité des 11 000 musulmans de la ville de Boda, dans le nord-ouest du pays, encerclés par les milices anti-Balaka, et dont 6 000 avaient demandé à être évacués par les forces internationales.
 
On ose espérer que cet accord, conclu à l'initiative de Joachim Kokaté, désormais ministre-conseiller à la Primature après s’être longtemps signalé comme le responsable des anti-Balaka, consacrera la fin des violences dans cette localité.
 
Autre information, annoncée par le président du Conseil national de transition, Ferdinand N'Guendet, l'ouverture de la session parlementaire du CNT qui sera consacrée à l'élaboration d'une nouvelle constitution, laquelle loi fondamentale serait soumise à un référendum populaire au mois de juin prochain.
 
La nouvelle constitution serait ainsi le sésame qui dénouerait la crise centrafricaine ; une invocation miraculeuse !
 
Quatrième information recueillie cette dernière semaine, aussi importante qu'invraissemblable, l'allègement du couvre-feu à Bangui, qui ne sera plus observée qu'entre 23 heures et 5 heures du matin !
 
Enfin, dernière nouvelle d'apparence anodine et réconfortante, l'organisation d'un hommage solennel le 29 mars 2014 à la mémoire de Barthélémy Boganda, président fondateur de la République centrafricaine, pour le 55ème anniversaire de sa disparition dans un accident d'avion.
 
Pris dans l'absolu, ce chapelet de nouvelles laisserait à croire en une résolution du conflit multidimensionnel qui perdure depuis au moins un an en Centrafrique et à une sortie de crise prochaine. Hélas ! On est loin de la coupe aux lèvres.
 
1 – L'allègement du couvre-feu est une faute morale.
 
Les raisons qui président à cette mesure d'allègement sont obscures, si ce n'est que le gouvernement de transition, adepte de la méthode Coué, voudrait se persuader de la pérennisation de l'accalmie observée depuis quelques jours à Bangui. Même si la Misca s'est félicitée de cette mesure, sans doute pour marquer des points dans l'opinion et auprès de l'UA pour preuve de son efficacité, c'est prendre un risque majeur contre l'intégrité physique et morale des Centrafricains.
 
Il faut garder à l'esprit que le couvre-feu en vigueur a été instauré par le président démissionnaire
 
Michel Djotodia, en novembre 2013, face à la recrudescence des exactions commises par les ex-Séléka et les anti-Balaka, dans un cycle sanglant de représailles et contre-représailles.
 
A un moment où tous les spécialistes de la sécurité et du maintien de l'ordre public préconisent l'instauration d'une loi d'exception ou la déclaration d'un véritable état d'urgence, visant à la neutralisation des délinquants, pillards et autres criminels de droit commun qui s'inscrivent en tueurs en série dans le sillage des milices armées anti-Balaka, cet allègement est contre-productif.
 
C'est ainsi que des nouvelles violences ont fait au moins quatre morts samedi 22 mars du côté du grand marché du PK5 à Bangui.
 
Des hommes armés, présentés comme des anti-Balaka, auraient à deux reprises au moins réussi à pénétrer dans ce quartier encore habité par des musulmans, pour accomplir leurs forfaits. Le PK5 était déjà un ghetto où les musulmans vivaient cloîtrés, encerclés par les anti-Balaka, le voici désormais transformé en souricière !
 
A l'évidence, il aurait fallu prolonger un couvre-feu intégral jusqu'à la fin de la période de transition, et étendre cette mesure dans toutes les villes de province, au fur et à mesure de la progression des forces internationales dans l'arrière pays.
 
A défaut d'état d'urgence, un couvre-feu contraignant serait une aide appréciable pour les militaires dont ce n'est pas le rôle de jouer les agents de la circulation.
 
2 – Le projet de nouvelle constitution, un hors-jeu manifeste.
 
Il est certes dans les attributions du Conseil national de la transition de proposer l'élaboration d'une loi constitutionnelle définitive destinée à habiller la RCA de la légalité d'un Etat de droit. Mais cette exigence constitutionnelle ne signifie nullement la rédaction en urgence d'une nouvelle loi fondamentale et l'organisation d'un vote référendaire pour son adoption, au cours de cette transition.
 
Les raisons en sont multiples.
 
La RCA étrenné depuis sa création plus de cinq actes constitutionnels différents, qui ne l'ont pas protégée contre les dérives insurrectionnelles et les coups d'Etat militaires.
 
Les crises centrafricaines ne relèvent point d'une défaillance institutionnelle. Elles sont au contraire la conséquence d'une défaillance humaines c'est-à-dire le produit de chocs d'ambitions personnelles exacerbées ou d'intelligences dévoyées qui s'exercent au mépris de la loi, quelle soit fondamentale ou non.
 
La dernière constitution, inaugurée le 5 décembre 2004, a à peine dix ans. Il s'agit d'un texte équilibré, dont il faut ici saluer la mémoire de l'un de ses artisans, Maître Zarambaud Assingambi Julien, ardent défenseur des droits de l'homme, décédé brutalement le 24 janvier dernier à Paris.
 
Elaborée lors d'une précédente transition à l'issue de l'insurrection militaire provoquée par le général François Bozizé en mars 2003, la constitution de 2004 a été abrogée par le président démissionnaire Michel Djotodia au lendemain de la prise du pouvoir par les rebelles de l'ex-alliance Séléka. C'est la volonté de François Bozizé, de remettre en cause les principes d'un texte qu'il a fait adopter par référendum et paraphé de sa propre main, qui a précipité sa chute.
 
Relancer le projet d'une nouvelle constitution, qui serait élaboré en vase clos au sein d'un CNT mis en place et acquis à la défunte alliance Séléka, ouvrirait la boîte à Pandore des exigences farfelues ou inaccessibles, comme la partition du pays. Cela ne peut s'envisager dans le contexte actuel où une partie importante de la population est déplacée ou réfugiée à l'extérieur des frontières.
 
Sauf à vouloir par ce biais tenter de s'affranchir de la disposition qui fait interdiction aux autorités de la transition – présidente, membres du gouvernement et membres du bureau du CNT – de
 
participer aux prochaines élections présidentielles, on ne voit nulle raison de lancer ce processus illico.
 
En admettant et autorisant un tel débat, les autorités de transition commettraient un acte de forfaiture, et entretiendraient une illusion, celle de croire qu'un acte constitutionnel rétablirait la confiance et l'harmonie au sein de la population.
 
3 – L'hommage à Barthélémy Boganda, une faute de mauvais goût.
 
Parmi toutes les initiatives prises ici ou là pour rassembler ce qui peut l'être encore du peuple centrafricain, l'hommage autour des idéaux de Barthélémy Boganda, en mémoire du 55ème anniversaire de la disparition accidentelle du président-fondateur de la République centrafricaine, le samedi 29 mars prochain, constitue une idée à la fois simple et mobilisatrice, qui devrait recueillir l'unanimité.
 
Or parmi les manifestations prévues à l'occasion de cet hommage solennel, figurent des dispositions qui sont inexcusables voire inutiles, au risque de rompre, à cette occasion, une unanimité de façade.
 
Ainsi, il est prévu le matin du 29 mars à Bobangui, le village natal de B. Boganda, une prise de parole du chef d'Etat de transition, Madame Samba-Panza, d'un représentant de la famille Boganda, du commandant des forces congolaises de la Misca, et des journalistes d'Opinion-internationale, organisatrice de l'opération.
 
L'après-midi, l'hommage rassemblerait à Bangui différents représentants des Nations Unies, de la France, des grands partis politiques et associations centrafricaines, des Seleka, des anti-Balaka, des représentants des victimes, Misca, Sangaris, etc.
 
On voit poindre une confusion des genres et des rôles. Que le chef d'Etat de transition prenne la parole relève des attributs de sa fonction. Elle pourrait, à cette occasion s'entourer du Premier-ministre et des membres du gouvernement, et du bureau du CNT. A l'inverse, on ne voit pas à quel titre le général Mokoko s'exprimerait à cette occasion, sauf à considérer ce dernier comme un pro-consul.
 
Pis, voir les Seleka – forces rebelles dissoutes – et les Anti-balaka – milices armées sanguinaires déclarées ennemis de la paix - participer à une cérémonie en mémoire de Barthélémy Boganda, dont les uns ont profané la sépulture au tout début de l'insurrection militaire et les autres bafouer sa profession de foi dans l'homme, Zo kwè Zo, en s'en prenant à leurs frères musulmans, relèvent de la supercherie intellectuelle.
 
Qui plus est, voir ces Seleka et Anti-balaka, dont les exactions criminelles perdurent, et qui ne sont ni jugés ni condamnés, venir côtoyer leurs propres victimes ou les parents de celles-ci sans que ces victimes aient obtenue une quelconque réparation ou reconnaissance, relève d'une grave faute de mauvais goût, même au nom d'une hypothétique réconciliation.
 
Il est étonnant que le ministre de l'Administration du territoire et de la décentralisation ait accordé son agrément à ce projet sans quelque réserve.
 
A vouloir précipiter les choses ou forcer la main, on finit par obtenir le contraire de ce qu'on désire.
 
On aimerait aider la transition à réussir, mais à ce degré d'amateurisme, le challenge s'annonce perdu d'avance.
 
Prosper INDO

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