POINT DE VUE

Visite de Macron au Cameroun : comme une obsession contre la Russie


Alwihda Info | Par Jean Olivier Kebega, analyste politique - 6 Aout 2022


La dernière visite du président français au Cameroun est encore venue administrer la preuve de l’extrême gestion patriotique des intérêts camerounaise par le président Paul Biya.


A la suite de sa récente visite en Afrique, une opinion se demande encore, ce que le président français Emmanuel Macron est réellement venu faire au Cameroun. Du coup, le bilan semble mitigé, quand certains parlent d’un échec retentissant. On en veut pour preuve, la colère rouge exprimée notamment lors de sa conférence de presse, avec le président camerounais le 26 juillet 2022, au Palais de l’Unité de Yaoundé.

Si certains ont tôt fait de dire que Monsieur Macron se rendait au Cameroun à l’effet d’adouber Franck Biya, dans le processus de la succession du président Paul Biya, des observations permettent, sans toutefois écarter définitivement une telle motivation comme l’une, parmi les enjeux qui constitueraient un tel déplacement, il apparait que l’enjeu prioritaire tournait autour de la Russie.

Frank Biya n’était pas l’enjeu principal
Tout d’abord, le président Paul Biya l’a dit : il entend terminer son mandat. Et cette volonté est corroborée, tant objectivement que subjectivement. Sur le plan objectif, le président Biya est cohérent avec son histoire. En effet, à aucun moment, il n’a laissé transparaitre de façon anticipée, ses intentions quant à son avenir politique. L’on se souvient de sa réponse à un journaliste, affirmant que l’élection était certaine mais lointaine, et que le moment venu, sa décision serait connue. Cette position n’a pas varié en 2022.

Sur le plan subjectif, ainsi que certains ont pu l’observer, le président Paul Biya est apparu bien plus vif qu’il ne l’a été depuis plusieurs mois. Cette vivacité s’est particulièrement remarquée dans ses analyses et esquives, durant la conférence de presse conjointe avec le président Emmanuel Macron.

Sur la base de ces quelques éléments, loin d’être exhaustifs, il est peu probable que le président Paul Biya, reconnu grand maître du temps, et donc du timing, ait pu vouloir dévoiler, trois ans à l’avance, le nom de son successeur, qui plus serait son fils, Franck Biya. L’on ne saurait cependant catégoriquement affirmer que la présentation du fils au président français ne fut pas d’un certain intérêt pour le président camerounais.

L’enjeu : le GNL et la Russie
La Russie et le gaz, étaient, à plusieurs titres, l’enjeu principal de la visite du président français Emmanuel Macron au Cameroun.

La volonté de contrer la forte pénétration russe dans le pré-carré français est un objectif et un enjeu de grande importance. Mais cela demeure un combat de longue haleine qui a occasionné promptement la visite du président français, à la fin du mois de juillet 2022. On ne le dira jamais assez : la guerre des Russes en Ukraine et ses multiples conséquences immédiates et à venir, est au cœur de l’enjeu de la visite du président français au Cameroun les 25 et 26 juillet 2022. Au rang des conséquences, se trouve la question de la fin des livraisons des énergies russes à certains pays européens, dont la France. En effet, bien que la France ne soit pas aussi dépendante que l’Allemagne du gaz russe, elle se trouvera très impactée par la décision des Russes de cesser de lui livrer du gaz.

Face à cette situation qui impacte tant politiquement (les Français risquent de voir des coupures des gaz ou du rationnement), qu’économiquement (les entreprises verraient leur productivité affectée), le gouvernement français, comme les autres, est en train de rechercher des solutions alternatives. Il est évident que le temps presse, puisque l’automne commence le 21 septembre !

Sur le plan géopolitique, il est connu que la France a un avantage historique, sa mainmise étant avérée sur ses anciennes colonies et dominations en Afrique. Mais, les choses ne sont plus aussi simples, notamment avec la désormais forte et continuelle présence des BRICS, dont la Russie en Afrique. Là où les choses se compliquent de façon fort conjoncturelle pour la France (alors qu’il pourrait s’agir d’un plan savamment préparé par le président Paul Biya), c’est que, parmi les solutions à la pénurie annoncée de l’énergie, dont devrait disposer la France, se trouve le gaz naturel liquéfié (GNL), produit au large de Kribi depuis 2017 par les sociétés SNH et PERENCO, cette dernière étant une société franco-britannique.

La France aurait naturellement pu prétendre au rachat de GNL (1 million 200 000 tonnes) si, et c’est là le malheur et l’enjeu du déplacement de son président, les Russes, au travers de la société Gazprom, ne s’étaient pas arrangés avec le président Paul Biya, pour le rachat de la totalité de la production de ce tonnage de GNL. En effet, à la fin de novembre 2015, la société Gazprom Marketing & Trading (Gazprom M&T), s’est engagée à racheter toute la production issue de l’usine à GNL de Kribi dont la production devait commencer en 2017.

C’est donc avec la ferme intention de voir le président Paul Biya rompre le contrat de Gazprom que le président Emmanuel Macron serait venu si promptement au Cameroun. Or, tout suggère que le président français n’a pas obtenu cette rupture lors de son tête-à-tête du 26 juillet 2022 avec son homologue camerounais.
Cela expliquerait sa diatribe lors de la conférence de presse durant laquelle, faisant semblant de ne critiquer que les Centrafricains et les Maliens, il a invectivé les Africains en les traitant d’hypocrites.

La colère de Macron
En toute logique, la colère du président français peut se comprendre. En effet comment pourrait-il expliquer aux Français, transis de froid l’hiver prochain, que la France coproduit le gaz avec le Cameroun, mais que ce produit est entièrement aux mains des Russes qui refusent de le leur livrer.

Le courroux du président français contre son homologue camerounais est d’autant plus grand que le refus de rompre le contrat de rachat du GNL de Kribi vient d’un homme dont ont dit qu’il est, ou a été au service des intérêts français, le président Paul Biya.

En réalité, cette situation vient à administrer la preuve de l’extrême gestion patriotique des intérêts camerounais par son président.

La chose est en effet extrêmement cocasse, et c’est là aussi la raison pour laquelle il nous est difficile de retenir que le président français serait venu à l’effet d’adouber Franck Biya, car si tel avait été le cas, et tenant compte de l’extrême enjeu de la transition politique au Cameroun, peut-être est-il possible de penser que le président Biya aurait pu contenter les Français, en échange de l’onction sur son fils. Il convient de souligner que face à un affront, et en particulier lorsqu’il vient de celui qui est considéré comme un subalterne, la première et parfois l’unique réaction de la France est la violence, la punition. Le cas de la Guinée de Sékou Touré est un exemple patent.

Un ambassadeur général annoncé au Cameroun
Face au refus et au positionnement, perçus côté français, comme pro-russe de Monsieur Paul Biya, il est évident que des mesures de rétorsion seront envisagées.

Celles-ci pourraient notamment consister en de la subversion sociale et de l’agitation politique, monitorées par les représentants officiels et officieux de la France. L’annonce de l’arrivée d’un nouvel ambassadeur, le général de corps d’armée Thierry Marchand, ne serait pas anodine. Les réseaux officieux seront également activés au niveau des relais ou des pro-français dans la société civile, parmi laquelle on retrouve notamment les nouveaux JECAFRA (Jeunesse Camerounaise Française), dont on a entendu des discours et vu certains visages en compagnie du président français.

En se mouillant un peu, il est envisageable de retenir que les Occidentaux se sont aperçus que le grand âge et la longévité du président Biya jouent en leur défaveur. Il faut donc penser que c’est notamment cet état qui donne actuellement la force au président camerounais de s’opposer, aussi frontalement, au dictat français sur certaines questions.

Si la victoire et la montée en puissance des Russes étaient davantage pour le Mali et la Centrafrique une nécessité, cela l’est devenu aussi pour le Cameroun. En effet, l’échec de la Russie verrait un retour triomphant et violent de la France dans ces deux premiers pays, et dans une certaine mesure, au Cameroun.

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