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INTERNATIONAL

"Boko Haram a changé de modus operandi après sa défaite militaire", selon l'ONU


Alwihda Info | Par UN - 25 Juillet 2015


Le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour l’Afrique centrale présente la situation sécuritaire actuelle sur le continent, et l'épineuse question des élections


"Boko Haram a changé de modus operandi après sa défaite militaire", selon l'ONU
Abdoulaye Bathily, du Sénégal, est depuis juin 2014 le Représentant spécial du Secrétaire général pour l’Afrique centrale et le chef du Bureau régional des Nations Unies pour l’Afrique centrale (UNOCA), dont les bureaux se trouvent à Libreville, au Gabon. A ce titre, M. Bathily a pour tâche d’aider les pays de la sous-région à promouvoir la paix et la stabilité. M. Bathily a rencontré la Radio des Nations Unies et le Centre d’actualités de l’ONU avec qui il a discuté de la crise au Burundi, des élections à venir dans plusieurs pays du continent africain et de l’impact du groupe Boko Haram dans les pays du bassin du lac Tchad.

Vous avez été nommé en juin médiateur dans la crise au Burundi. Quelle est votre réaction s’agissant des récentes élections dans ce pays?

Ce que je peux constater en tant que responsable des questions politiques dans la région, c’est que les élections ne règlent pas le problème politique dans ce pays. Il y a un problème politique, il y a une méfiance, une crise politique, et cela, élections ou pas, quelle que soit la nature des élections, quoiqu’on pense des élections, il faut régler cette crise. On ne peut régler cette crise politique que par un dialogue, que par le consensus entre les acteurs, avec un accompagnement international. Le Burundi fait partie de la Communauté économique des Etats d’Afrique centrale (CEEAC) et à ce titre, il fait partie des pays qui ressortent de mon mandat, dans le cadre de la mission que le Secrétaire général m’a confiée sur la base de la mission qui a été donnée au Bureau régional des Nations Unies pour l’Afrique centrale. A ce titre-là, je continue de suivre la situation au Burundi comme dans tous les autres pays d’Afrique centrale. Nous sommes préoccupés par cette crise au Burundi qui menace de s’étendre au reste de la région. 

Est-ce que vous estimez que ces élections au Burundi ont été libres et démocratiques?

Ce que nous devons dire c’est que, aussi bien l’Union africaine que tous les observateurs sur place, ont constaté que les conditions n’étaient pas réunies pour des élections libres, démocratiques, transparentes et apaisées. Dans le rapport que nous avons fait en tant qu’équipe internationale de facilitation, nous avons dit que, s’il n’y a pas de dialogue entre les acteurs pour arriver à une solution consensuelle, il ne peut pas y avoir d’élections pouvant être considérées comme acceptables. Nous constatons aujourd’hui que les élections se sont bien déroulées mais tout le monde constate également qu’organiser des élections c’est une chose, mais apaiser la situation dans le pays en est une autre. Et c’est un objet de préoccupation pour tout le monde. L’Union africaine vient de faire une déclaration en ce sens appelant encore une fois au dialogue et à un processus consensuel pour résoudre la crise. Les Nations Unies sont parfaitement en phase avec cette position de l’Union africaine. 

Le Secrétaire général de l’ONU a demandé à la veille des élections à ce que les acteurs burundais aient un dialogue franc. A l’heure actuelle, pensez-vous que c’est possible?

Non seulement c’est possible mais c’est incontournable. Si on ne veut pas que le Burundi sombre dans le chaos. Malheureusement l’histoire du Burundi dans le passé l’a montré, si le dialogue ne s’installe pas, si un minimum de consensus ne s’installe pas pour revenir à l’esprit et à la lettre des accords d’Arusha, nous n’arriverons pas à stabiliser ce pays. C’est pourquoi, je voudrais encore une fois lancer un appel à l’ensemble des acteurs burundais pour qu’au-delà de ces élections, qui sont loin d’être des élections consensuelles, ils se retrouvent pour sauver leur pays du chaos. On ne peut pas construire la démocratie sur une base non consensuelle, on ne peut pas construire la paix sur une base non consensuelle. Il faut qu’il y ait un souci de responsabilité de la part de tous les acteurs à tous les niveaux de l’espace politique et social burundais pour que le pays soit sauvé de cette catastrophe. 

En tant que chef du Bureau régional des Nations Unies pour l’Afrique centrale, quel serait votre rôle s’il y avait un dialogue, si la situation venait à s’améliorer? Quel rôle pouvez-vous jouer pour améliorer les choses?

Le rôle des Nations Unies c’est d’accompagner la région, la communauté est-africaine d’abord, accompagner l’Union africaine, qui est l’organisation régionale. Et à ce titre, nous allons apporter toute notre contribution. Car les Nations Unies ont une mission principale, c’est de ramener la paix dans tous les coins du globe, y compris évidemment au Burundi. En coopération avec les organisations sous régionales et l’organisation continentale, nous allons continuer de travailler pour apporter la paix, que ce soit sur le plan politique, que ce soit sur le plan humanitaire. Il ne faut pas oublier qu’aujourd’hui, on est à plus de 160.000 réfugiés dans les pays voisins. Et cela, ce n’est pas la région seule qui peut apporter une contribution pour régler ce problème des réfugiés. Il faut que les Nations Unies interviennent. S’agissant de la question des droits de l’homme, il y a des centaines de prisonniers politiques aujourd’hui au Burundi. La situation économique s’est beaucoup dégradée au Burundi ces derniers mois. A cause de tout cela, le Burundi a besoin de l’ensemble de ses partenaires, y compris les partenaires internationaux. Ce pays, jusqu’ici, dépend, pour 52% de son budget, de l’aide internationale. Quand on est dans une situation comme celle-là, on ne peut pas faire fi de l’accompagnement international. Donc, j’appelle à une prise de responsabilités, à ce que le souci soit affiché concernant ces milliers de Burundais qui souffrent dans les camps de réfugiés. Ce sont des milliers de Burundais qui sont aujourd’hui dans un système, il faut le dire, de terreur. Il faut penser aujourd’hui à ces Burundais qui voient leurs perspectives économiques bouchées. C’est un souci de responsabilité qui doit nous concerner tous, aussi bien les acteurs burundais que les acteurs internationaux.

Dans les années à venir plusieurs pays de la sous-région organisent des élections, y-a-t-il, selon vous, une "maladie du troisième mandat" en ce qui concerne les dirigeants au pouvoir?

Ce n’est pas seulement la question du troisième mandat qui se pose. Par rapport à mon expérience, je dis qu’on ne peut pas construire la démocratie sans que les acteurs politiques ne s’accordent sur un minimum de règles adoptées de manière consensuelle et que les uns et les autres appliquent de manière fidèle. C’est cela la question capitale, c’est cela le problème de fond, que ce soit pour un troisième mandat ou contre un troisième mandat, pour un mandat illimité ou pas, s’il n’y a pas de consensus politique, les pays sont exposés à des crises politiques graves. Et aujourd’hui, quand vous regardez la géographie politique du continent africain, au-delà même de cette région d’Afrique centrale, la principale source de conflit, ce sont les élections, à travers tout le continent, depuis au moins une décennie. Tous les conflits ont pratiquement éclaté à partir des élections, soit avant, soit pendant, soit après les élections. Donc la question électorale est devenue une question de fond pour la sauvegarde de la paix, pour la consolidation de la démocratie sur le continent. Et il en va de la responsabilité de l’ensemble des acteurs, à commencer par les dirigeants eux-mêmes. 

Concernant les troubles causés par le groupe Boko Haram, où en est la lutte contre ce groupe extrémiste?

Nous avons constaté que Boko Haram a changé de modus operandi après sa défaite militaire, après avoir tenté de conquérir des territoires, du mois décembre jusqu’à il y a quelques semaines. Maintenant, le mode d’action de Boko Haram, ce sont les opérations kamikazes, des actes ignobles, des femmes qui sont transformées en bombes ambulantes, des enfants qui sont transformés en bombes ambulantes. Rien ne justifie ces actes barbares, insoutenables. Et aujourd’hui, c’est cela qui crée la situation au Tchad, au Cameroun. Aujourd’hui encore, Boko Haram a sévi à Maroua, dans l’extrême-nord du Cameroun. Et malheureusement, on observe les mêmes formes d’action au Nigéria. Il faut encore plus de collaboration, pas seulement militaire, parce que la force internationale conjointe, qui devait être mise en place et qui est actuellement en train de se positionner, n’est pas suffisante. Ce n’est pas le seul mode opératoire. On voit maintenant que face à ces actions kamikazes, il faut d’autres formes de collaboration, en matière par exemple de renseignement. Il faut une association plus étroite entre les forces de police, les forces de renseignement dans les différents pays de la région du bassin du lac Tchad pour éradiquer ce phénomène, pas seulement au niveau d’ailleurs des Etats, des structures formelles en tant que telles des Etats. Il faut aussi que les populations elles-mêmes soient impliquées dans ce processus d’éradication de Boko Haram, parce qu’il faut l’adhésion effective des populations pour isoler ce mouvement terroriste, en tenant compte évidemment des droits de la personne humaine. Car il faut bien faire attention dans la lutte contre Boko Haram de ne pas, de manière indiscriminée, s’attaquer aux populations parce que ces dernières pourraient se retourner contre ceux qui utilisent ce type de méthodes. Il faut une réflexion approfondie sur la manière aujourd’hui d’isoler Boko Haram. 

Est-ce que l’un des problèmes avec l’apparition du Boko Haram n’est pas le sous-développement du nord du Nigéria par rapport au sud du pays?

Oui, il y a un problème de gouvernance globale qui se pose par rapport à ces mouvements terroristes, que ce soit au Tchad, que ce soit au Nigéria, que ce soit au Cameroun, dans les pays du bassin du lac Tchad en général. Mais on voit aussi ce type de mouvements ailleurs dans le monde où il y a quand même des ressources, que ce soit en Iraq, en Syrie, dans d’autres pays du Moyen-Orient, en Afghanistan. C’est vrai que de manière globale, la pauvreté est le terreau le plus fertile, mais au-delà de la question économique de la pauvreté, il y a une dimension gouvernance, la gestion de la diversité politique, de la diversité sociale, de la diversité culturelle, de la diversité religieuse, sous ses différentes formes. Il y a donc un problème global de gouvernance. C’est pourquoi aujourd’hui, la lutte contre Boko Haram ne peut pas être seulement une question militaire, une question de renseignement, c’est aussi une question globale, comment tirer ces populations de la pauvreté, comment les intégrer dans un ensemble national pour leur permettre de s’épanouir en tant que populations.



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