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INTERVIEW

Mujos : « depuis l’avènement du Dala, les Tchadiens continuent de le porter haut »


Alwihda Info | Par Martin Higdé Ndouba - 19 Juillet 2022


Dans un entretien accordé à Alwihda Info, l'artiste musicien tchadien, surnommé le pape du Dala, aborde plusieurs sujets.


Mujos, pouvez-vous, vous présenter à nos lecteurs ?
Ingamadji Némonguel Joseph est mon nom à l’état civil et Mujos est un pseudonyme qui m’a été donné par un ami d’enfance, à l’école primaire de Moundou, en référence au grand chanteur congolais de l’époque, Mulamba Joseph. C’était juste prémonitoire (rires) ! On m’a surnommé le pape du Dala, pour le rythme traditionnel Dala que je me suis attelé à développer. Originaire de Moundou, j’ai découvert la guitare sur le tas, à l’internat du lycée technique industriel de Sarh, en 1986-1987. J’étais en 2nde T1 et je n’étais pas prédisposé à devenir musicien.

La musique est venue tout naturellement à moi, et je l’ai adoptée. J’ai progressé dans ce domaine grâce à mon grand-frère Daoussem Bouyo et, surtout, mon oncle Djibia Hassan Moundou, mon mentor auprès de qui j’ai appris les fondamentaux. Le déclic viendra avec Issa Bongo, dans l’aventure des Rossignols. Le duo que nous avons constitué en 1980 à Sarh va me révéler au grand public, avec plusieurs titres enregistrés à la RNT (Radiodiffusion Nationale du Tchad). C’est durant cette période que m’était venue l’idée d’interpréter le rythme Dala et d’en faire mon cheval de bataille.

Mon départ en France en 1986 m’a permis de faire découvrir au monde, cette spécificité musicale tchadienne. Aujourd’hui, j’ai plusieurs réalisations à mon actif. On peut retrouver mes œuvres sur les différentes plateformes des médias en ligne. Sur YouTube, il suffit simplement de s’abonner à ma chaîne « Mujos IngamadjI » et sur Facebook, sur ma page « Mujos ».

En tant que grande figure de la musique tchadienne, dites-nous ce qui empêche la concurrence de la musique tchadienne avec les autres pays d'Afrique ?
Le marché musical international a ses propres exigences. En plus de l’originalité, de la qualité et des structures adaptées, il faut ajouter la promotion et la diffusion. Ces derniers points font appel de plus en plus aux professionnels du marketing et du management. La musique tchadienne évolue à son rythme. Quand toutes ces conditions seront réunies elle parviendra effectivement à se frayer un passage.

A votre avis, les musiciens tchadiens vivent-ils de leur métier ?
Si c’était vrai, ça se saurait ! Je ne me permettrais pas de jouer le porte-parole des musiciens tchadiens. Disons que chaque cas est unique. Nous ne sommes pas tous logés à la même enseigne. D’aucuns tirent bien leur épingle du jeu, pendant que d’autres galèrent. Mais de manière générale, pour vivre de son art, il faut déjà que l’artiste touche correctement ce qui lui revient de droit. Notamment ses droits d’auteur ! Ce qui n’est pas le cas chez nous. Personnellement, j’avoue que je ne vis pas de mon art et je n’en fais pas un mystère. Après plus de 40 ans d’activité, avec des œuvres largement diffusées sur tout le territoire national, pendant toutes ces décennies, le constat est affligeant.

Sans prétention aucune, certaines de mes chansons sont devenues des musiques cultes de la discographie tchadienne. Mais pour quel rendement ? Même si on ne me versait ne serait-ce que 1 F CFA par passage, avec un titre comme Binon, je serai déjà devenu milliardaire. J’aurais tout le loisir de dire dans ce cas que je vis de ma musique. Mais la réalité est toute autre. Car le musicien tchadien doit toujours continuer à faire la musique par patriotisme. Allons savoir !

Les spectateurs tchadiens aiment-ils le style de la musique de chez eux ?
À en croire l’engouement du public dans des lieux où l’on diffuse de la musique tchadienne, ou lors des manifestations et cérémonies diverses, on peut le penser. En l’absence des données chiffrées, cet indice reste le meilleur baromètre pour valider la question. En ce qui concerne la vente des disques, physiquement ou en ligne, c’est un autre débat. Pour les rythmes du terroir que j’essaie de promouvoir, notamment le Dala et le Saï, pour ne citer que ces deux grands courants, je peux répondre par l’affirmative. Car le public m’a toujours encouragé ! La preuve en images lors de mes différents spectacles.

Mais attention ! Rien n’est acquis. Car ce n’est pas parce que le Tchadien aime le rythme de chez lui qu’il faut lui proposer tout et n’importe quoi. Le patriotisme trouve parfois ses limites. Aujourd’hui, le consommateur est adulte et fin connaisseur.
Donc, de plus en plus exigeant. Il faut essayer de se repenser musicalement pour le conquérir. En toute humilité, depuis l’avènement du Dala sur le marché musical, les Tchadiens continuent de le porter haut et je leur dois cette reconnaissance.

Par rapport à votre parcours et vos expériences, que suggérez-vous aux journalistes et à votre ministère de tutelle pour la promotion de la musique tchadienne ?
« Le journaliste est un interprète de la curiosité publique », disait B. Pivot. Il lui appartient de s’impliquer davantage dans le métier pour identifier les leviers à actionner, pour une meilleure appréciation de l’œuvre musicale. Quant au ministère de la Culture, je pense qu’elle dispose d’une équipe compétente pour assurer sa mission selon la feuille de route gouvernementale qui lui est tracée. Elle n’a pas besoin de mes suggestions pour bien conduire la politique culturelle du pays. Je fais confiance à ceux qui sont nommés à ce poste pour faire rayonner la culture tchadienne. Je suis artiste-musicien. Je reste à ma place.

En cette période de transition, quel rôle peut jouer un musicien tchadien ?
Être le dindon de la farce ! (Rires). Il faut dire que le musicien tchadien est un citoyen comme un autre. Il a parfaitement voix au chapitre, en ce qui concerne la gestion de la chose publique. Il joue sa partition au quotidien.

Dans son rôle de « régulateur » de la société, le musicien alerte, dénonce, critique, propose des solutions aux maux qui minent notre société. Et dans sa quête du bien vivre-ensemble, véritable lien d’une nation qui se respecte, il s’évertue à rappeler chacun à ses devoirs. Vilipendé, malmené, raillé, infantilisé, manipulé, marginalisé et souvent payé en monnaie de singe, il s’époumone à chanter les valeurs de l’amour, au sens noble du terme, la solidarité, la paix, les écarts de conduite et j’en passe.

Malheureusement, dans le jeu de la communication, c’est un tango qui se danse à deux, entre l’émetteur et le récepteur. Si son message reste inaudible, le musicien ne détient pas un pouvoir magique pour transformer l’autre. Quand ça va mal, on se sert de sa musique à des fins thérapeutiques. Quand tout va bien, c’est vers lui encore qu’on se tourne pour se réjouir et assouvir ses désirs. À ce jeu-là, il ne peut servir que de faire-valoir...



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