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INTERVIEW

Simon Pierre Omgba Mbida : « il faut saluer l’engagement de la France à accompagner les efforts du Cameroun »


Alwihda Info | Par Info Alwihda - 23 Septembre 2022


Le diplomate en service au ministère camerounais des Relations extérieures, a accordé cette semaine au tri-hebdomadaire Essingan, une interview dans laquelle il analyse les relations économiques entre la France et le Cameroun, et ceci à la suite de la dernière visite au Cameroun du président français Emmanuel Macron, et au moment où un officier supérieur vient d’être nommé ambassadeur de France au Cameroun.


Simon Pierre Omgba Mbida : « il faut saluer l’engagement de la France à accompagner les efforts du Cameroun »
Quelle appréciation faite-vous de ce que de nombreux acteurs qualifient de relance de la coopération, notamment économique, entre le Cameroun et la France ?
La coopération économique entre le Cameroun et la France a généralement donné de grands résultats au grand dam de ceux qui fustigent la présence française au Cameroun. Certaines réussites économiques, en termes de réalisations de projets structurants, sont à mettre à l’actif de cette coopération ancienne et dynamique, qui certes n’est pas toujours au mieux des attentes des deux parties, en termes de volumes pour la France par exemple qui est partie de 40% à 10% de part de marché, car la très rude concurrence internationale est passée par là, puisque le Cameroun défend aussi bien ses intérêts, ou de concours financier pour le Cameroun.

Cependant, il convient, de mon point de vue, de saluer l’engagement de la France à accompagner les efforts du Cameroun dans sa marche vers l’émergence économique et sociale. Cet engagement de la France aux côtés du Cameroun a été à juste titre salué par Paul Biya, président de la République du Cameroun, lors de la récente visite officielle que le président de la République française, Emmanuel Macron, a effectué au Cameroun. Une visite historique qui a permis de renforcer davantage les relations d’amitié et de coopération qui existent si heureusement entre la France et le Cameroun.

Il faut comprendre qu’en général, les attentes sont considérables en ce qui concerne la promotion de la coopération au développement entre le Cameroun et la France, afin d’apporter davantage des réponses aux préoccupations émergentes qui découlent des conséquences de la crise sanitaire au Covid-19 qui a ébranlé le monde entier, des conséquences de la guerre en Ukraine (inflations, déséquilibres macroéconomiques dans les pays de la CEMAC, réformes requises pour assurer le développement économique et social du Cameroun, etc…), et enfin, des conséquences des différentes crises sécuritaires en Afrique centrale en général et au Cameroun en particulier.

Comme vous le savez, la coopération économique entre le Cameroun et la France s’articule essentiellement autour de la relation que notre pays entretient avec l’Agence Française de Développent (AFD). La densification et la promotion de la coopération au développement vont donc se faire avec la mise en place de nouveaux concours financiers en faveur de notre pays, à savoir à titre d’exemple: le Projet CAFI (Initiative des Forêts d’Afrique Centrale) ; le Projet d’amélioration de la capacité industrielle de la SODECOTON ; le Projet de réalisation des infrastructures aux Aéroports du Cameroun (ADC) Phase II; le Projet « Capitales Régionales Ngaoundéré, Ebolowa et Buea», le Projet de contournement de Yaoundé.

Pour ce qui est de la coopération au développement avec la direction générale du Trésor du ministère français de l’Economie, des Finances et de la Relance, la prospection de nouvelles opportunités de coopération entre le Cameroun et l’AFD va se poursuivre sur la base des orientations politiques projetées lors de la récente visite du président français au Cameroun. Notamment, la reconstruction des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, pour laquelle un financement d’environ 40,67 milliards de FCFA est annoncée depuis plus d’un an. En définitive, c’est une coopération économique dense et riche qui se poursuit entre les deux pays.

Il faut cependant préciser que, s’agissant des engagements et orientations de la coopération au développement annoncés à l'issue de la récente visite officielle du président français, leur matérialisation, me semble-t-il, reste attendu dans le cadre du dialogue qui sera engagé, certainement dans les prochains mois, entre l'ambassade de France, l'Agence Française de Développement, la coordination de l'action gouvernementale, et les différentes administrations sectorielles qui seront interpellées à cet effet, et en temps opportun.

Certains nuages comme les enjeux financiers de l’affaire Michel Thierry Atangana, ont obscurci le ciel entre les deux pays, et effrayé les investissements privés. Avec l’implication des privés en mode PPP dans certains en cours au Cameroun, peut-on s’attendre au retour des investissements français dans le pays ?
A mon humble avis, cette sombre et triste affaire, déjà loin derrière nous, n’affecte absolument en rien les investisseurs privés étrangers, et notamment français. Au contraire, les Français sont très demandeurs. Rappelez-vous encore les questions adressées au président Paul Biya par la presse française, lors de la visite du président Macron en juillet dernier, au sujet de leur part de marché qui s’érode chaque jour davantage, depuis une trentaine d’années.

Par ailleurs, avec les perspectives d’avenir liées non seulement à la mise en œuvre de la ZLECAF, mais aussi de la fusion annoncée de la CEMAC et de la CEEAC, le Cameroun qui est la première économie de la CEMAC, voit les multinationales se bousculer pour s’installer ici, tout simplement parce que le pays est économiquement viable.

En quelques années seulement, des multinationales françaises, anglaises, américaines et chinoises ont toqué à notre porte. L’objectif est certainement de faire du Cameroun une base pour inonder le reste de la sous-région de leurs produits manufacturés localement.

L’actualité récente est à la nomination d’un général français comme ambassadeur de France au Cameroun. Quelle analyse en faites-vous ?
La nomination du nouvel ambassadeur de France au Cameroun, qui est un général de l’armée française, n’appelle de ma part aucune observation particulière, si ce n’est de dire que tout s’est passé dans les règles de l’art et qu’il n’y a absolument pas à s’émouvoir outre mesure de celle-ci. Car, ce n’est pas la première fois qu’un officier supérieur de l’armée française est nommé ambassadeur au Cameroun.

On peut simplement relever que la désignation du général Thierry Marchand intervient dans un contexte où la coopération militaire entre le Cameroun et la France est questionnée, pour ne pas dire à la croisée des chemins et challengée par d’autres, comme l’atteste en l’occurrence la signature au mois d’avril dernier, du renouvellement de l’accord de coopération militaire avec la Russie, que le président Paul Biya a autorisé dans le cadre de la routine des relations diplomatiques avec un pays ami en pleine guerre avec l’Ukraine.

Assurément, c’est cela la maturité diplomatique et politique. Ce fut là une pilule difficile à avaler pour l’Elysée. Il faut cependant rappeler que le général Thierry Marchand a servi au Gabon, en République centrafricaine, à Djibouti et en Somalie. Il occupait avant sa nomination au Cameroun, la tête de la Direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD) du Quai d’Orsay (ministère des Affaires Etrangères).

Maintenant, si certains, notamment dans l'opposition, fondent leurs espoirs sur ce représentant officiel de la France dans notre pays pour faire fléchir le régime de Yaoundé, par rapport à leurs attentes, ce sera complètement peine perdue, car ils se trompent lourdement sur les intentions de la France et de la mission réelle de ce diplomate au Cameroun. En diplomatie, le binôme qui fonctionne habituellement dans la conduite ou la gestion des relations internationales, c’est le diplomate et le soldat. Donc, ce militaire est parfaitement dans son rôle.

Comment lisez-vous la convergence entre le Cameroun et la France (allusion aux prises de position du président Macron vis-à-vis des pays du Sud sur l’Ukraine) ?
Lors de son intervention à la tribune des Nations-Unies, Emmanuel Macron a accusé la Russie d'avoir provoqué un « retour des impérialismes » en Europe, en envahissant l'Ukraine fin février. Pour cela, il a voulu attiser la fibre anticoloniale des Africains, pour les retourner et éventuellement les rallier à sa cause.

Ainsi, sur la fracture opposant les deux hémisphères Nord-Sud, il a appelé à « bâtir un nouveau contrat entre le Nord et le Sud », en estimant que le temps n'est plus aux logiques de blocs, mais à la construction de coalitions concrètes, parce que les défis actuels sont de plus en plus nombreux et urgents et, selon lui, nécessitent donc de nouvelles coopérations. Alors, sur tous ces sujets, il faut développer des partenariats entre le Nord et le Sud.

Le chef de l'Etat français a ainsi cherché à démonter l'idée que la guerre en Ukraine est un conflit régional, résultant de l'opposition entre les Occidentaux et la Russie et, au-delà, le reste du monde. De ce fait, de nombreuses capitales, en Afrique, en Asie ou au Moyen-Orient, refusent de condamner Moscou. En évoquant le combat des non-alignés, il a fustigé une fois de plus ceux qui se taisent et servent malgré eux ou secrètement, avec une certaine complicité, la cause d’un nouvel impérialisme, d’un cynisme contemporain qui désagrège l’ordre international actuel.

Alors, face aux défis climatiques et alimentaires, Emmanuel Macron plaide pour un sursaut collectif pour bâtir un nouveau contrat, un nouveau pacte de solidarité entre le Nord et le Sud. Et sur ce point, il faut que les pays du G7, les plus riches, montrent l’exemple. Enfin, dans cette vision du monde plus égalitaire, le président défend une réforme du Conseil de sécurité, pour le rendre plus représentatif et limiter le recours au droit de veto en cas de crimes de masse. On peut dire que ce n’est que sur ces derniers aspects que l’on pourrait peut-être parler de convergence.

L’histoire des relations entre le Cameroun et la France, c’est aussi la guerre d’indépendance avec ses morts jamais élucidés. La promesse du président Macron visant la mise en place d’un groupe de travail d’historiens français et camerounais, apparait-elle comme un début de solution ?
C’est une initiative intéressante. Mais dont les contours restent encore à définir. Je crains seulement que beaucoup ne soient déçus à la fin des courses. Dans ces choses, chacun a sa vérité et sa logique. Parfois les deux sont difficilement conciliables, malgré les efforts. Seul le temps demeure le marqueur efficace pour guérir les blessures de l’histoire, afin de réconcilier les cœurs et les esprits.



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