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INTERVIEW

Tchad : "la famine de cette année va être très grave. Il faut se préparer", Laoukein Medard


Alwihda Info | Par Info Alwihda - 4 Janvier 2023


Le ministre d'État, ministre de la Transformation agricole, Laoukein Kourayo Medard, a accordé un entretien à Alwihda Info. Il revient sur la création de Wakit Tamma, répond aux critiques à son égard et alerte sur la famine qui guette le Tchad cette année.


Alwihda Info. L'année 2022 vient de s'achever. Quels sont vos voeux pour l'année 2023 ?

Laoukein Kourayo Medard. L’année 2022, l'année de toutes les turbulences, l'année de misère vient de s'achever. Une autre année vient d'arriver, celle de 2023. Je profite de cette nouvelle année 2023 pour souhaiter à tout le peuple tchadien une année de paix, de prospérité, de cohésion sociale, de fraternité, de symbiose, d'entente et surtout de bonheur et de développement pour notre chère patrie meurtrie depuis des années, et plus précisément depuis 1965 par des guerres fratricides jusqu'à nos jours. Que cette année nous apporte la paix, la vraie paix.

Que retenez-vous de l'année 2022 ? Qu'est-ce qui vous a le plus marqué ?

Je faisais partie des membres fondateurs de la coalition Wakit Tamma que nous avons créé au CEFOD en 2021. À l'issue de cette rencontre au CEFOD, nous avons exigé deux choses : non au 6ème mandat de Idriss Deby, oui à un dialogue national inclusif. Deby, paix à son âme, étant mort, du coup, la première exigence disparaît. Il ne nous restait que le dialogue national inclusif. Et c'est ce qui s'est passé.

Je crois qu'il faut quand même être honnête vis-à-vis de Dieu, c'est nous mêmes qui avons exigé ce dialogue. Même si ce dialogue est teinté d'autre chose, je crois qu'il fallait quand même y aller, même s'il fallait se boxer dedans, se mordre avec les dents dedans. Il fallait quand même y aller, au lieu de faire la politique de la chaise vide.

Beaucoup de ceux avec qui nous avons signé la coalition Wakit Tamma ont refusé d'y aller, je ne sais pas pour quelle raison, alors que pendant nos multiples manifestations à N'Djamena, nous avons perdu des innocents, nous avons perdu des jeunes, plusieurs personnes à fleur d'âge, des gens qui ne nous ont jamais vu ni salué, qui ont juste répondu à l'appel à notre manifestation et qui sont morts innocemment. En principe, pour de telles manifestations, c'est nous qui devrions être au-devant de la scène. Nous devrions prendre la tête du peloton et nos militants sont derrière. Mais nous, chefs de partis, avons toujours pris coutume de rester dedans et laisser les fils des autres aller mourir. Ça me fait mal. Ça me fait mal qu'on décide quelque chose, qu'on reste dedans et qu'on laisse les fils des autres aller mourir, alors que beaucoup ne nous connaissent pas. Ils ont certainement entendu nos noms, nos appels mais ils ne nous ont jamais apostrophé physiquement. Ce sont des gens comme ça qu'on a enterré et ça fait mal.

Si c'était sur nous qu'on avait tiré dessus, on comprendrait : il est mort parce que c'est une chef de parti politique qui a décidé d'organiser des manifestations. Mais ces innocents, quel est leur péché ? Pourquoi devaient-ils mourir et continuer à mourir ? Puisque le dialogue national nous a été offert, nous avons décidé d'y aller et participer à ce dialogue qui vient d'accoucher d'un gouvernement d'union nationale de transition.

L'année 2022 a été marquée par un grand évènement politique qu'est le dialogue. Votre choix de participer au dialogue a été critiqué. Que répondez-vous ? 

C'est des arriérés politiques, c'est des tarés. Nous disons un gouvernement de transition, il n'y a pas un parti politique au pouvoir. S'il y avait un parti politique au pouvoir et que moi, je ralliais ce parti, je pouvais accepter les critiques mais c'est un gouvernement de transition. Un gouvernement de transition n'a pas un parti politique qui le gouverne. C'est une transition.

Tous les partis politiques ne sont pas plus opposants que Saleh Kebzabo, que Galli Gatta Ngothé. Ceux qui critiquent ne sont pas plus opposants que Mahamat Ahmad Alhabo ou moi-même. J'ai été enlevé huit fois et j'ai frôlé la mort au temps de Deby père. Huit fois, je dis bien. Ceux-là, qu'est-ce qu'ils ont fait pendant que nous autres, on souffrait ? Où étaient-ils ? Non, je n'ai pas rallié un parti politique au pouvoir. Même ceux qui ont pris les armes depuis la brousse pour arriver à N'Djamena le 2 février 2008, prêts à investir la Présidence de la République n'eut été l'intervention de l'armée française, ceux-là même aujourd'hui sont dans le gouvernement d'union nationale. Me critiquer, pourquoi ? Par rapport à quoi ? Est-ce qu'il y a un parti politique ? Le MPS même n'existe plus, le MPS n'est pas un parti au pouvoir. J'ai toujours dit que même si la carte du MPS était une carte de baptême, en tant que chrétien je ne la prendrais pas. Je l'ai toujours dit.

Ils disent ça pourquoi ? Pendant que je souffrais, pendant qu'on me mettait dans un trou avec des dalles, pendant des jours et des jours avant de me sortir du trou, pendant qu'on m’amenait derrière le fleuve, qu’on m'attachait à un arbre pendant quatre jours, pendant que les gens creusaient ma tombe pour m'enterrer au vu et au su de tout le monde, ceux-là étaient où ? Ils ne sont pas plus opposants que moi. J'ai eu la chance de parler physiquement et ouvertement à Deby. Ceux qui critiquent sont où ? Pendant que je faisais des mois et des mois en prison, dans des trous, avec les tortures les plus inhumaines, ceux-là, est-ce qu'ils venaient s'occuper de ma famille ? Est-ce qu'ils traversaient même devant ma porte ? Ils avaient peur d'être assimilés aux adeptes de Laoukein Medard. C'est des peureux et des arriérés politiques qui sont en train de parler de la sorte. Nous avons vu les politico-militaires qui sont là avec nous, là dans le gouvernement. Ils ont pris les armes pendant des années et sont là dans le gouvernement. Par rapport à ceux qui critiquent, qu'est-ce qu'ils valent ? Laissez-moi rire.

Vous êtes entré dans ce gouvernement d'union nationale en tant que ministre de l'Agriculture. Ce n'est pas nouveau pour vous. Quelle est votre vision pour l'agriculture tchadienne ? À votre prise de fonctions, vous avez dit que vous ne vouliez pas entendre parler du mot « faim » ou « famine ».

Oui, je l'ai dit. J'ai été ministre de l'Agriculture avant. Maintenant, ce n'est plus la même dénomination. C'est la ministère de la Production et de la Transformation agricole. Ça ne veut pas dire la même chose. Je dis cela compte tenu d'innombrables potentialités agricoles que nous avons dans le pays. Nous avons des centaines de millions de terres cultivables, de terres que la houe n'a jamais touché dans notre pays. Nous avons plusieurs potentialités en eaux de surface, tout comme en eaux souterraines que nous pouvons utiliser en tout temps pour faire de l'agriculture souterraine. Même l'agriculture de contre-saison, au lieu de s'hasarder uniquement sur l'agriculture pluviale. 

Nous avons tout ce qu'il faut pour manger à notre faim. Mais qu'est-ce qui fait qu'aujourd'hui, les gens meurent de faim chez nous ? Que nous n'arrivons pas à avoir ce qu'on appelle la souveraineté alimentaire ou alors l'autosuffisance alimentaire ? Qu'est-ce qui ne va pas ? Je l'ai dit et maintenant, à l'heure où je vous parle, j'ai commandité un audit qui est là, en train de voir, de nous auditer le ministère pour voir ce qui ne va pas et pourquoi. Est-ce que nos centaines d’ingénieurs agronomes qui sont là, dans notre département, travaillent réellement ? Comment faire pour que cette agriculture puisse nourrir le peuple tchadien ? C'est ça le problème. Quand l'audit va finir, nous allons avoir les vrais raisons qui minent le développement de cette agriculture au niveau national.

Il y a également l'État qui, de temps en temps, chaque année, donne des milliards à l'Office national de la sécurité alimentaire (ONASA) mais ces milliards, parfois disparaissent, au lieu de permettre l'achat de céréales pour les entreposer dans les magasins à l'intérieur du pays. Cet argent prend parfois d'autres directions.

Des gens m'ont posé la question : est-ce que j'ai les reins assez solides pour dégommer tout le personnel de l'ONASA ? C'est la première des choses que j'ai faite. Le balai d'assainissement est passé par l'ONASA et toute l'équipe de l'ONASA a été sauté. Maintenant, j'ai une autre équipe. Nous venons d'avoir également un bon financement pour essayer de renflouer tous les magasins de l'ONASA à l'intérieur du pays. Et n'oubliez surtout pas que cette année, il va y avoir une famine qui va même emporter des Hommes. La famine de cette année va être très grave. Je peux vous donner même le chiffre : il y a 300.000 hectares de cultures qui ont été englouties par les inondations de cette année. Ça veut dire qu'il y aura une famine très grave qui va sévir dans notre pays. Pour cela, il faut se préparer. C'est pour cette raison que d'ici au mois de janvier, il faut se préparer à dépêcher des équipes un peu partout à l'intérieur du pays pour acheter ce qu'il faut et mettre dans les entrepôts en attendant l'arrivée de la saison des pluies.



Pour toute information, contactez-nous au : +(235) 99267667 ; 62883277 ; 66267667 (Bureau N'Djamena)