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INTERVIEW

Yaya Dillo : "avec Masra, la lutte prend de la forme de la plus belle des manières (...) Je lui suggèrerais de revenir"


Alwihda Info | Par Masrambaye Blaise - 4 Avril 2023


Yaya Dillo, président du parti socialiste (PSF) et coordonnateur d’un récent regroupement des partis de l’opposition, souhaite le retour de Masra Succès, président des Transformateurs pour continuer la lutte. Dans cet interview, l’ancien maquisard, optimiste quant à la lutte de l’opposition, explique les objectifs du nouveau front de l’opposition crédible (FOC).


Vous avez récemment lancé le front pour l’opposition crédible. L’opposition tchadienne n’était jusque-là crédible ?

L’idée de la fédération de l’opposition crédible est venue du fait qu’au lendemain du dépôt de notre candidature à la présidentielle de 2021 où nous étions soutenu par quelques partis politiques (…). Après, nous avons mis en place le front nouveau pour le changement qui a subi pas mal les subterfuges de la junte qui nous ont fragilisé à l’intérieur. Les gens ont voulu en faire un instrument de positionnement. On s’est dit qu’on ne va pas créer de la confusion vis-à-vis de nos concitoyens. Nous avons décidé de toiletter tout ça, les partis qui étaient là. On a voulu que ce soit des partis politiques crédibles, qui ont une lutte et qui veulent le changement et non ceux qui veulent une lutte pour le positionnement. Et à ce niveau-là, nous avons tamisé. Nous sommes très prudents, très sélectifs. On a mis les clauses dans le règlement intérieur de sorte que lorsque quelqu’un qui veut quitter, il ne fait pas de bruit.

Quelles sont les objectifs du Front de l’opposition crédible ?

L’objectif, c’est trouver le maximum d’acteurs politiques crédibles de l’opposition, mettre sur les mêmes rails afin que la lutte devienne efficace et qu’au niveau de l’opinion nationale, on sait que la vraie opposition est debout et peut lutter pour qu’il y ait un changement démocratique réel. Chaque parti politique a son programme, son idéologie certes mais à un moment donné, tous ces instruments ne marchent pas dès lors que vous êtes dans un climat d’autoritarisme qui empêche une compétition politique. Il est important de mettre ensemble les énergies, les intelligences pour que le changement devienne possible.

Et qu’en est-il de l’ancienne alliance Front national pour le changement ?

On l’a dissout parce que c’est un instrument que beaucoup ont utilisé pour se positionner et cela est lié à la junte. Nous avons trouvé que ça nous disperse. Il faut aller sur une nouvelle dynamique. Selon le règlement intérieur, celui qui veut quitter a une amende à payer. Même le coordonnateur, s’il fait une déclaration unilatérale, une position qui n’est pas partagée par les membres, il est sanctionné par 100 millions à déposer sur la table.

Saleh Kebzabo, l’un des vieux opposants participe à la transition. Masra Succès est en exil. Comment se porte l’opposition tchadienne aujourd’hui ?

Kebzabo, l’actuel premier ministre de la junte, c’est depuis avril 2022 qu’il n’est plus opposant. Il est de la mouvance présidentielle. Il anime la vie exécutive du pays. En ce qui concerne Masra, c’est un jeune dynamique qui a un discours qui mobilise pas mal de Tchadiens mais qui, pour des raisons qui lui sont propres, ne se trouve plus au Tchad. C’est un handicap pour l’opposition, un handicap de taille pour la lutte pour le changement. C’est un homme politique qui contribue énormément à la lutte même si au PSF, nous ne partageons pas certaines idées. Il faut reconnaître en lui cette force de mobilisation, le discours de fermeté, de revendication constante. C’est ce discours là que nous regardons tous. A travers son discours, c’est un élément capital pour le changement. Malheureusement la junte a compris et l’a forcé à s’exiler et cela a un coup mais nous qui sommes restés (au pays, Ndlr), nous sommes inscrits dans la lutte indépendamment des autres partis politiques. Nous pensons que nous menons une lutte qui va aboutir au changement.

Bref, l’opposition tchadienne se porte bien ou mal ?

Elle se porterait bien n’eut été la répression, les subterfuges de la junte qui essaie à chaque d’acheter les consciences, de perturber les partis politiques sur le plan administratif et judiciaire, museler les membres des partis politiques qui se tiennent debout. Il y a une pression, des intimidations, les exclusions de la fonction publique, des services publics. Il y a même des menaces par l’utilisation de la famille qui arrivent à démotiver beaucoup de jeunes. Beaucoup de jeunes, de donateurs, disent clairement qu’ils ont peur de nous approcher. Même des diplomates nous disent qu’ils ne peuvent pas passer au siège pour une rencontre officielle par crainte. La jeune utilise un lobbying diplomatique très pressant qui met à mal leur neutralité alors que leur mission est de parler à tout le monde. Donc les différentes répressions de la junte font qu’il y a un niveau de marginalisation, de démotivation mais on ne renonce pas. En termes de moyens politiques, la junte utilise les moyens de l’Etat pour faire des caravanes de publicité, de campagne électorale pendant que l’opposition cherche à joindre les deux bouts. Mais je ne pense pas que l’opposition est fragilisée. C’est ça la différence. Dans les jours à venir, on saura si l’Etat nous a mis en difficulté. Mais je pense que c’est nous qui allons le mettre en difficulté.

On connait votre prise de position de plus en plus hostile au gouvernement mais le PSF est un jeune parti qui n’a pas pu s’installer sur l’ensemble du territoire. Pensez-vous faire un poids à ce gouvernement ?

Le poids d’une formation politique, c’est pas l’argent, c’est pas les moyens roulants de l’Etat qu’il utilise. Le capital politique, c’est la crédibilité. Aujourd’hui la junte a tué des centaines de Tchadiens depuis son accession au pouvoir. Notre force est dans le subconscient des Tchadiens qui nous soutiennent. La junte pense avoir la plus de force que l’opposition parce qu’elle utilise abusivement les moyens de l’Etat pour faire de sa campagne. C’est faux ! Aujourd’hui c’est nous qui avons le soutien profond des cœurs Tchadiens. La junte est vomie par l’ensemble des Tchadiens à part une minorité de l’élite qui l’accompagne pour ses intérêts égoïstes. Nous avons l’avantage de la situation. 

Vous faîtes partie des leaders de l’opposition ayant appelé à manifester le 20 octobre mais vous ne semblez pas inquiet quant à une poursuite judiciaire que fait planer le gouvernement…

C’est vrai, nous étions les premiers à demander aux Tchadiens de sortir. Nous étions 7 partis mais je sais pas pourquoi on se focalise sur Masra et Yaya Dillo peut-être que nous étions un peu visibles, les plus importants en terme de mobilisation. Tous ont pris des dispositions pour s’éclipser dans la nature. Certains se sont réfugiés au village, d’autres choisi la clandestinité. Nous, on n’a pas bougé. On a pris des dispositions de se protéger des parents, des amis. En ce qui me concerne, il y a eu une vingtaine de rencontres de sécurité. L’ordre du jour était comment faire Yaya Dillo. L’assassiner, l’arrêter, lui faire des subterfuges judiciaires, toutes les options étaient étudiées. Mais le plus souvent, la grande majorité pense qu’on n’a pas assez d’arguments, d’informations pour l’incriminer. On est tous qu’on est en insécurité mais je sais pas pourquoi Masra a quitté. Peut-être il a jugé utile de se protéger ailleurs. Politiquement, la junte l’a trompé parce qu’elle dit qu’elle l’a accompagné pour s’évader. Ils ont joué leur jeu pour l’empêcher de revenir. Je lui suggèrerais de revenir s’il a la possibilité parce qu’il n’est pas évident que la junte procède à son élimination physique. Ce serait une catastrophe, une hécatombe. Même si avec ces enfants, tout est possible, ils ne pourront pas contenir la situation. Avec Masra, la lutte prend de la forme de la plus belle des manières. S’il reste à l’étranger, ils vont faire l’achat de conscience, ils vont continuer à déstabiliser. C’est un des efforts considérables consentis jusque-là qui vont partir en éclats et c’est pas bon pour l’opposition et pour la lutte.  Si vous écoutez l’interview du ministre porte-parole de la junte dans des chaînes étrangères, l’idée est là. Il y a menace. Si Masra revient au pays, on va le traduire en justice. 

Et vous n’avez pas peur, vous ?

Je n’ai pas peur parce que je ne me reproche de rien de tout. Qu’ils activent la justice comme ils voudraient. Ils sont dans l’illégalité eux-mêmes. Ils ont tué le président de la République, ils ont massacré les citoyens civils. Eux-mêmes se placent devant la justice avant que nous, on ne fasse la queue. Le criminel ne peut pas vous demander d’aller vous planter devant la justice. 

Yaya Dillo incarne-t-il la nouvelle opposition ?

Je ne veux pas être arrogant. Je ne suis pas un homme qui s’apprécie. Un homme qui porte le jugement sur lui et par lui-même. Je laisse les Tchadiens apprécier cela. Si tel est le cas, tant mieux.



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