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POINT DE VUE

Cameroun : qui hait (est) qui ?


Alwihda Info | Par Oswald Baboké, Ministre plénipotentiaire. - 12 Janvier 2022


A l’occasion de la Coupe d’Afrique des Nations de football qui se joue actuellement au Cameroun, l’on assiste à une recrudescence d’une dérive dangereuse du jeu politique, entretenue par de faux lanceurs d’alertes et autres influenceurs sur les réseaux sociaux.
C’est le lieu de revenir sur une chronique commise par Oswald Baboké, Directeur adjoint du Cabinet civil à la présidence de la République du Cameroun. Le discret diplomate camerounais y parle de la chienlit, actuellement sur les starting-blocks dans son pays, à travers le lynchage médiatique de certains hauts commis de l’Etat.


Cameroun : qui hait (est) qui ?
En 2014, Patrice Duhamel et Jacques Santamaria publient un sacré ouvrage intitulé Les Flingueurs [1]. L’essai rédigé sous la physionomie acrimonieuse d’un film western plante le décor anarchique digne du Far West, l’arène où les édiles et édits des lois ne font plus foi, pour faire valoir le droit. La déco des Flingueurs évoque l’univers amphorique d’une enceinte bestiale amorale si ce n’est le diktat du colt. Ce livre d’une huitaine d’années, demeure d’une incroyable actualité. Et d’une congruente universalité.

Les effets pervers du persiflage et les techniques triviales de la calomnie gratuite qu’évoquent les auteurs des Flingueurs ne datent pas de nos jours. Qu’importe la chronologie des délations recensées, ce best-seller décrit et décrie le jeu de massacres sociopolitiques entre les élites, via de pseudos « lanceurs d’alertes » et « influenceurs », quand bien même ce titre tonitruant ne renvoie à rien d’illustre et de concret…

Depuis lors, la chienlit a trouvé refuge dans nos mœurs. Au point d’y élire domicile. Qui douterait encore de l’expérimentation tous azimuts, du jeu de massacres politiques que nous vivons chez nous, entre pseudo-collègues et vrais concurrents. La même déloyauté se vit et sévit entre faux-homologues et certains autres pseudo-camarades, qui se réclament pourtant d’un même bord politique.

Très souvent, les auteurs de la chienlit et les victimes ciblées par la manigance et l’hypocrisie humaine sont logés à la même enseigne, guidés par une idéologique commune. Mais divisés, « chacun pour soi, Dieu pour tous », dans une ambition concurrentielle larvée…Chaque militant fantasmant de frénétiques ambitions individualistes…Tant pis, si l’impétrant n’en possède ni l’étoffe ni la mensuration. Ni l’appétence ni la compétence… Tout le monde brigue les sommets de l’État – via la médisance – un épiphénomène « d’ascension-calomnie » ayant cours dans les antichambres des cours royales.

L’ambition est si forte dans la psychologie sociétale de l’homo-politicus, qu’il finit par négliger les codes et modes d’ascensions sociopolitiques. Duhamel et Santamaria vilipendent les tares et les défaillances d’incompétences qui s’installent et s’enracinent au cœur de la République, des siècles après avoir contaminé et détruit de solides monarchies impériales…

Le constat de Patrice Duhamel et Jacques Santamaria est aussi constant que persévérant. En tous lieux, l’endurance dans l’ascèse politique est loin d’être un long fleuve tranquille. Bien au contraire : « Le monde politique est cruel. Il l’a toujours été, parfois [hier] plus encore qu’aujourd’hui », mentionnent-ils dans Les Flingueurs. Mais le développement des médias et la déferlante des réseaux sociaux ont, depuis des années, un effet dévastateur : pour être entendus dans le brouhaha de l’information permanente, les responsables politiques doivent, à tout moment, se distinguer, trouver la phrase qui fait mouche, le mot qui tue, l’expression qui sera reprise et amplifiée. Et à ce jeu, c’est le plus cruel qui l’emporte… » [2]

Facebook, Telegram, Twitter, WhatsApp… les néo-rings sociaux
Depuis les temps très anciens, repérables dans la lointaine antiquité gréco-romaine, des siècles avant Jésus-Christ, les duels politiques d’Athènes et de Rome étaient publics et impudiques. Jadis, la cruauté des escrimes s’écrivait en lettres de sang, au gré des violences bestiales frisant l’horreur. Au moins, sous Néron, on se battait pour l’honneur. Les gladiateurs les plus coriaces (endurcis par la force herculéenne des biceps, l’intelligence qui l’accompagne, la ruse empirique et la double stratégie offensive et défensive des combats), les victoires, les trophées et les palmarès accumulés permettaient d’accéder aux postes et fonctions les plus élevés. (Un cran en dessous des oligarchies héréditaires de César). En ces temps, là, il fut établi que le Peuple aimait les jeux, du vin et du pain, autant qu’il leur plaît. Aux citoyens d’aujourd’hui, nos compatriotes et contemporains, s’empressent d’assouvir leur fringale bestiale en assistant à la disgrâce des actants et leaders politiques, et à la chute vertigineuse des opérateurs économiques…

Dans la Grèce antique, berceau de la démocratie hellénique… Au moins les conflits d’ascension sociopolitique étaient ouverts. Et les protagonistes identifiés… Aujourd’hui, les réseaux sociaux, les médias-sociaux et les multiples applications sous-jacentes ont créé de nouveaux gladiateurs. Ceux de l’impertinence, de l’isolation et de l’insolence. Les professionnels de la médisance ostensible, et leurs frangins flingueurs, les amateurs de la calomnie gratuite s’occupent enfin. Ici et loin d’ici, la course au pouvoir ne se fait plus grâce au Savoir-faire intrinsèque, mais par l’entremise du Savoir-défaire. L’occasion faisant le larron, les applications frondeuses des réseaux sociaux occupent la scène. Les TIC ont engendré de nouveaux métiers niais, ceux de l’imposture…

Les hackers et autres maîtres-chanteurs ne déchantent plus. C’est à travers les réseaux sociaux que les rivalités politiques et socio-économiques se déploient. Tout autant qu’Internet a créé des emplois en CDD, les emplois, aussi modiques que triviaux : les « pseudos lanceurs d’alertes ». Il s’agit des professionnels ignobles de la calomnie gratuite. Sauf que dans ce jargon neuf, les pseudos lanceurs d’alertes, érigés en maîtres-chanteurs, sont également devenus des rapaces du Net, pas très nets et pas très honnêtes. Ces agents stipendiés, approchés par les commanditaires des articles infamants, reçoivent de l’argent, beaucoup d’argent, des montants exorbitants, défiants toute imagination normale et normatives. Et pan ! Les rapaces appuient sur la gâchette ! Et pan ! Ils tirent et titrent sur la prétendue légèreté de la victime calomniée dont il faut briser la carrière !

Les batailles sociopolitiques pullulent désormais sur la toile. En croyant se mettre au-dessus de tout soupçon, les hommes politiques affrontent leurs camarades du même parti, à travers la divulgation des documents d’État, censés relever de la plus haute confidentialité. Dans ce jeu de massacres systémiques, les secrets d’État classés « Top Secret » se retrouvent dans la rue, via les réseaux sociaux. Le but étant de calomnier les dirigeants, aux affaires, et la supposée trivialité des Gouvernants que n’importe qui s’offre le loisir de critiquer.

Les documents frappés du sceau de l’État s’échappent des cabinets par des serviteurs déloyaux. Les virements financiers indirects qui nourrissent les fameux « influenceurs » des réseaux sociaux, dont bon nombre vit en Europe et aux Etats-Unis, sont connus… Les nouvelles autoroutes de la communication sont transformées en laboratoires clandestins de fausses accusations, et usines de photomontages, délivrant de fausses-vraies pièces à conviction… Tout ça pour nuire. Pour créer le doute et la zizanie, la dysharmonie et la méfiance à la tête de l’État, et dans les plateformes insulaires qui soutiennent le Chef de l’État.

Les grands boulevards de la diffamation et de la médisance automatique sont habités, pour certains, par des pseudos lanceurs d’alertes payés pour salir les adversaires, dans l’intention inavouée de briser des carrières, et pour éliminer toutes les barrières humaines qui se dressent comme des digues ambulantes devant les marionnettistes aux abois. Ainsi, plusieurs millions d’euros et de francs CFA qui auraient pu servir à construire des industries locales, des écoles, des routes, voire des hôpitaux, ces pactoles servent à alimenter les pseudos lanceurs d’alertes, qui, bien évidemment « mangent » à plusieurs râteliers.

La technique des rapaces et maîtres-chanteurs est bien connue. Le lanceur d’alerte reçoit des documents et des détails chiffrés dans une fausse boite mail ou un faux compte créé quelque part, en même temps que les virements y afférents, qui transitent sur trois pseudos adresses. Puis, en bon rapace, le même lanceur d’alertes saisit la personne visée pour négocier un montant de « retour à l’expéditeur, TTC… ». Riche des deux virements, le pseudo lanceur d’alertes relance le plus offrant, et s’enrichit triplement… Ainsi de suite, parfois le contact local au Cameroun reçoit les faux articles et l’argent... L’engrenage des cartels maffieux ne prend jamais fin. Surtout pas en ce moment, devant l’impatience impertinente d’un remaniement ministériel, cent fois annoncé, et cent fois ajourné…

En attendant que les commanditaires soient assurés de leur maintien aux postes ou de leur promotion, les pseudos lanceurs d’alertes s’engraissent. Il ne se passe pas une journée sans que des fausses informations alimentent les réseaux sociaux. Attention à l’effet boomerang. Va-t-on laisser des morveux prendre tout un pays en otage ? Le pays ne vit qu’au rythme des publications mensongères des rapaces et chasseurs de primes. Et pan ! Ils tirent sur tout le monde. Il suffit d’entrer en politique pour être une proie. Ici comme ailleurs, le mérite se doit davantage à la lâcheté des calomnies gratuites des flingueurs plutôt qu’à la compétence intrinsèque des acteurs : « Une anthologie des cruautés politiques, c’est l'occasion de mesurer combien l’idéologie, la dialectique, les grands débats de société ont aujourd’hui laissé le plus souvent la place à l’invective, à la formule toute faite et soigneusement préparée, au jeu des petites phrases. Les Flingueurs, c’est, au choix, la comédie ou la tragédie du pouvoir. » [3].

L’arène politique s’appuie sur une société d’intrigue où l’inculpation, la calomnie et la diffamation ignominieuse sont érigées en sport favori des flingueurs. Il s’agit d’une arène d’invectives et de médisances, où, hélas, la rumeur prend le pas sur la vérité. Tandis que l’illogisme infamant l’emporte sur la vertu du vrai. Duhamel et Santamaria tiennent le mérite d’avoir éventré les combines et les complots qui se trament dans toutes les Nations. La réalité est perspicace. La sphère politique est comparable à un ring de diabolisation et d’instrumentalisation. L’espace politique cesse d’être l’agora des performances et des compétences, pour devenir un panier à crabes où on dit tout sur tout le monde. Autrement dit, une arène vénale, vandale et banale où on ment sur tout, où on ment sur tous. On dénigre tout le monde, sans distinction de chapelles politiques. Sans distinction de rang ni de sang. À la trappe !

« À partir de portraits, de mises en perspective et de mots clé (Mensonge, Haine, Bashing, Littérature politique, Face à face, Religion...), on [voit] aussi comment la férocité envahit le débat politique. On revivra les duels, contemporains ou plus anciens, marqués par la violence verbale et psychologique »

Bien souvent, dans ce jeu de diffamations tous azimuts, la presse se presse de se positionner en arrière-cour, au fond d’un décor de cannibalisme où les ténors et les tenants du pouvoir s’étripent, se martyrisent, se flagellent et se dynamitent sans élégance ni bienséance. C’est pour indexer les péripéties de ce monde immonde, bestial et brut que les auteurs des Flingueurs ont choisi comme sous-titre instructif, l’« Anthologie des cruautés politiques ».

Le mal de la diffamation est là. Il est total. Il est cynique, inique et universel. À l’instar d’une métastase que véhicule la gangrène maline, le mal du persiflage est chez nous, au Cameroun, au nom du fric, et du vrac, souvent pour un rien, on flingue tout le monde, sans pitié ni piété. L’écume du mensonge et de la médisance souffle partout. Personne n’est à l’abri, tout le monde est dans le viseur des hackers. Les valeurs de l’honneur si chères au classicisme sont en berne. Les radiotrottoirs ont le vent en poupe. « La vérité ne vient [plus seulement] d’en haut, et la rumeur d’en bas, comme disait le Président Paul Biya, lui-même, placé, malgré lui, à son corps défendant, au centre de moult mensonges, la rumeur trouve ses repères dans les milieux de jactance. Quand les mégots de ragots et le magot font bon ménage.

Désormais les potins des malins n’épargnent plus personne ; ni le sacré, ni le profane. La famille présidentielle n’est-elle pas trainée dans la gadoue de la calomnie ? L’entourage présidentiel n’en est pas épargné. Le contexte s’y prête, peut-être. Le Président de la République, son épouse que l’on connait serviable et altruiste, ne sont guère ménagés par les boulets incandescents des tontons flingueurs. Le mélange trivial de genres aboutit à une confusion de rôles frisant l’anarchie. Le drame est d’enterrer le Renouveau vivant… La campagne d’outrage orchestrée par les pourfendeurs trouve justification dans la chronique d’un règne plus viable que jamais que l’on croyait à la dérive…

Dites, qui lynchons-nous ce soir ?
La fin justifie-t-elle les moyens ? La nuit des longs couteaux s’inaugure-t-elle par le clabaudage et le chantage ? Décidément, les « on dit » ont la cote. À chacun son déballage sans ambages. Dans une sorte de cartels organisés, on choisit la proie à diffamer parmi ceux qui bénéficient des grâces du Prince, on la dégonfle. Et pan ! On tire ! Le milieu est loin d’être dératisé. Les jours qui viennent vont amplifier l’impatience des flingueurs. Les duels ont déjà commencé. Le rouleau compresseur de la médisance est d’ores et déjà en branle. C’est une question de temps. « La trahison est une question de date », disait Talleyrand. Tout le monde peut y passer. Pourquoi flingue-t-on l’autre ? Désir de vengeance, ou simple méchanceté ? Le mérite intrinsèque est à la dérive. N’y survivront que ceux qui savent lyncher. Non ! Élevons le débat. Notre beau pays a encore de belles vertus à préserver. Certes, l’Anthologie des cruautés politiques se généralise. Mais l’anthologie ne saurait s’ériger en pathologie. Sachons raison garder.

[1] Patrice Duhamel et Jacques Santamaria : Les Flingueurs, Anthologie des cruautés politiques , Plon, Paris, mai 2014, 300 pages.
[2] P. Duhamel et J. Santamaria in Les Flingueurs, Anthologie des cruautés politiques , Op-cit
[3] Duhamel et Santamaria, op-cit



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