Accueil
Envoyer à un ami
Imprimer
Grand
Petit
Partager
ANALYSE

Les enjeux socio-économiques et pratiques foncières locales au Tchad


Alwihda Info | Par Abdalmadjit Ali Ahmat - 11 Novembre 2018



Vue satellite de N'Djamena, 8ème arrondissement. © Google Maps
Vue satellite de N'Djamena, 8ème arrondissement. © Google Maps
Le foncier est un support indispensable pour un développement socioéconomique, permettant ainsi aux collectivités locales de conduire des projets structurants d’aménagement et d’équipement territorial. Cependant, face à l’accroissement démographique galopant, le foncier devient de plus en plus une denrée rare, autant en milieu urbain qu’en milieu rural. Il fait l’objet d’une convoitise qui engendre plusieurs problèmes.

Tout d’abord, il est important de rappeler sans passer en revue de manière détaillée les lois régissant le foncier, que le Tchad dispose d’une rigide base juridique liée aux questions foncières, notamment les lois n°23, 24 et 25 du 22 juin 1967 régissant l’accession à la propriété et les procédures d’expropriation. Mais, cela n’exclut pas l’ écart considérable entre les normes théoriques et les pratiques populaires. Cette déviance sociale demeure une source de menace à l’unité nationale priorisée par l’axe 1 du plan national de développement (PND).

Foncier et troubles sociaux

Il est une source de trouble social entrainant ainsi des conflits récurrents entre la population mais constitue également une menace à la légitimité du pouvoir public. Cette remise en cause de la légitimité de l’Etat s’exprime par le rapport tendu entre l’Etat et la population sur les questions foncières. Nous pouvons aujourd’hui constater une résistance directe ou indirecte des populations généralement contre toutes les mesures prises relatives au foncier par le pouvoir public.

Les pratiques foncières locales compromettent la cohésion sociale dans la mesure où "80% des dossiers en instance de jugement devant les tribunaux concernent les questions foncières", a indiqué le CROSET dans son article intitulé « les faits : le foncier du Tchad (….) » du 3 octobre 2016.

Nous assistons aujourd’hui à une ascension fulgurante des pratiques populaires développées par le « Boulama » pour qui une unité foncière pourrait faire office d’une vente concomitante à plusieurs acheteurs. Nous pouvons assigner cette pratique susmentionnée à une véritable « jungle urbaine» qui débouche généralement sur des conséquences désastreuses. Il est toutefois important de rappeler aussi que les litiges fonciers ne sont pas exclusifs qu’en milieu urbain, en revanche ils sont aussi monnaie courante dans le monde rural, causant ainsi des conflits entre agriculteurs et éleveurs. Lesdits conflits engendrent souvent des morts d’hommes. A titre d'illustration, le conflit de Kelo dans la sous-préfecture de Bologo en date du 15 novembre 2016 : treize (13) morts ont été enregistrés suite à un affrontement entre éleveurs-agriculteurs, sans oublier aussi le cas de Pala et tant d’autres régions.

Cette tension foncière du monde rural est relative à la gestion des espaces naturelles. Sur ce, il est judicieux de doter ces zones d'un plan d’aménagement et d’occupation du sol (PAOS) qui sera élaboré dans une approche participative, incluant les deux acteurs (agriculteurs et éleveurs) afin de pallier à ces conflits. Rappelons au passage que le PAOS est un outil juridique qui définit la vocation zonale, mais aussi un moyen de tranchage en cas de litige ou de violation des règles.

Résistance de la population locale et menace à la légitimité du pouvoir public

L’interdiction de l’exploitation clandestine de l’or dans la région de B.E.T par l’Etat suscite des résistances de la population. Malgré que la ressource appartienne au domaine public naturel censé être géré par le pouvoir central, la discorde entre la population et l’Etat commence à prendre une ampleur démesurée.

Cette résistance pourrait éventuellement être analysée par le fait que la population ignore les lois modernes régissant le foncier par manque de vulgarisation suffisante de ces textes juridiques. Ce qui fait que la population se sent spoliée de ses biens. Un dialogue entre les deux parties serait l’idéal. En revanche, l’affrontement n’est qu’ n facteur décisif qui pourrait compromettre la paix nationale. Par conséquent, la remise en cause de l’attractivité du pays par d’éventuels investissements est nécessaire.

Tout de même, dans un contexte d’urbanisation où les zones périphériques sont progressivement intégrées au tissu urbain de la ville centrale, les pratiques et les représentations foncières des « villageois urbains » constituent un obstacle dans la gestion foncière de la ville. Ledit foncier de la zone périphérique a une dimension de prestige familial où l’unité foncière représente un patrimoine. Cette pratique présente un attachement affectif constituant ainsi un obstacle à son intégration à la ville. C’est pourquoi les « villageois-urbains » développent une relation tendue avec le pouvoir public manifestée par une résistance directe par le biais d’affrontements que l’on remarque généralement durant les opérations de démolition dans certains quartiers. Mais la résistance est aussi indirecte, s’exprimant ainsi par l’occupation des zones qui faisaient autrefois l’objet de déguerpissement par le pouvoir public.

Notons que ces deux formes de résistance que nous avons tantôt évoqué remettent en cause la légitimité du pouvoir public mais aussi et surtout l’unité nationale. Il es impératif que l’on développe des stratégies de régularisation foncière car le bilan du conseil des ministres du 12 avril 2012 révèle que plus de 90% des bâtisses du Tchad n’ont pas de titre fonciers. Alors que celui-ci est l’un des moyens prépondérant d’accès aux crédits formels et à la sécurisation foncière. L’article 7 de la loi n° 24 du 22 juin 1967 stipule que « le titre foncier est définitif et inattaquable ».

Enjeux économiques

Dans l’objectif de la productivité urbaine développée par la banque mondiale dans les pays en voie de développement, celle-ci constate que la population pauvre du tiers monde à un potentiel important mais sous utilisé. Autrement dit, la sécurisation foncière mariée à l’accès aux crédits serait un facteur de croissance économique non négligeable car ceci donne une opportunité à la population urbaine d’accéder à l’emprunt de crédit pour développer des activités économiques.

Ce constat nous amène à s’interroger si réellement la population tchadienne est-elle consciente de ce privilège offert par le titre de propriété ? Sinon, la déviance sociale n’est-elle pas liée au manque de connaissance en la matière ? Ne revient-il pas  au pouvoir public le devoir de s’en charger à la sensibilisation de l’enjeu que présente le titre foncier ?

Face à ces interrogations, nous essayons d’insinuer a priori que le cadre juridique officiel régissant le foncier n’est pas assimilé par l’ensemble de la population tchadienne « majoritairement analphabète ». Sur ce, il est nécessaire de recruter des animateurs territoriaux servant de trait d’union entre l’Etat et la population locale capables de traduire et de vulgariser ces lois afin que la population s’imprègne de la réalité juridique foncière.

L’enjeu de la régularisation foncière pourrait être aussi avantageux à l’Etat en terme de revenu fiscal car cette opération renforce la matrice cadastrale dans laquelle sont enregistrées toutes les adresses et les matières opposables aux impôts, mais également un rattrapage de son autorité dans le contrôle des quartiers précaires.

Abdalmadjit Ali Ahmat, élève ingénieur des travaux de l’aménagement du territoire, Environnement et la Gestion Urbaine, de l’Université cheikh anta Diop de Dakar. E-mail : [email protected]



Pour toute information, contactez-nous au : +(235) 99267667 ; 62883277 ; 66267667 (Bureau N'Djamena)