REACTION

Samora Machel : a luta continua !


Alwihda Info | Par Gaspard-Hubert Lonsi Koko - 13 Janvier 2020



Samora Moisés Machel, né le 29 septembre 1933 à Madragoa, actuellement Chilembene, au Mozambique et mort le 19 octobre 1986 à Mbuzini en Afrique du Sud, fut un homme politique mozambicain. Premier président de la République populaire du Mozambique indépendant, qu’il dirigea entre 1975 et 1986. Il avait rencontré en 1961 Eduardo Mondlane Chivambo, un intellectuel mozambicain qui, de retour au pays et à la tête d’une mission pour le compte des Nations Unies, combattait le colonialisme portugais au Mozambique. En 1963, Samora Machel rejoignit la lutte indépendantiste contre la puissance portugaise d’occupation. Il intégra le Front de libération du Mozambique (Frelimo) et se retrouva de ce fait aux côtés de son supérieur hiérarchique, Eduardo Mondlane Chivambo, à Dar es Salaam. Il suivit alors une formation militaire en Algérie et figura, le 25 septembre 1964, parmi les 250 guérilleros du Frelimo qui déclenchèrent la lutte armée contre le Portugal. Amílcar Cabral n’avait-il pas évoqué le passage algérien, obligatoire pour les combattants africains engagés dans un bon nombre de luttes contre les colonialistes ?
 
« Les chrétiens [allaient] au Vatican, les musulmans à La Mecque et les révolutionnaires à Alger. »[1]
 
Samora Machel détestait profondément la philosophie coloniale des Portugais. Il était révolté contre des siècles de maltraitance. Sa haine du colon fut joliment exprimée dans la phrase ci-dessous :
 
« Le jour où vous entendrez les Blancs parler de moi en bien, ce jour-là, ne partagez plus vos secrets avec moi, parce que cela voudra dire que je vous ai déjà trahis. »
 
Devenu secrétaire à la défense du Frelimo en 1966, Samora Machel succéda à Filipe Magaia, mort au combat. En 1968, il devint le commandant en chef des forces armées et siégea au comité central du Frelimo. À la suite de l’assassinat du professeur de sociologie Eduardo Mondlane Chivambo en 1969, il accéda à la direction du parti au sein d’un triumvirat formé avec Marcelino dos Santos et le révérend Uria Simango. Samora Machel représenta la branche marxiste et multiraciale, face aux tenants du courant africaniste. Dès 1970, tel le dandy Jules César roulant dans la farine Pompée le Grand et le riche Marcus Licinius Crassus en 60 avant Jésus-Christ, il s’imposa sur ses deux codirigeants et présida tout seul le mouvement de libération marxiste.
Le Mozambique accéda à l’indépendance le 25 juin 1975. Le Frelimo dirigea de facto un gouvernement d’union nationale, mais le mouvement politique finirait par manager sans ses alliés de circonstance. Élu président de la République du Mozambique, Samora Machel facilita l’émergence d’une société socialiste et intégra le bloc soviétique. Une réforme agraire fut imposée, regroupant les paysans dans des aldeias comunais[2] selon le modèle des kolkhozes et sovkhozes. Pour cela, le nouveau régime mozambicain n’hésita pas à utiliser les anciens aldeamentos[3] afin de les soustraire de l’influence du Frelimo dans les zones du Nord touchées par la guerre. Profondément incompatible avec le mode de vie tout à fait traditionnel dans la campagne mozambicaine, la réforme agraire basée sur le concept des villages communautaires se traduisit vite par un échec monumental.
Sur le plan international, Samora Moisés Machel fut un artisan de la ligne de front, c’est-à-dire favorable à une coalition d’États voisins de l’Afrique du Sud dans le but de servir de base arrière aux mouvements anti-apartheid. Mais, conscient de l’inefficacité de sa politique économique, dès 1980, il mit fin à l’expérience socialiste pour demander l’aide du Fonds monétaire international. En 1984, les difficultés économiques le contraignirent de se rapprocher de l’Afrique du Sud. Il signa alors l’accord de Nkomati, avec le président Pieter Botha, prévoyant la cessation de l’aide sud-africaine à la Résistance nationale du Mozambique (Renamo) contre le retrait du soutien mozambicain à l’ANC ainsi qu’aux mouvements anti-apartheid établis dans son territoire. Mais aucun pays signataire ne le respecterait.
Le président mozambicain était sans conteste une personnalité très charismatique. Dans un document « déclassifié » du ministère français des Affaires étrangères, l’ambassadeur de France, Gérard Serre, avait écrit en 1985 que,
 
« il n’[était] que de voir l’attitude révérencieuse de ses ministres envers sa personne alors que lui-même n’[hésitait] pas à les fustiger publiquement, pour comprendre l’ascendant qu’il [avait] pris sur les hommes qui l’[entouraient]. Fascinant, séduisant, l’homme l’[était] indiscutablement, lui autrefois adversaire honni de Pretoria, [puis] partenaire obligé qui [avait] su retourner à son profit l’attitude du gouvernement [du président] Botha envers le MNR [Mouvement national de résistance ou Renamo, opposition armée] ».
 
Dans l’après-midi du 19 octobre 1986, ce jour-là, les conditions météorologiques étaient assez bonnes. En provenance de Mbala, dans le Nord de la Zambie – après avoir participé à un sommet sur la guerre civile en cours en Angola avec les présidents Kenneth Kaunda, José Eduardo dos Santos et Mobutu Sese Seko de la République du Zaïre –, Samora Moisés Machel se trouvait dans le Tupolev 134A piloté par des militaires soviétiques qui s’écrasa en Afrique du Sud sur les flancs des montagnes Lebombo, situées à trois cents mètres de la frontière mozambicaine, près de Mbuzini. Le président Samora Machel et vingt-quatre autres occupants de l’avion moururent, neuf passagers survécurent dont quelques-uns grièvement blessés. Après une courte période d’intérim, Joachim Chissano deviendrait le président de la République le 6 novembre 1986.
 
© Gaspard-Hubert Lonsi Koko
 
(*) Extraite de l’ouvrage intitulé Les figures marquantes de l’Afrique subsaharienne – 3, L’Atelier de l’Égrégore, 3ème édition, Paris, janvier 2020, pp. 214-216.
 
[1] Extrait du texte d’Amílcar Cabral intitulé Libération nationale et culture, publié en 1970.
[2] Villages communautaires.
[3] Des petites agglomérations dans lesquelles l’armée portugaise avait essayé de confiner les paysans, traditionnellement dispersés en unités unifamiliales dans la campagne.

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