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ANALYSE

Tchad : vers un monologue exclusif d’une élite socio-politique privilégiée ?


Alwihda Info | Par - 6 Septembre 2022


Selon un proverbe indien, « ce n’est pas sur une montagne qu’on trébuche mais sur une pierre ». Il n’aura fallu attendre que la cinquième journée du Dialogue National Inclusif et Souverain (DNIS) pour mieux observer à quel point l’organisation de cette rencontre nationale historique se trouve déjà compromise.


Les règles du jeu qui auraient dû permettre de réunir les filles et fils du Tchad dans la plus grande sincérité des débats et l’équité ont fait l’objet de nombreuses critiques d’un grand nombre de participants, souvent fondées, à l’encontre du CODNI.

Si plusieurs efforts positifs ont été inscrits à l’actif des autorités de la transition depuis ces derniers mois avec notamment l’obtention de l’Accord de Doha et le retour au bercail de nombreux politico-militaires, les garanties d’un dialogue sincère et réellement inclusif ainsi exigées aux tenants du pouvoir transitionnel, et dont le Président du CMT s’en est porté garant par le décret 2596 du 17 août 2022, semblent demeurer vaines.

Inutile, selon de nombreux participants, d’attendre jusqu’à la fin des joutes verbales pour se faire une idée précise du consensus à la « tchadienne » ainsi adoptée par les membres du CODNI en lieu et place de l’assemblée plénière, donnant dès lors le ton et l’image d’une organisation, quoi qu’on en dise, fidèle aux anciennes pratiques coutumières au service d’une vision unique de ce que devrait être le Tchad de demain.

D’emblée, si plusieurs organisations sociales et politiques ont décidé de rester en marge de la tenue du Dialogue National Inclusif et Souverain (DNIS), et à bon droit depuis l’adoption polémique du règlement intérieur et la désignation litigieuse du Présidium, c’est avant tout par prudence et responsabilité devant l’histoire qui tiendra chacune et chacun de nous comme comptable de nos actions et comportements devant les générations à venir et pour les croyantes et croyants, devant Dieu.

Surtout, il va sans dire que ces organisations politiques et sociales, que l’on a longtemps voulu ériger comme faussement minoritaires dans les idéaux partagés d’un Tchad nouveau, réclament ardemment une alternance politique paisible et l’organisation d’élections libres et transparentes à la tête du pays dans le dessein de faire émerger un nouveau système de gouvernance au service de chaque citoyen.

Pour parvenir à ce dessein, il est important de rassurer les stricts tenants du pouvoir qu’il ne s’agit ni d’une exclusion ni d’un règlement de comptes mais qu’il demeure toutefois nécessaire de se détacher de cet entourage suspicieux aux résultats d’un DNIS dont les ambitions souvent unilatéralistes manqueraient cette fois-ci.

Radoter la paix et la réconciliation nationale à longueur de la journée, valeurs certainement importantes dans les fondations d’une nation, c’est passer délibérément à côté des réelles aspirations socio-économiques et exigences de justice dont les besoins sont exprimés par la majorité des tchadiens, et auxquelles seule, une nouvelle ère de leaders, dirigeants et technocrates aussi issus des classes politiques émergentes, réellement représentatives et de la société civile active, pourra y répondre favorablement dans une meilleure inclusivité.

D’ailleurs, à l’ouverture du DNIS, le discours saisissant du président de la Commission de l’Union Africaine, Moussa Mahamat Faki, suivi d’un silence assourdissant de l’auditoire, semble marquer la naissance d’une nouvelle époque pour le Tchad où les langues se délient progressivement pour poser un débat de vérité sans être rattrapés par une quelconque police de la pensée libre et de l’opinion sur l’avenir du pays. Heureusement, que seule une minorité de personnes ne parvienne toujours pas à supporter la liberté d’expression.

Il ne s’agit pas de défendre un courant de pensée politique majoritaire ou minoritaire, ni de défendre la cause d’une élite socio-politique privilégiée ou encore de défendre les intérêts d’un groupe de personnes. Surtout, il ne s’agira surtout pas de légaliser la moindre confiscation du pouvoir. Il s’agira bien au contraire de reconstruire les bases d’une nouvelle Nation où les intérêts des citoyens tchadiens et des territoires seront défendus avec équité. Hélas, puisque les décisions issues du DNIS demeureront souveraines, les jeux politiques se feront parallèlement en dehors et pendant les journées de débats.

Nous avons oublié un temps soit long que le Tchad appartient à tous les tchadiens de l’intérieur comme de l’extérieur et qu’il incombe à chaque citoyen, l’ultime exigence de remplir, dans le respect des règles de droit et devoirs autant que possible, sa mission d’exprimer librement son opinion et ses revendications dans l’intérêt non pas d’une élite socio-politique privilégiée mais bien dans l’intérêt citoyen visant à poser le vrai débat pour améliorer les conditions sociales et économiques de chaque citoyen tchadien et des territoires, construire une réelle justice pour tous, repenser l’égalité des citoyens devant la loi, des droits et devoirs et préserver au mieux les droits et libertés fondamentaux de chaque tchadien.

Si certaines et certains estiment avoir le temps de s’adonner à un spectacle organisé du haut de leur « sagesse » visant à monologuer à titre exclusif et adopter des résolutions contestées, pendant que la situation socio-économique se déprave de jour en jour et laissant à l’agonie des millions de tchadiens vivant au jour le jour dans les tentacules de l’extrême pauvreté et du sous-développement, il est toujours temps de leur dire qu’ils se trompent de période, car la société civile d’aujourd’hui n’est pas celle du passé.

C’est l’une des plus grandes partitions de son histoire que le Tchad est en train de jouer. A qui veut et doit l’entendre, le tchadien est beaucoup plus intelligent qu’on ne le pense. Abreuvé de patience, il triomphe d’expérience pour comprendre aisément ce qui s’apparente à un vrai dialogue ou à un monologue. Au fond, la vraie question restera toujours l’alternance politique. Puisque seule cette dernière pourra mener vers le développement souhaité de la nation, et ce à quoi, toutes les couches sociales du pays, partenaires et amis du Tchad, y adhèrent.

Pour atteindre cet objectif d’alternance politique, il conviendra aux tchadiennes et tchadiens de s’accorder sur le plus grand compromis de l’histoire du Tchad et se poser les bonnes questions. Un compromis sur l’avenir du pays où chaque citoyen s’y retrouve et se sent co-responsable de son développement.

Il demeure important de revenir sur les règles du jeu et conditions essentielles grevant le règlement intérieur du DNIS impactant dès lors l’inclusivité et la sincérité des futurs débats tendant vers ce qui s’apparenterait à un « monologue national exclusif » ou à un « Cénacle » dont les dénonciations et critiques n’ont cessé de fuser depuis la suspension de cette cinquième journée du DNIS jusqu’à ce mardi 30 août prochain faisant suite à la désignation des membres du Présidium. Autrement dit, ces suspensions prononcées par la présidence du CODNI, tel un faux-fuyant, visaient inéluctablement à passer outre les contestations et colères manifestées au sein du Palais du 15 janvier même si avec une parfaite ironie, le vice-président du CODNI, Saleh Kebzabo n’a pas manqué d’affirmer ceci : « je sais que beaucoup de gens sont très contents mais calmez-vous s’il vous plaît ».

Tout d’abord, il est important de noter qu'à la suite de la désignation contestée des membres du Présidium, plusieurs voix indépendantes, partis politiques et membres de la société civile se sont élevées pour dénoncer les dérives constatées de cette journée de dimanche 28 août 2022, dénonçant pour certains « l’existence d’un agenda caché du CODNI et consorts dépourvu de consensus et d’inclusivité » ; comme ainsi dénoncé par Enoch Djondang et qualifié de « dégâts » par Amine Idriss, personne ressource du DNIS. Même si quelques membres du gouvernement de transition à l’exemple du ministre de la Jeunesse et des Sports, Mahmoud Ali Seid et du ministre de la Communication, Abderaman Koulamallah, ont respectivement affirmé que « tout le monde est satisfait. Je n’ai pas vu quelqu’un qui n’est pas satisfait » ou encore qu’« il y a un petit nombre de jeunes qui a contesté, pas tout le monde ».

C’est à l’analyse et à la preuve rapportée aux faits qu’il convient de se soumettre afin de mettre en lumière les incohérences de procédure du DNIS. Les conditions clés d’une souveraineté communément acceptée d’un Dialogue National Inclusif ont-t-elles été réunies ?

Les questions liées à la composition du DNIS (I), au pouvoir décisionnel de l’assemblée plénière et le règlement intérieur (II) et à la désignation du Présidium (III) ne doivent aucunement être occultées.

Sadam Ahmat.
Sadam Ahmat.
I- La composition du DNIS :

Cette composition arbitrée par le CODNI démontre que ce grand rendez-vous de la Nation n’est pas exclusivement politique. En effet, les partis politiques ne représentent que 24% de l’assemblée plénière et la société civile représente 21%, en plus des politico-militaires.

Les autorités traditionnelles, représentants des provinces, forces de défense et de sécurité, grandes institutions et gouvernement, membres du CODNI et hautes personnalités ainsi que les personnalités ressources représentent un total de 53%.

Si ces chiffres ont sensiblement pu être modifiés jusqu’à l’ouverture du DNIS pour intégrer les derniers réajustements à bon droit, encore faut-il définir combien de partis politiques et membres de la société civile représentent réellement une position indépendante, crédible et profondément représentative des requêtes des tchadiens.

Combien d’organisations politiques et sociales n’ont pas été prises en compte au sein des participants du DNIS alors que leur représentativité est bien considérable à l’échelle nationale, à l’exemple des Transformateurs et de Wakit Tamma pour ne citer que quelques exemples ?

S’il est inutile de rappeler l’impossibilité de réunir 16 millions de tchadiens au sein d’une même salle aux fins d’organiser un dialogue qui aurait pour conséquence de ne jamais finir, la logique du processus démocratique voudrait que les organisations politiques et sociales les plus crédibles et représentatives soient invitées en qualité de participants afin de répondre au mieux à ce « grand moment d’évaluation et de proposition » comme ainsi déclaré par le PCMT dans son discours du 27 avril 2021.

II- Le pouvoir décisionnel de l’assemblée plénière et le règlement intérieur

Si l’on considère que chaque résolution « adoptée » demeure souveraine conformément à l’article 2 du décret n° 2596 du 17 août 2022 signé par le PCMT, la moindre revendication doit être prise en compte par un vote libre et éclairé, qu’importe qu’il soit à main levée, à bulletin secret ou encore par consensus.

Si les ardents défenseurs du vote consensuel « détourné » ont pu obtenir ce qu’ils souhaitaient et ce à l’image des méthodes de vote imposées lors des derniers forums inclusifs, il demeure que le vrai consensus est « un processus dans lequel aucune décision ne peut être prise tant que tous les participants ne l’acceptent. La décision doit être élaborée collectivement. Faire en sorte que chacun puisse s’exprimer en faisant des tours de tables et en organisant des petits groupes. Le droit de véto détenu par chacun des participants dans le reste du groupe est la pierre angulaire de la méthode du consensus. La permission de chaque membre du groupe est indispensable ».

Toutes les minorités doivent être entendues au cours du processus et non à la fin. Chaque proposition doit être discutée et faire l’objet d’un consensus vérifié.

L’article 36 dudit Règlement dispose que « les résolutions et recommandations du DNIS sont prises par consensus, dans le plus grand esprit de persuasion, de compréhension et de conciliation. En cas de non-consensus, il peut être procédé au vote chaque fois que de besoin ».

Les articles 8 et 9 du même Règlement disposent cependant que « l’Assemblée plénière est l’instance supérieure qui rassemble tous les participants au DNIS » et « qu’après la mise en place du Présidium par l’Assemblée plénière, l’Assemblée plénière est chargée d’adopter le règlement intérieur et l’agenda du DNIS ».

Enfin, l’article 10 du même Règlement dispose que « le Présidium est l’instance de direction des débats et des travaux du DNIS. Il est chargé de la gestion des assises et de faire respecter le règlement intérieur ». Il assume par ailleurs la « conduite des discussions pour parvenir à des délibérations consensuelles ».

Dans les faits liés au déroulement des séances, il apparaît d’une part que sur une assemblée plénière de près de 1.400 participants, la parole n’aura été donnée par le CODNI qu’à quelques dizaines de participants par jour ainsi sélectionnés dans les travées et couloirs du Palais de la Culture pour un temps de parole de trois à cinq minutes. Des requêtes écrites ont notamment pu être soumises au CODNI pour prendre en compte certaines revendications ou réclamations.

L’une des questions majeures conditionnant l’adoption du Règlement concernait le mode de vote que ce soit par consensus, à bulletin secret ou à mains levées. Les différentes voix manifestées laissaient entendre une ambivalence entre les deux dernières méthodes de vote au détriment du consensus qui a été contesté par une partie du grand public et d’ailleurs dénoncé par d’éminentes personnalités tel que Mahamat Nour Ibédou, président de la Commission nationale des droits de l’Homme (CNDH) dont l’allocution n’a pas manqué d’être vivement applaudie.

Chemin faisant, le Président du CODNI, Acheikh Ibni Oumar a pris la décision de commettre la première grande transgression du DNIS en adoptant le mode consensuel et en affirmant le soir du 26 août dernier devant l’Assemblée plénière : « On a tranché et ça doit vous satisfaire. La formule qu'on a retenu, ce n’est pas une formule nouvelle. C’est la formule initiale qui n’a pas été contestée (…). Le règlement intérieur est considéré comme adopté ».

Cette première transgression montre tout d’abord une défaillance notoire de la méthode consensuelle telle qu’appliquée puisque ce n’est pas l’Assemblée plénière qui a tranché mais bien le CODNI. Puis, comment peut-on raisonnablement déduire un consensus à partir des quelques interventions de participants sans qu’il ne soit pris le soin d’écouter les participants organisés en corporations et groupes avec leurs représentants respectifs pour mieux équilibrer les opinions et volontés des uns et des autres ?

Si le Règlement a été adopté avant l’assemblée plénière, la mise en place du Présidium -en violation de l’article 9- dispose qu’« après la mise en place du Présidium par l’Assemblée plénière, l’Assemblée plénière est chargée d’adopter le règlement intérieur et l’agenda du DNIS ». Chose qui n’aura été décidé que par le CODNI.

Aucun article ne dispose expressément de la modification du Règlement et encore moins de l’aménagement ou d'une nouvelle désignation du Présidium. Cependant, l’article 48 du Règlement prévoit que « toute disposition ou situation non prévue par le règlement intérieur est réglée par la plénière du DNIS, selon les principes démocratiques ».

Pour autant, il semblerait que le Règlement ne prévoit pas expressément les conditions dans lesquelles un ou plusieurs participants de la plénière peut(vent) interpeller le Présidium pour soumettre à cette dernière toute question ou requête relative au Règlement ou aux différents sujets thématiques qui seront abordés dans les prochains jours. Aussi, aucune disposition n’impose clairement au Présidium l’inscription à l’ordre du jour d’une requête soumise.

Si l’on s’en tient à l’article 35 du Règlement, si trois types de motions (d’ordre, de procédure et d’information) peuvent retenir l’attention du Président du Présidium, la disposition reste silencieuse sur les titulaires de cette action de motion et ne confèrent pas une obligation pour le Présidium car « pouvant » et non « devant » suspendre.

Plus contestable, les articles 30 et 31 du Règlement disposent clairement qu’un « Projet d’agenda des assises du DNI » est soumis par le Présidium à la Plénière et que « seul » le Président de séance accorde la parole aux intervenants dans l’ordre de leur inscription. Le droit de réponse n’est pas obligatoire et ressort du monopole du Président de Séance.

Si l’Assemblée plénière demeure effectivement souveraine, peut-elle prendre n’importe quelle décision consensuelle ou issue d’un vote majoritaire qui viserait notamment à adopter un nouveau règlement intérieur et désigner un nouveau Présidium ?

Les textes ne s’y opposeraient pas.

Sadam Ahmat Yacoub
Juriste, Master II en droit
Sadam Ahmat
Rédaction d'Alwihda Info. En savoir plus sur cet auteur



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