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POINT DE VUE

Afrique et enseignement en période d'expansion du Covid-19


Alwihda Info | Par Zachée Betche - 17 Avril 2020


La pandémie suscite une galaxie d’imaginations qui n’épargnent pas le secteur de l’enseignement tant dans sa globalité que dans son originalité. A l’irruption du Covid-19, les Etats européens ont immédiatement réagi en instaurant cette pédagogie « futuriste » de transmission du savoir. C’est une réponse au confinement imposé. En réalité, dans les pays occidentaux comme dans la plupart des nations nanties, l’école et la formation à distance ne sont plus, en soi, une trouvaille révolutionnaire. Même si, à la faveur du contexte de confinement, ce procédé méthodologique tend à proliférer et à se définir comme normalité - à laquelle l’on s’adonne quasiment à cœur joie (?) - suivant les différents niveaux qui abritent la transmission du savoir. Le télé-enseignement dénote d’une méta-pédagogie de relaiement spécifique et du possible. Tout ceci rimant avec faste et ultra-modernisme.


Zachée Betche.
Zachée Betche.
Tentation ou mimétisme dans les pays du Sud

La manière dont la communication s’est faite en Europe via l’outillage moderne a entraîné certains décideurs d’autres peuples du monde, ceux dits d’en bas, dans un mimétisme habituel, voire pour certains, congénital. L’expression clivante, « ‘d’en-bas », rime bien avec la réalité de notre planète dont le Covid-19 révèle encore plus l’ampleur des disparités au cœur du cosmos humain : l’écart manifeste entre les pauvres et les nantis.

Dans les pays où l’accès aux conditions basiques de l’existence humaine ( eau, énergie électrique, etc.), la fracture numérique n’est qu’une de nombreuses évidences. Il est des étapes à ne pas brûler même si, en Afrique et dans nombre de pays, la longue phase d’utilisation du téléphone fixe a été un peu trop rapidement franchie. Cet outil cristallisait une appartenance sociale privilégiée. Aujourd’hui, les téléphones portables, toutes marques confondues, inondent des villages africains.

Ainsi, promouvoir des cours via l’écran télévisuel ou les ondes radiophoniques, par exemple, participe d’une stratégie de l’absurde. Les bonnes intentions ne sont ni un gage de qualité, ni celui d’une intelligence fine. Les cours dispensés en direct ou en différé, suivant ces canaux médiatiques choisis, démontrent à suffisance des failles dans les décisions politiques.

D’abord, il y a comme une senteur de méconnaissance de la réalité sociétale globale dominée par la paupérisation. Cette constante mériterait d’être répétée pour radicaliser un regard bien plus réaliste et objectif de l’histoire qui se déroule. Un tel contexte de manque voire de misère n’est simplement pas l’apanage des régions et campagnes éloignées des centres urbains principaux. Dans de nombreuses grandes cités des pays du Sud, bidonvilles et gratte-ciels cohabitent.

Ensuite, la structure interne de nombreux habitats n’offre pas un cadre de télé-enseignement adéquat. Si quelques outils ou rudiments existent, encore faudrait-il qu’ils soient dédiés à ces activités qui interviennent soudainement au cœur des habitudes familiales. Aussi, à l’heure officielle des confinements, de nombreux enfants se retrouvent dans de nouveaux lieux de prédilection ou de nécessité (jeux, petits commerces de fortune, etc.)

Enfin, cette méthode questionne sur la compétence parentale par rapport au soutien scolaire des plus jeunes en ayant à l’esprit qu’un étudiant est assez mûr pour chercher par lui-même. Tel est le sens de l’autonomie que suscite l’université. La référence à la compétence parentale n’est pas exclusive aux pays pauvres. Dans les pays industriellement développés, certains parents éprouvent de nombreuses difficultés face à un ordinateur. La moindre consigne inhérente à l’enseignement à distance désarçonne.

Au regard de toutes les conditions d’existence, une faisabilité de l’enseignement paraît douteuse dans les pays moins nantis à l’instar des nations africaines. A l’ère du Covid-19, une telle absorption, furieusement mimétique, par les pays dits d’en-bas ne pose pas moins de sérieuses difficultés. Pire, elle libère des impasses trahissant un certain nombre de complexes. On veut faire comme en Occident. Ne serait-il pas ici un véritable complexe du colonisé qui s’embarque dans les voies de l’absurde plutôt que celles de l’inculturation et de la contextualisation, deux lieux significatifs de l’intelligence africaine moderne. Sans doute qu’avec le télé-enseignement le clivage est manifeste à l’intérieur des sociétés tiers-mondistes elles-mêmes. Il faut trouver d’autres modèles. Ce mimétisme décrié est inhérent à cette fameuse pérennité du mensonge, suivant une critique du philosophe camerounais Eboussi Boulaga, qui inscrit les sociétés dans la répétition chaotique : se mentir ; autrement dit vivre de ses propres illusions, c’est-à-dire laisser cours à sa propre néantisation.

Triomphe technologique sur la nature et le temps

Hormis le privilège que confère la modernité technocratique dotée de ses pouvoirs et et de ses nombreuses facilités, il n’est pas idéal de procéder de la sorte. Autrement dit, de laisser la médiatisation de l’écran arbitrer souverainement la communication humaine. Ici, la thèse habermassienne qui identifie technologie, science et idéologie semble se vérifier. Car la seule réponse du monde (post)moderne se trouve dans sa manipulation de la science et de la technologie, ses outils et ses croyances profondes.

La thèse la plus en vue dans le monde scientifique concernant l’irruption, voire la fabrication du Covid-19, n’est-elle pas cette dislocation entre nature et culture, non respect du vivant dans sa spécificité et sa pluralité ? Ce modèle de communication technologique, bien que d’une évidente utilité, doit rester avant tout conjoncturel. Sinon l’on subirait les frasques d’un autoritarisme technocratique toujours en quête de pouvoir. Science et technologie poursuivent la manipulation du vivant et de l’humain. Car, fondamentalement, l’écran cristallise l’éloignement. La distanciation montre à souhait l’irréversibilité de la présence humaine, sa radicalité et son importance dans l’humanisation de la transmission touchant les horizons insoupçonnés de notre condition. L’enfant (ou l’élève) sera-t-il toujours au centre comme l’exige une pédagogie contemporaine ou serait-ce le triomphe de l’idéologie technocratique qui en prendrait la place ?

Une balance est toutefois possible bien qu’elle s’illustre sous la forme de paradoxe. La technique au cœur des distances (l’usage de l’écran) est un moyen singulier là où l’impossibilité de la proximité est indiscutable. La conscience humaine doit en tenir compte. Il faut avoir à l’esprit que le culte de l’écran est un poison. Il est temps d’inverser la vision cartésienne de la nature au profit de la culture technocratique. L’homme doit en rester « maître et possesseur » (Descartes, Discours de la Méthode). Aussi, l’usage de l’objet (issu de la culture) en question n’est pas non plus toujours un privilège puisqu’elle s’exerce dans un cadre d’anxiété pour un grand nombre. Le décrochage scolaire en temps de confinement n’est pas un secret chez de nombreux jeunes.

En toute lucidité, l’acharnement contre une année scolaire blanche n’obéirait-il pas, à la vérité, à l’idéologie économiciste qui a tout prévu à l’avance et qui s’inquiète des retombées qui lui sont inhérentes ? Qu’en est-il de l’effectivité et de la qualité concrètes de l’ensemble du programme scolaire ? L’on m’objectera que, selon cette idée, l’école n’existerait simplement pas sous d’autres cieux où la guerre, l’extrême pauvreté ou la famine règnent en maîtres. Soit. Mais qu’en est-il du respect des temps ? N’est-ce pas ici une sorte de Sabbat – temps sacré de repos - qui s’impose à l’homme ? La disqualification du rythme des temps correspond au non respect du vivant qui serait, selon le discours scientifique dominant, à l’origine de cette pandémie. Si nous pouvons apprivoiser la nature, il n’empêche que des conséquences en résultent. Ecouter et sentir le monde du vivant n’est pas toujours qu’un pur écologisme ou une faille inscrite au centre de notre intelligence humaine.



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