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ANALYSE

Cameroun : l'artiste musicien est un millionnaire qui s'ignore


Alwihda Info | Par Dr Armand MBILI, artiste musicien (Armando BILL). - 6 Juillet 2023


Au Cameroun, l'artiste n'a pas un statut professionnel qui lui octroie des obligations et des droits administratifs liés à toute profession. Bien plus, il y a une clochardisation malheureusement entretenue par certains organisateurs de spectacles et promoteurs culturels véreux qui réduisent la valeur des artistes à une clownerie, à un objet musical à exploiter.


Cameroun : l'artiste musicien est un millionnaire qui s'ignore
Il y a quelque temps, parcourant un forum WhatsApp, je tombe sur une vidéo dans laquelle un jeune artiste, Ami Moyo, présente la détresse de l'artiste musicien, Camerounais, Mama Ohandja, dans une posture mélancolique qui contraste avec la joie donnée à plusieurs mélomanes durant des décennies, à travers sa musique.

Le décor choisi incarnait tristement les paroles qu'on allait écouter dans ladite vidéo : un vieux balafon qui n'avait plus participé à la gaieté mélodique d'un joueur depuis Mathusalem, oublié et accroché sur un mur poussiéreux - un banc souffreteux pour supporter ceux qui allaient communiquer - notre patriarche « Le Rossignol », dont le regard perdu, gueux et nuageux n'arrivait pas à cacher le poids de l'âge, de la maladie et de la misère héritée de la considération que l'on fait de l'artiste camerounais au Cameroun.

Face à cette image et au récit du communicateur, une empathie m'envahit, mais surtout de la colère.

Des sommes minables aux artistes pour leurs prestations
D'aucuns, néophytes et profanes du métier d'artiste musicien (statut professionnel encore non reconnu au Cameroun) se sont empressés de lui jeter la responsabilité de son état actuel, celle de n'avoir pas su gérer sa carrière et tout ce tralala d'idées reçues. Pourtant, ce sont les mêmes qui proposent des sommes minables aux artistes pour leurs prestations.

À l'époque, l'artiste musicien se dévoilait musicalement pour l'amour de la musique, de la culture et pour un certain prestige. L'argent venait au second plan, parfois selon le bon vouloir de l'organisateur, trouvant l'artiste encombrant après que celui-ci ait égayé son évènement. Aujourd'hui, cela n'a pas beaucoup changé d'autant que l'artiste camerounais n'a pas un statut professionnel qui lui octroie des obligations et des droits administratifs liés à toute profession.

Un musicien d'un cabaret quelconque peine à gagner 5000 FCFA par soirée, sachant qu'il joue toute la nuit jusqu'au matin. L'artiste de renom est parfois obligé de faire plusieurs cabarets en une soirée pour essayer de ramener quelque chose de consistant pour sa famille. Une clochardisation malheureusement entretenue par certains organisateurs de spectacles et promoteurs culturels véreux qui réduisent la valeur des artistes à une clownerie, à un objet musical à exploiter.

D'autres en revanche, une minorité, tentent néanmoins de se comporter en gentlemen vis-à-vis de l'artiste, nous leur en sommes reconnaissants.

Quelles sont les sources de revenus d'un artiste camerounais vivant au Cameroun ?
À cette question sous d'autres cieux, on parlerait de droits d'auteurs. 
Mais au Cameroun, ce qui s'offre à nos artistes, ce sont d'abord les spectacles, ensuite le « farotage », et enfin des sponsors privés ou publics, auxquels j'ajouterais les contrats informels liés à la litanie des noms des autorités et autres supposés mécènes, cités dans les chansons. Le droit d'auteur vient malheureusement en dernière position, géré par la SONACAM (Société Nationale Camerounaise de l’Art Musical).

La SONACAM, un gadget de clochardisation ou une société qui défend l'artiste ?
Nous sommes au XXI siècle où le numérique connaît une vitesse exponentielle dans tous les pays du monde. Toutes les grandes entreprises et sociétés qui veulent inspirer le respect dans leur organisation professionnelle sont repérables sur leurs sites internet. Une société comme la SONACAM, censée gérer des milliards n'a pas de site, n'est-ce pas une véritable curiosité pour celle qui a la charge de collecter les droits des artistes sur tout le territoire national pour les répartir ensuite ?! Aucune plate-forme informatique pour pouvoir renseigner les usagers qui résident en province.

De l'informel qui nuit aux codes professionnels. Il y a quelques temps, après pratiquement un an de disette imposée aux artistes, la nouvelle équipe aux six mois de gestion invitait les médias à couvrir la répartition du siècle, 112 millions de FCFA à 1500 artistes. Une insulte de plus. Certains se sont félicités sur cette « avancée » : « c'est déjà quelque chose ». Oh mon Dieu ! Je préfère mettre cela dans la rubrique de l'ignorance et du manque de considération qu'ils ont eux-mêmes de leur profession. On ne peut mieux réclamer ses droits que quand on les connaît. Ce n'est pas une faveur, les œuvres d'esprit n'ont pas de prix.

Une meilleure organisation de la SONACAM rendrait les artistes heureux, j'exclus d'éventuels tripatouillages internes. Ce que je suggérerais à cette société c'est de chercher à s'implanter dans les 10 régions du Cameroun, avec l'objectif d'avoir des ramifications aux niveaux départementaux. Les ¾ des diffuseurs de musique à but lucratif ou pour la publicité de leurs commerces et médias ne paient pas les droits d'auteurs tels : les radios et TV, en dehors de la CRTV (pourtant il est demandé aux artistes ou à leurs promoteurs de payer la promotion de leurs œuvres), les bars, les restaurants, les organisateurs de spectacles, les organisateurs de bals dans les villages, les différents commerces qui diffusent la musique, les taxis…

Imaginez un tenancier d'un bar populaire dont les clients sont majoritairement attirés par les musiques des années 80-90 qu'il diffuse. Il se fait de l'argent par ce biais, mais ne paie aucun droit de diffusion, pendant ce temps, les auteurs végètent. La SONACAM travaillerait également à former son personnel, à former les artistes en organisant des stages de formation pour qu'ils comprennent mieux leurs droits, les différences entre auteur, compositeur, arrangeur, éditeur, interprète, exécutant au studio, etc.

Beaucoup ne savent pas faire cette différence et se donnent le droit de s'arroger par exemple le couple « auteur-compositeur » sans savoir jouer à un seul instrument de musique. Pour les mélomanes et les diffuseurs des musiques qui ne leur appartiennent pas, il me semble important que la SONACAM fasse de la pédagogie via les médias pour expliquer pourquoi ils doivent payer les droits de diffusion. Certains oublient de lire ce qui est écrit sur les CD originaux : « Tous droits réservés », la diffusion n'étant autorisée que pour une utilisation privée et non commerciale.

Le statut social de l'artiste validé par le ministère de tutelle, la SONACAM devrait accélérer sa mise en place par les faits. Il n'est pas normal que nos patriarches déjà amortis par les maladies et le poids de l'âge, non seulement ne bénéficient d'aucune retraite, soient encore obligés d'arpenter les murs des cabarets tous les week-ends, comme les jeunes artistes ayant encore toute leur force, pour se faire un peu d'oseille.

L'artiste camerounais, complice de sa propre précarité
Je ne saurais mener cette réflexion sans égratigner l'artiste camerounais qui a sa part de responsabilité dans sa situation actuelle. Chaque corps de métier, ou profession, a besoin d'être défendu par les siens, c'est un combat permanent, d'où l'importance des syndicats.

Mais les artistes camerounais ne défendent pas solidairement leur profession, ils défendent plutôt individuellement leurs biftecks, selon les accointances avec tel ou tel dirigeant politique, et de la société des droits d'auteurs, où sont mêlés corruption, tribalisme, égoïsme, aigreur, népotisme et tout ce qui peut nuire à la valeur de cette noble profession.

Les énergies et les forces revendicatives dispersées s'affaiblissent et se neutralisent, face à la principale cible qui est le respect des droits de chaque artiste.
Le contexte socio-politique actuel s'y mêlant, certains artistes, au lieu de se battre unanimement pour leurs droits, préfèrent ouvrir la voie au syndrome de Stockholm, déifiant le système qui les broie tout en se pavanant avec des petites pancartes sur lesquelles ils s'infantilisent avec des termes : « Papa, tes enfants ont faim », « Ne nous oublie pas dans ta magnanimité », etc. On ne peut revendiquer ses droits à quelqu'un à qui on voue un culte de la personnalité, cela nous plonge dans la dialectique du maître et de l'esclave où l'esclave ne vit qu'au dépend de son maître.

Le ministère des Arts et de la Culture ne sert que de tutelle à la SONACAM qui doit rester autonome. L'artiste n'a pas à faire le tour des bureaux de ce ministère pour réclamer son dû, sa maison est la SONACAM qui normalement aurait dû par exemple, réclamer des mesures d'accompagnement liées aux mesures sanitaires de la Covid-19. Une somme de 180 milliards de FCFA avait été allouée par le FMI, pour la riposte contre le Covid-19.

Aucun centime n'a été versé aux artistes pour pallier aux différentes restrictions, annulation des spectacles, fermeture des cabarets et autres sources de revenus, les enfonçant encore dans une plus grande précarité dans laquelle ils sont déjà plongés. Ils sont rares, ceux d'entre-deux qui ont osé s'en émouvoir publiquement, avec cette peur paranoïaque d'être catalogués d'opposants, d'anti-patriotes ou d'anti-modèles par les distributeurs de bons et de mauvais points.

Cette attitude s'observe également avec le Covidgate, où les langues ne se délient que dans des salons familiaux et amicaux, portes et fenêtres closes. Monter sur un podium pour exprimer son talent d'artiste n'est pas du tout aisé, c'est un travail de longue haleine, ce sont des sacrifices énormes. Ce n'est pas un champ ouvert à tout le monde. Il faudrait avoir des capacités artistiques soutenues pour le faire. Cela mérite un respect que l'artiste lui-même doit inspirer par sa manière d'être et la valeur qu'il souhaite incarner.

L'artiste camerounais doit prendre conscience de sa place importante et inégalée dans la cohésion sociale, de son apport thérapeutique dans le psychisme, la psychologie et le moral des populations. Pour cela, il mérite un salaire conséquent. Il doit savoir que revendiquer ses droits ne s'apparente pas à une offense vis-à-vis de quelqu'un ou d'une autorité. La vie est un perpétuel combat où chacun s'active à tirer la couverture de son côté, il faut donc se battre.

À défaut, que les attentistes et les jansénistes s'attendent à subir stoïquement le marteau des injustices qu'ils accueillent langoureusement, en espérant recevoir un copeck des mains méprisantes d'un mélomane.

Cameroun : l'artiste musicien est un millionnaire qui s'ignore



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