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AFRIQUE

Centrafrique : Des Partis politiques évoluant vers la démocratie


Alwihda Info | Par Léon Kidjimalé Grant - 11 Octobre 2013


« Tant que notre démocratie, calquée sur le modèle occidental, n'est pas reformulée en fonction de notre vécu quotidien (car en Afrique centrale par exemple, l'individu s'identifie d'abord à sa communauté de base, à sa région avant de penser "nation"), les "élections" auxquelles nous convieront les politiques accoucheront toujours de l'instabilité, dégénèreront en exacerbations des identités. »


Centrafrique : Des Partis politiques évoluant vers la démocratie
Constat suivi de Réflexions et Propositions

Par : Léon Kidjimalé Grant

Dans le numéro de la revue « Le Point », n°2141 du 26 septembre 2013, page 56, le journaliste Emmanuel BERRETA rend compte du livre « Vive l'Allemagne » d'Alain Minc. L’auteur s'insurge contre la germanophobie et les clichés antiallemands très répandus dans l'Hexagone. C'est la thèse du livre.

Ce qui a retenu mon attention est ceci : « Même si son modèle n'est pas transposable chez nous, dit M. Minc, dans l'interview, l'Allemagne est en réalité une formidable démocratie. C'est nous qui avons des leçons à prendre »

Nous autres Africains, (comme je l'avais fait remarqué dans une tribune précédente « L'homme Noir et les religions importée »), nous ne sommes point tenus de faire du » copier/copier » en tout, notamment en matière de démocratie. S'évertuer à faire fonctionner nos partis politiques exactement sur le modèle français, c’est faire preuve d’un manque de bon sens le plus élémentaire. L'histoire de la France n'est pas celle de la R.C.A. Certes, en tant qu'ancienne colonie, son influence sur nos Institutions régaliennes est certaine. Mais le modèle démocratique, lui, ne peut découler que des réalités sociologiques et communautaires de nos populations. Cette démocratie a deux décennies. A cet âge de sa croissance, l’on doit penser à préparer la’ ou les) voie (s) de sa maturité. Notre cheminement ne peut qu’être spécifique. Malgré les velléités des esprits abrupts, nous avons montré, par exemple que la Constitution centrafricaine ne doit point être violée pour faire la volonté d’un potentat. Notre vigilance et la mobilisation a permis grâce au F.A.R.E. de nous opposer à la volonté de M.Bozizé et Ses sbires pseudo-intellectuels.

Des Partis politiques en Centrafrique

« Tant que notre démocratie, calquée sur le modèle occidental, n'est pas reformulée en fonction de notre vécu quotidien (car en Afrique centrale par exemple, l'individu s'identifie d'abord à sa communauté de base, à sa région avant de penser "nation"), les "élections" auxquelles nous convieront les politiques accoucheront toujours de l'instabilité, dégénèreront en exacerbations des identités. »

Cette analyse, est celle d’un compatriote politiquement affermi, et qui a de longues années d’activisme derrière lui.

Nous savons tous à quel point il nous est difficile de fonder un parti à partir d’une orientation idéologique. Souvent, malheureusement ces partis sont marqués d’un seau ethnique, comme je l’avais fait remarquer par ailleurs. S’ils ne doivent pas tout simplement être destinés à servir de tremplin personnel à un homme pour exister politiquement dans la Cité !

Il nous appartient, aussi de repenser nos partis durant cette période de transition vers le rétablissement de la démocratie. Mais en tenant compte de cette pierre d'achoppement que constituent nos ethnies, qui exerce une pesanteur tribale visible à l’œil nu sur nos partis politiques dans leur ensemble. Nous ne devons plus nous voiler et dire «circulez, y a rien à voir. Car par une

telle attitude, nous légitimons l’état crypto-tribal, qui émerge systématiquement. Cette situation qui dure depuis plus d’une trentaine d’années nous a tous choqués et interpellés.

Les grands partis doivent montrer l’exemple, et entamer leur mue. Il en va de l’avenir de la Nation. Nous avons tous vu comment M. Djotodia a confié des ministères importants à ses proches sur le plan ethnique. Il a été à « bonne école ». Chaque groupe ethnique attend son tour pour aller manger. Puissions-nous y mettre fin. Et cela ne se fera pas tout seul. Des remises en cause intellectuelles et individuelle sont nécessaires. Il est du devoir du Chef de l’Etat actuel et du C.N.T. de l’impulser, et faire de transition une période de Renaissance véritable. En quelque sorte, nous avons par la transition l’opportunité d’une nouvelle donne démocratique, et une occasion pour vaincre nos démons …

Après cette période, qu’on le sache, plus rien ne sera comme avant !

Il n’y a pas plus dangereux qu’un individu ou un groupe d’individus désespérés, n’ayant plus rien à attendre ou à perdre dans la Cité !

Les hommes politiques se sont disqualifiés récemment encore quand, à court d’idées, de vision peut-être, de maturité sûrement, ils ont appelé à la dépendance, à la mise sous tutelle, la mise sous contrôle total de l’étranger de la R.C.A., leur propre pays ! Ils n’ont jamais pu exorciser leur penchant crypto-ethnique, qui les a rendu incapables d’opérer des choix d’individus compétents en dehors de leur champ.

Des malaises sciemment entretenus

La montée en puissance du phénomène « anti-balaka » que certains veulent récupérer, témoigne à suffisance de ce malaise, de la défiance du peuple profond à l’égard non seulement du pouvoir SELEKA, mais de tous les pouvoirs, la remise en cause de cette démocratie de façade, la déconstruction de la politique de prédation. Le paysan veut prendre son destin en main.

En conséquence, la nouvelle démocratie doit s’attacher à repenser le vouloir-vivre ensemble dans la mesure où jusqu’à présent, il a toujours été demandé à des individus pourtant adossés à des valeurs socioculturelles et politiques spécifiques à prouver leur aptitude à intégrer la nation postcoloniale, voire à faire montre de loyauté, écrit le Professeur Simon-Pierre EKANZA1, envers la Patrie, donc à se soumettre au nouveau pouvoir qui s’est substitué à l’ordre colonial dans la même logique de domination ; faute de quoi ils seraient décrétés inassimilables et bannis de l’espace politique national(5). Ce fut une voie sans issue. [C’est facile a posteriori de déclamer péremptoirement que nos frères et sœurs de N’Délé, de Ouadda, de Ouadda-Djallé, de Gordil, de Birao, coupés du reste du pays depuis des lustres faute de voies de communication praticables, qu’ils ne parlent pas le Sango (la langue nationale), alors que personne n’a été dans ces contrées pour leur apprendre cette langue, ni pour leur témoigner la solidarité quand ils sont quotidiennement confrontés aux hordes de pillards en provenance du Soudan ou du Tchad voisins. Cette région ne doit pas être notre »Afghanistan », toute chose étant égale par ailleurs, les islamistes qui sont présents dans Séléka, savent l’avantage qu’ils ont à maintenir cette frange de la population dans l’indigence et l’analphabétisme chroniques. Comme l’a souligné le jeune Malala : « Un livre, un professeur, un enfant, un stylo peuvent changer le monde ».

Aucun politique ne s’’est hasardé dans l’extrême-Est pour échanger avec nos frères et sœurs d’Obo, de Bambouti qui, en désespoir de cause se sont tournés vers le Soudan du Sud au point d’utiliser dorénavant non le franc CFA, mais la Livre soudanaise. Parce que :

1 (5)

– Les « Centrafricains » ne se reconnaissent pas dans ce « pacte républicain » qui réifie leur personnalité profonde. Le vouloir-vivre ensemble ne saurait masquer l’expression d’un asservissement pluriel, consistant à détacher l’individu de son environnement communautaire, pour en faire un « zombie » acceptant son rôle de dominé, d’acculturé. Car accepter une telle intégration (la dissolution de l’être dans un cadre abstrait et étranger) revient à accepter son statut de citoyen de seconde zone. En conséquence, les partis politiques doivent entamer leur mue. Les visions élaborées à partir des concepts tels que la droite, le centre, la gauche et autres n'ont pas de réalités véritablement sociologiques en R.C.A. Ce qui ne signifie pas qu'un parti ne puisse avoir de telles orientations ; notre société souffre d'un manque de réalisations concrètes. Donc, il convient de penser toute orientation à partir de projets de développement de région à région, en tenant compte de leurs spécificités, de cette valeur essentielle qu'il faut encourager qui est l'altérité !

– Qu'est-ce-que c'est ?

C'est l'acceptation de la différence. C'est le rapport à cet autre qui est différent de nous. [Comment penser, en ces temps de troubles, le semblable et le dissemblable, ce que la diplomatie russe qualifie de « proche étranger » ?] L'altérité s'oppose donc à « Ti mo si ». Elle invite à la prise en compte de cet autre nous-mêmes. Elle conduit un individu, élément d'une communauté ethnico-régionale à la découverte de l'autre, à l’ouverture sur l’autre et de son univers de valeurs et de pensées. La communauté nationale se construit à partir d'une réalité sociologique grâce à une prise de conscience. Il faut une volonté politique pour l'encourager et l'accompagner. Les slogans ne riment à rien. Il faut de la substance. Il s'agit d'un défi, et faire de la politique, c'est s'engager dans une voie de défis, pour faire de ce qui n'était qu'un rêve, une réalité, bref, « L'invention du possible. »

Le seul maître-mot c’est la confiance entre les uns et les autres, pour construire la Maison commune. Elle (la confiance) s’élabore. Elle se construit avec de la patience. L’altérité, même la Bible la recommande ; « tu aimeras ton prochain, comme toi-même… » Cette valeur a été l’élément manquant (opposé à Ti mo si) et structurant dans l’épistémè (ou le logiciel mental) du centrafricain lambda. Donc il nous tarde de nous l’approprier, chacun. Nous avons beaucoup de peine voire de la jalousie pour nous réjouir de la réussite ou de partager la joie des autres. L’Autre, nous-mêmes !

– Nous nous plaignons tous, du manque de patriotisme.

Avec raison, car patriotisme et altérité vont de paire. Une communauté nationale forte et unie, tient à « Sa Maison commune : la Patrie. ». Les enfants ne mettront pas le feu à la maison paternelle. Mieux, ils la défendront au péril de leur vie...

- La politique « assimilationniste » ou « intégratrice » (unité nationale) a induit de nombreuses inégalités et discriminations puisqu’elle sert plus un idéal que les individus. Comment peut-on prôner l’égalité d’accès aux droits et aux devoirs de la République sans en offrir aux intéressés les moyens politiques et institutionnels ? Qui doit être intégré et à quoi ? Les exclusions, les nationalismes ethniques suscités ici et là, empêchent l’avènement d’un Etat-nation unificateur car celui-ci s’opère contre des individus et les communautés auxquelles ces derniers demeurent attachés : la tribalité n'est pas le tribalisme !

De même, il est illusoire de prétexter le morcellement ethnolinguistique de la R.C.A. pour justifier a priori les « bienfaits » de la centralisation excessive de l’espace -national, censés éradiquer ce que certains qualifient de « tribalisme » et qui continue à saper les fondements de la

communauté nationale. Le tribalisme détruit et détruira encore si nous laissons nos partis en l’état. L’illusion d’un quota ethnique caressée par certains est tout aussi discriminant et n’encourage point l’engagement citoyen, indispensable à toute émulation démocratique. Une solution consiste, à mon humble avis, à lever le tabou. Il ne doit nous paraître naturel, vu la jeunesse de notre culture démocratique, de voir un Nordiste militer au M.L.P.C. ou au K.N.K. Un centrafricain de l’Est, militer au R.D.C. etc.

D’abord rassembler son camp, puis sa région, et enfin grâce à des projets spécifiques de développement par région, convaincre nos compatriotes ! Nous avons là, une méthode saine et tout à fait adaptée à l’état de conscience de nos compatriotes. Ce sont les promesses tenues ou non tenues qui établiront ou non la confiance.

Le taux d’analphabétisme est élevé en R.C.A. Les structures scolaires et les infrastructures économiques, héritées de la colonisation sont vétustes2. Nous ne pouvons, en toute logique et bon sens, espérer que les rassemblements ou regroupements politiques se fassent sur la base des idées pour le centrafricain lambda. C’est faire preuve de cécité intellectuelle, ou de duplicité voire faire perdurer le crypto-tribalisme au sein de l’état, et nous savons tous où cela nous a conduits jusqu’à présent ! Il faut poser des axes, pour que notre démocratie évolue et que les esprits murissent pour que les choix politique se fassent un jour massivement à partir des idées prenant en compte le progrès de la nation, comme elle se déroule dans les grands pays. Mais il faut du temps et de la pédagogie. Comme soutient Antonio Gramsci, « les structures économiques conditionnent la superstructure intellectuelle ». Autrement dit, faisons développer notre pays sur le plan économique et culturel, nous arriverons à faire évoluer les mentalités et les intelligences.

3) Ce faisant, l’on feint d’ignorer qu’en dépit de la mosaïque des langues et des ethnies, la République centrafricaine n’est constituée en réalité que par trois ou quatre grandes aires culturelles, et à l’intérieur de chacune d’elles, les populations arrivent à se comprendre, à s’échanger les produits, bref à tisser des liens de solidarité.

Cette disposition peut faire l’objet d’un référendum, si toute fois les partis politiques persistent à retarder l’émergence d’une nouvelle démocratie dans notre pays.

Il appartiendra au Chef d’Etat de transition, Président de la République, au gouvernement et au C.N.T. de faire évoluer les idées et consolider la communauté nationale.

De ce qui précède, il vient que l’on doive donner la parole ou non aux politiques qui s’obstinent, sous le couvert d’une uniformisation étatique centralisée, à défendre leurs intérêts, mais aux « Centrafricains » pour débattre de leur devenir. Comment bâtir l’Etat nouveau capable de préserver à la fois la cohésion nationale et la pluralité politique et socioculturelle ? Parce que les stratégies poursuivies non seulement sont incapables d’enrayer les dérives ethniques et régionalistes, mais ont bien au contraire creusé le fossé entre les communautés nationales marginalisées par le fait et par le droit(2) et le personnel politique qui use et abuse de l’idéologie etato-nationale .

La Centrafrique doit renaitre plus forte. La situation actuelle ne doit point plomber la réflexion pour un avenir meilleur.

Patriotiquement, Léon K. Grant.

Les références :

Simon-Pierre EKANZA, « L’Etat-nation, contre-modèle pour la construction nationale en Afrique », in DUBOIS (Co-lette), MICHEL (Marc), SOUMILLE (Pierre), Frontières plurielles, Frontières conflictuelles en Afrique subsaharienne, Actes du colloque « Etats et frontières en Afrique subsaharienne » organisé par l’Institut d’Histoire Comparée des civi-lisations, Aix-en-Provence 7 au 9 mai 1998, Paris, L’Harmattan (Publication de l’Institut d’études africaines), 2000, , 460 p, p 263-279.

(2)(2) V. Jean-Marie BELORGEY, « L’Etat injuste », in Marie-Anne FRISON-ROCHE et William BARNES (dir.), De l’injuste au juste, Actes du colloque organisé les 27 et 28 janvier 1995 sous le haut patronage du Ministère de la Justice, Paris, Editions Dalloz, « Thèmes et commentaires », 1997, 126 p, p 63-67.

(5)(5) Lire Norbert ELIAS, La Dynamique de l’Occident, traduit par Pierre KAMNITZER, Paris, Calmann-Lévy, 1975, en particulier les pages 8 et suivantes consacrées par l’auteur à l’intégration forcée, sous le régime de LOUIS VI (1108-1137), de la Maison de Montlhéry aux domaines relevant de la dynastie des Capétiens.

(3)(3) V. Claude MOFFA, « L’ethnicité en Afrique : implosion de la question nationale après la décolonisation », Politique africaine, n° 66, juin 1997, p 101-114.

(2)(2) V. Jean-Marie BELORGEY, « L’Etat injuste », in Marie-Anne FRISON-ROCHE et William BARNES (dir.), De l’injuste au juste, Actes du colloque organisé les 27 et 28 janvier 1995 sous le haut patronage du Ministère de la Justice, Paris, Editions Dalloz, « Thèmes et commentaires », 1997, 126 p, p 63-67.

(3)(3) Pour Jacques de BARRIN, ce sont des gens qui « ont simplement su saisir, par calcul politique, une opportunité qui s’offrait à eux de se maintenir au pouvoir, d’y accéder ou d’y revenir… (en somme) des dirigeants dont le comporte-ment quotidien mêle souvent autoritarisme, incompétence et corruption, mais qui ont, néanmoins, pour eux le mérite d’être des élus du suffrage universel… et le tort d’en abuser » V. Jacques de BARRIN, « Abus de pouvoir sous couvert de légitimité populaire », Le Monde du 28 mai 1996, p 2.

- Quel Autre ? - l'Altérité en question. Par Pierre Ouellet et Simon Horel

– La nouvelle revue théologique n°131/3 ( 2009) page 179.* : Homme et Femme – l'altérité fondatrice.

– L'altérité, vivre ensemble différents.

; Approche pluridisciplinaire ; Actes du colloque Pluuridisciplinaire tenu l'occasion du 75ème anniversaire du Collège Dominicain de Philosophie et de théologie ; Ottawa 1974.

– Homme et Femme : l'altérité fondatrice., Collection Recherches morales.
Paris Cerf 2008.



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