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Charlie: La survivante Sigolène Vinson fait un terrifiant


Alwihda Info | Par L'Obs - 13 Janvier 2015


Par Laura Thouny
Publié le 13-01-2015


La chroniqueuse judiciaire explique avoir soutenu le regard de Saïd Kouachi : "Si je le quittais des yeux, il tirerait", raconte-t-elle.


Un récit insoutenable. Sigolène Vinson, chroniqueuse judiciaire de "Charlie Hebdo", a été épargnée par les tireurs lors de l'attaque de l'hebdomadaire satirique. Dans un témoignage au "Monde" (édition abonnés), elle sort de son silence pour raconter ces quelques minutes qui ont tout fait basculer dans l'horreur.

Ce matin-là, Charb, Cabu, Honoré, Tignous, Wolinski, Bernard Maris, et les autres se trouvent autour de la table de conférence, raconte-t-elle au quotidien. L’invité de la rédaction, Michel Renaud, "est assis sur une chaise dans un coin de la pièce." Mustapha Ourrad, le correcteur, est dans son bureau, de même que Simon Fieschi, le webmaster, et Angélique, la femme chargée de l’accueil. Il y a aussi Lila, le petit chien de l'équipe, qui gambade de l'un à l'autre. Luce Lapin, la secrétaire de rédaction, "s’apprête à quitter la salle".

"Personne n'a crié"

A cet instant précis, raconte Sigolène Vinson, "on a entendu deux 'pop'. Ça a fait 'pop pop'". "Les deux balles ont perforé les poumons de Simon Fieschi", hospitalisé dans un état grave et aujourd'hui hors de danger, explique "Le Monde". Leur collègue et ses assaillants étant hors de leur champ de vision, les journalistes croient toutefois brièvement à des pétards. Mais la jeune femme voit le policier chargé de la sécurité de Charb, Franck Brinsolaro, porter la main à sa hanche à la recherche de son arme. "Je me suis jetée au sol", dit-elle. Elle rampe alors en direction du bureau de Luce et Mustapha. Puis elle entend un homme crier "Allahou akbar". Et demander : "Où est Charb ?"

Les coups de feu se poursuivent : "Ce n’était pas des rafales. Ils tiraient balle après balle. Lentement. Personne n'a crié. Tout le monde a dû être pris de stupeur." Elle voit les pieds de son collègue Mustapha "au sol". Puis un homme cagoulé la met en joue.

"Tu liras le Coran"

Je l’ai regardé. Il avait de grands yeux noirs, un regard très doux."

"J’ai senti un moment de trouble chez lui, comme s’il cherchait mon nom. Mon cerveau fonctionnait très bien, je pensais vite [...]". Saïd Kouachi lui dit : "N’aie pas peur. Calme-toi. [...] On ne tue pas les femmes. Mais réfléchis à ce que tu fais. Ce que tu fais est mal. Je t’épargne, et puisque je t’épargne, tu liras le Coran." A "Marianne", elle explique qu'elle a voulu témoigner pour expliquer qu'on ne lui a pas fait réciter le Coran, contrairement à ce que sa collègue Caroline Fourest a affirmé : "Je vois mal comment j’aurais pu réciter le Coran…"

Je trouvais assez cruel de sa part de me demander de ne pas avoir peur [...] Il n’avait pas le droit de dire ça."

"Elle ne quitte pas son agresseur du regard", tente de "garder un lien, un contact", pour protéger son collègue Laurent Léger, caché près d'elle dans le bureau du policier. "Je savais, au fond de moi, qu’il fallait que je continue à le regarder. Si je le quittais des yeux, il tirerait. Peut-être qu’il a vu mon humanité et que ça l’a déstabilisé. Les autres, mes amis, il ne les a pas regardés avant de les tuer", ajoute-t-elle auprès de "Marianne".

"Venez vite, ils sont tous morts"

Puis les frères Kouachi quittent la pièce. Sigolène découvre Philippe Lançon, journaliste à "Libération" et à "Charlie Hebdo", "le bas du visage arraché" - il est sorti d'affaire depuis. Elle enjambe les corps de ses collègues pour récupérer son portable dans son manteau. Appelle les pompiers : "C’est Charlie, venez vite, ils sont tous morts", répète-t-elle, avant de tenir des propos "incohérents" aux proches qui lui téléphonent, en état de choc.

Elle aide Fabrice Nicolino, touché aux jambes et à l'abdomen, "assis dans une mare de sang". La dessinatrice Coco, qui a été contrainte de taper le digicode du journal sous la menace d'une arme, prend soin de Philippe Lançon. Patrick Pelloux, urgentiste et chroniqueur à "Charlie" apparaît alors dans la pièce, venu en hâte au secours de ses amis, se penche sur le corps de Charb, et constate le décès de "son frère". Les pompiers arrivent. C'est seulement alors que Sigolène s'aperçoit qu'il y a "des vivants". "Que toutes les femmes, en dehors d’Elsa [Cayat], sont vivantes." Elle y compris.

L.T.

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