EDITORIAL

EDITO/Crimes sexuels des SANGARIS : Centrafricains, buvez le calice jusqu'à la lie


Alwihda Info | Par Eve Malonga - 6 Janvier 2017


Eve Malonga

BANGUI (LNC) – "J'attendais des informations de la part de la France sur ces allégations de viols de nos enfants par des soldats de la Sangaris", déclarait Touadera. Il peut attendre longtemps. Et en tant que le président de service, qu'à t'il dit au peuple centrafricain à ce propos ? Rien ! Il poussait même le vice jusqu'à implorer Hollande à maintenir les Sangaris en RCA. Un comble !


Il y a quelques années, la Belgique très courageusement ouvrait une enquête parlementaire sur la responsabilité de ce pays sur le meurtre de Patrice Lumumba, le charismatique leader congolais de la fin des années 50/60. Enquête qui aboutira à la responsabilité morale de la Belgique dans son crime. Lumumba fut assassiné par la CIA américaine, avec la complicité des belges. Ce fut reconnu officiellement.

Aucune chance de voir la même chose avoir cour en France. Et pourtant, en matière de crimes d'état en Afrique, la France n'a de leçons à recevoir de personne.

Jamais ce pays ne s'est autorisé le moindre examen de conscience sur ses multiples assassinats, des qui le dérangeaient en Afrique francophone. Et pourtant, de toujours parader en se déclarant être le pays des Droits de l'Homme. Coloniser était une mission civilisatrice. La culpabilisation, connaît pas !

Aujourd’hui, dans ce dossier de viols de ses soldats sur des mineurs en RCA, une fois de plus, elle prend la tangente, en refusant d'assumer. Et pourtant, ceci se passe sous un gouvernement de gauche !

Pour autant que la justice française ait enquêté sérieusement dessus, ce dont nous avons toujours douté, et continuons de l'être, car sans éléments à disposition, elle n'avait aucune chance d'aboutir à quoi que ce soit, étant entendu qu'à chaque cas de viol connu, l'armée française s'arrangeait pour effacer les traces et exfiltrer immédiatement les coupables.

QU'A TRAITE LA JUSTICE FRANCAISE ?

De la bouche même d'un fonctionnaire de la MINUSCA à Bangui, se confiant sous anonymat à LNC, les cas d'allégations de viols de mineurs par des Sangaris dépasseraient le chiffre de 300 depuis 2013, notamment dans des zones comme Dekoa. Or ceux parvenus aux nez des juges à Paris n'excèdent pas la vingtaine.

Les enquêtes se sont arrêtées le 20 décembre dernier, et les juges d’instruction avaient rendu leur « avis de fin d’information », et n’avaient prononcé aucune mise en examen.
Une enquête préliminaire (procédure non contradictoire), avait été ouverte par le parquet de Paris en juillet 2014 pour « viols sur mineurs par personne abusant de l’autorité de ses fonctions », et avait débouché sur une information confiée à des juges d’instruction en mai 2015. Trois dossiers supplémentaires y seront joints, l’un concernant un frère et une sœur dénonçant des fellations, les deux autres des mineures victimes présumées de viol et viols en réunion. Les juges en final n’ont trouvé aucun élément pour poursuivre.

Une deuxième enquête préliminaire conduite par le parquet a elle aussi été classée, le 20 novembre 2016. Ouverte en septembre 2015 pour des faits de « viol par personne abusant de l’autorité de ses fonctions », commis à Boda en Lobaye, elle concernait une jeune fille de 16 ou 17 ans, qui avait dit avoir d’abord consenti à un rapport avec un militaire avant d’être agressée. Tombée enceinte, elle demandait une recherche de paternité.

Plusieurs autres plaintes pour des cas d’agressions sexuelles ont été classées ou sont en voie de l’être selon les sources judiciaires, sans que leur nombre soit communiqué.

Une troisième enquête préliminaire visant des soldats français est toujours en cours, ouverte elle pour « agression sexuelle » en mars 2016. En marge de ces faits, qui se seraient produits à Dékoa, entre fin 2013 et 2015, des Français là ont été accusés d’une agression zoophile.

Les non lieux prononcés sont juridiquement parlant normaux et logiques. Les dossiers ayant été méthodiquement vidés de leur contenu par le ministère de la Défense, sur instructions de François Hollande lui-même, ayant décidé de classer toute cette affaire : "SECRET DEFENSE". Le peu qui a perlé est inexploitable juridiquement.

IL FAUT SAUVER LE SOLDAT SANGARIS

Le sujet n'est pas de faire de l'anti-français primaire, la France s'en occupe déjà elle-même et plutôt bien, mais de constater à nouveau, une pratique coloniale débridée, méprisante et sans morale; celle de toujours la loi du plus fort, comme aux pires moments de la colonisation française en Oubangui-Chari, où les colons y exercèrent les pires atrocités de tous les territoires colonisés.

L'ancien ministre Jean-Pierre Chevènement dans une déclaration légitimait les viols des enfants centrafricains par des Sangaris, disant "qu'il fallait comprendre ces hommes, avec tout ce qu'ils ont subi". En plus clair, violer des enfants était un défouloir naturel pour ces soldats traumatisés.

L'enquête approfondie de notre partenaire MEDIAPART, que LNC a repris, est suffisamment éloquente, pour qu'il ne faille encore épiloguer dessus.

Le président français François Hollande, lors de son dernier et court séjour à Bangui, attendu sur le sujets des accusations de viol, n'avait à la bouche que l'honneur de son armée, et surtout pas un mot pour les victimes de sa si belle armée. Et il ne fallait pas attendre de Touadera le courtisan pour lui porter la contradiction.

Ce ne sont pas des enfants américains, ou chinois, ou russes qui ont été violés, mais de simples centrafricains, des invisibles en quelque sorte, ou pour reprendre le mot du président : "des sans dents", signifiant tout son mépris des pauvres.

Enfin, après de longs et longs mois de silence, la société civile centrafricaine commence à réagir et à s'indigner, déclaration de Maitre Mathias Morouba, le président de l'Observatoire Centrafricain des Droits de l'Homme sur les non lieux accordés aux soldats de la Sangaris accusés de viols sur mineurs :

"[..] Nous ne partageons pas malheureusement le point de vue de cette justice. Nous estimons qu'encore aujourd'hui, il y a des victimes qui sont à Bangui, et qui attendent que justice soit rendue. Les moyens doivent être mis à disposition pour permettre à ces victimes de s'exprimer. C'est ce que nous déplorons. De même, l'Etat centrafricain doit s'impliquer dans cette affaire, car il s'agit de l'exploitation d'enfants centrafricains par des militaires de la Sangaris, qui sont des français, qui viennent ici dans une mission, et qui outrepassent leur mission pour faire n'importe quoi sur de petits enfants de notre pays. Nous ne pouvons pas accepter cela. Nous sommes en train de nous mobiliser par rapport à cette situation, et nous pensons que la justice (française), si elle estime qu'elle n'a pas d'éléments de preuve, nous ici, il y a les victimes à Bangui. Il y a ce que l'on appelle la commission rogatoire qui peut permettre de revenir sur cette décision. Et nous attendons que l'on nous notifie cette décision là aux victimes centrafricaines."

© Janvier 2016 – LAMINE MEDIA

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