ANALYSE

Patrimoine et traditions : l’impact de l’Obom au Cameroun


Alwihda Info | Par Brigitte Nga Ondigui, historienne de l'art. - 18 Mai 2023


Le don d’ubiquité du tissu d’écorce battue et ses multiples nominations laisse penser que, dans une perspective historique, les ressemblances l’emportent souvent sur les différences. A la faveur du Symposium International Mémoire et Patrimoine au Cameroun qui s’est tenu à Yaoundé, l’universitaire Brigitte Nga Ondigui revisite nos traditions à travers l’Obom.


En 1979, le psychologue américain James Jérôme Gibson démontre que dans un contexte de grandes potentialités d’actions qu’offre notre biotope, l’homme a toujours cette capacité à transformer son environnement.

Dans cette optique, au Cameroun méridional, le milieu forestier dans lequel a toujours vécu le peuple Ekang a influencé sa façon de vivre. Il tire l’essentiel des matériaux utiles pour bâtir son logis, pour concocter ses plats, pour structurer son système de santé et pour confectionner ses vêtements. La production de ces vêtements implique l’utilisation d’essences forestières spécifiques, pour en faire des textiles résistants. Parmi ces textiles authentiques, nous avons le tissu végétal tiré d’écorce battue, obom. Ses utilisations sont disparates et offrent une impressionnante palette de motifs aussi bien figuratifs que totalement abstraits.

La question fondamentale que l'historienne de l’art met au centre de son travail, est de savoir quel impact l’obom a sur l’environnement socioculturel au Cameroun. Elle ambitionne d’une part, de mettre en lumière l’acception du concept obom tout en le replaçant dans son contexte écologique ; et d’autre part, de présenter sa place dans le passé des peuples de la forêt comme dans le contexte actuel.

Obom : essai de définitions et particularités
Le contexte écologique qui prévaut dans la zone du Cameroun méridional a permis la mise en place des données naturelles aptes au processus de production de l’obom et de ses produits connexes. Produit de l’écorce des moracées, battue au préalable, le tissu végétal obom est une forme vestimentaire chez les anciens Ekang. C’est le textile végétal qu’arboraient naguère les aïeux des populations de la partie méridionale du Cameroun, soit en cache-sexe soit en pagne. Du point de vue exclusivement étymologique, le mot obom vient du verbe bôm, signifiant taper, battre, frapper Le nom est né de la technicité, et renvoie à la technique de la fabrication du tissu. Dans cette optique, l’obom est le tissu obtenu grâce à la « frappe. Obom renvoie également à la technique de réalisation, de fabrication des objets à partir de ce textile végétal. Le concept recouvre encore le sens de « entre les jambes ».

L’obom est un patrimoine culturel national précieux que l’on doit promouvoir et valoriser. Le tissu d’écorce battue à ce don d’ubiquité d’être en même temps en Afrique, Océanie, Amérique du Sud, Centre, chez les populations autochtones du Canada et pas exclusivement au Sud-Cameroun, comme nombreux tendent à le croire. Vénice et Alastair Lamb dans leurs écrits en 1981, faisaient déjà allusion à l’étoffe d’écorce battue, comme prémices de l’étoffe ndop dans les Grasslands. En effet, ils dévoilent que cette étoffe d’écorce décorée en bleu grâce à une technique de peinture de réserve en provenance de l’Indonésie, serait le premier textile à être largement utilisé dans la région où l’on trouve actuellement la localité Ndop au Cameroun.

A l’Est de l’Afrique autant, singulièrement au sud de l’Ouganda, il est fabriqué le tissu d’écorce pour la famille royale Baganda et le reste de la communauté. Depuis novembre 2008,"La fabrication des tissus d’écorce en Ouganda" figure sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’Humanité. C’est donc présenter l’omniprésence de cette technique, matériau qu’on utilise un peu partout, malgré la multiplicité de ses désignations. En République démocratique du Congo, en territoire Utiri, l’écorce est révélée sous les patronymes pongo, murumba, lengbe qui a des déclinaisons phonétiques chez les Yambassa au centre du Cameroun : lenge, qui veut dire se vêtir. En Indonésie, il est connu sous le patronyme daluang ou dluwang. Dans de nombreuses autres zones, le nom tapa est courant. Le don d’ubiquité du tissu d’écorce battue et ses multiples nominations laisse penser que, dans une perspective historique, les ressemblances l’emportent souvent sur les différences.

Le textile dans le passé comme dans le contexte actuel
Nous pensons qu’aborder ce volet revient à faire un panorama de son acceptation en contexte Ekang avant, pendant la période occidentale et après la période des indépendances.

Une fois que les mouvements migratoires prirent fin vers la fin du XIXème siècle, les populations vont se sédentariser. La forêt représentait pour les populations Ekang un monde nouveau. Etant de tradition semi-nomade, ils allaient trouver des palliatifs pour s’y accommoder. Dans leur nouvelle situation de sédentaires, ils allaient exploiter la nature particulièrement riche de la forêt ; leurs logis sont alors entièrement faits de matériaux tirés dans la forêt : boue argileuse pour les murs, feuilles de raphia tressées pour les toits, branches de raphia et branches d’arbres.

Même l’habillement était le produit de cette forêt. Les plus âgés se contentaient de cache-sexe fait d’écorce et soutenu par une liane, l’obom. Il est évident que pour se vêtir, l’homme ne peut utiliser que ce qui existe dans son environnement immédiat. La fonction symbolique de ce tissu était certainement de maintenir l’existence d’un lien. Les textiles en Afrique selon Michèle Coquet, créent un lien fondamental entre l’homme et le monde. Lien de la tradition, bien sûr celle d’un passé lointain où les hommes étaient plus proches des dieux, lien avec le monde de la nature où les hommes cherchent à se fondre et entre les différents âges et les étapes de la vie.

Lors du rituel So, les Mvón étaient parés de pagnes d’écorce d’obom, teints de rouge de la poudre de padouk (baa). C’était précisément lors de l’exhibition des candidats au public, meyén mvóno. Le rouge, couleur de la joie lors des évènements solennels, à l’instar de l’initiation So, renvoie également à la beauté. Dans cette lancée, le candidat devait être plus beau que possible lors de cette cérémonie. Chemin faisant, la réflexion permet de découvrir qu’il y a longtemps, avant l’arrivée des européens, l’obom dans les sociétés ekang occupait une place de choix. Il a pour ainsi dire, joué un rôle de grande envergure où peut être exprimée l’identité socioculturelle, religieuse de celui qui en est le détenteur.

Associé à une parure d’écailles de pangolin, de poudre blanche de kaolin, il était aussi le symbole d’un habillement à caractère cosmique ; de beauté. Selon la croyance béti, l’un des aspects les plus importants de l’obom dans le rituel demeure dans le fait qu’au contact permanent avec le sexe de l’homme, il lui communiquait les caractéristiques de l’arbre dont elles émanent ; ceci, dans le seul but d’affermir la puissance sexuelle, en lui conférant rigidité, productivité. Ainsi, vivre au contact physique permanent avec une partie d’un végétal, tel que noté par Michèle Coquet, l’arbre, pensé comme un être vivant, siège d’un dieu ou d’un esprit, en dit long sur le sentiment d’intimité vitale et de nécessité respect que vouent ces porteurs d’écorce à la nature qui les environnent et sur leur volonté de symbiose avec l’univers de la forêt.

Pendant la période occidentale
Dès 1879 dans la région du Sud Cameroun, en pays Bulu, majoritairement peuplée par les Ekang, on assiste à la convertir au christianisme. Tout commence trente-neuf ans plus tôt suite à l’arrivée des premiers missionnaires au Cameroun. On assiste à un choc de civilisations qui va entraîner l’hégémonie occidentale sur ces populations autochtones, engendrant des conséquences irréversibles, sur le plan socioculturel. On observe un début de changements dans les mœurs des populations.

Une fois que le Cameroun passa sous protectorat allemand en 1884, ces derniers, pour parvenir à leurs fins mirent sur pied des structures de pouvoir, par la promotion de certains chefs entièrement acquis à leur cause. C’est le cas patent de Charles Atangana dont l’action fut déterminante dans le processus d’acculturation des populations Ekang. Il est à préciser que ce soutien n’était pas gratuit, de manière implicite il laissait entrevoir des motivations matérielles ou politiques. Les populations ont été donc contraintes d’abandonner leurs us et coutumes, de même que leurs formules de bienséance ; par extension le port du tissu d’écorce battue, obom, impuissants face à la domination allemande. De nombreuses restructurations concernant certaines pratiques, mais également les arts du corps et de la parure sont amorcés dans la zone. Le rite So ayant favorisé le port d’un certain type d’objets (parmi lesquels l’obom), sera prohibé des usages religieux, de même que le port des parures et costumes, ceci au bénéfice des tenues en provenance de l’Occident. Le rapport à ce tissu va donc évoluer au fil de l’histoire. C’est dire en effet que l’agentivité coloniale a pris de l’ascendance en affectant les façons de faire, de vivre et de penser.

Après la période post-indépendance
Au lendemain des indépendances dans les années 1960, le constat sur le lessivage profond qu’a subi le pays ekang est loisible. Comme le fait remarquer Felwine Sarr, on s’est absolument tout permis sur le continent africain. Les pillages, les saccages des vies et de la culture [...] y connurent impassiblement leur pinacle. C’est dans les années 1969-1970 que l’intérêt de plus en plus accru pour le tissu végétal se développe. Les religieuses, notamment les Sœurs Clarisses installées depuis longtemps dans la région de l’Est du Cameroun (Abong-Mbang), vont valoriser des tableaux des artistes locaux utilisant le matériau obom. Le public Camerounais va donc entrer en contact avec le tissu, non plus sous forme de cache-sexe ou de pagne qu’arboraient les aïeux de la zone méridionale, mais comme matériau phare des réalisations picturales.

Ces tableaux exécutés grâce à la technique de collage, représentaient généralement dans un style figuratif, des scènes de vie quotidiennes des populations de la région de l’Est : des femmes berçant des enfants, des hommes effectuant des travaux champêtres, des femmes dans l’exécution de leur devoir culinaires, des représentations d’animaux …etc. Une fois que ces tableaux étaient récupérés auprès des artisans, les religieuses les exposaient à la librairie Saint- Paul de Yaoundé, pour y être vendus. C’est donc par ce canal que le Révérend Père Engelbert Mveng va être fasciné par le tissu et ses produits dérivés. Par le biais de l’Atelier Art Nègre de Yaoundé dans les années 1970, il sera question de besogner pour une valorisation et une promotion du tissu obom à une échelle plus nationale et internationale. L’objectif miré par l’Atelier sera de réhabiliter le blason culturel camerounais singulièrement, et celui de l’Afrique en général.

Le début de 21ème siècle, précisément dans les années 2000, sera marqué par une grande volonté de promotion et de valorisation de l’obom. Cette volonté est très perceptible au niveau des artistes plasticiens de cette contrée qui, dans la quête d’une originalité et d’une authenticité dans la production plastique, ont recours à l’utilisation du matériau. Des créations picturales aux créations sculpturales, en passant par le fashion design, la décoration, la maroquinerie, la tendance est à l’écorce battue. Les réalisations au truchement du matériau sont profuses et poussent à l’admiration. Les créateurs rivalisent d’adresse dans des styles et des techniques distinctes. Il demeure évident que sa célébrité est due à sa spécificité (tissu tiré des écorces d’arbres battues) ; et plusieurs œuvres plastiques ont été offertes au cours de ces dernières années, en cadeaux aux éminents hôtes en visite au Cameroun.

En écho aux plasticiens, certains artistes musiciens se réapproprient le matériau en le vêtant dans leurs vidéogrammes et même lors de multiples montées sur scène. L’heure n’est plus à la méconnaissance des valeurs endogéniques, conséquence de l’acculturation profonde et de la subalternisation, menant à l’afrodestructisme. La déconstruction de ce lessivage qui a entrainé la dissolution des traditions passe par une reconstruction de la pensée culturelle, par le recours aux sources, par la réappropriation, la promotion et la valorisation de nos identités culturelles et cultuelles. Les Ekang ont pris conscience de l’attrait de leurs savoir-faire, savoir-être et savoir-vivre. Ces savoirs locaux font d’eux des êtres compétitifs dans la dynamique contemporaine de l’émergence.

Le tissu d’écorce battue appelé Obom.

Intronisation de sa Majesté Balla Edjiane Cyrille. Chef de 3ème degré Meyomessala. © : B. Ondigui, juin 2018

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