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Tchad/Sénégal: les visas de l'absurdité et de la honte


Alwihda Info | Par - ҖЭBIЯ - - 26 Mai 2008


Le Tchad et le Sénégal ont des liens historiques et séculaires, sans partager de frontière commune. Il y a un "quartier Sénégalais" à N'Djaména. Les Sénégalais formaient une assez forte communauté avant l'éclatement du pays en 1979. D'ailleurs, certains d'entre eux, malgré l'état de déliquescence avancée du Tchad, ont refusé de quitter ce pays. Les couples sénégalo-tchadiens se comptent par plusieurs dizaines à N'Djaména et à Dakar.


Tchad/Sénégal: les visas de l'absurdité et de la honte

Par Belemgoto Macaoura

Depuis le début des années 90, les Tchadiens qui se rendent au Sénégal doivent se munir d'un visa d'entrée dans ce pays, sans quoi, ils sont refoulés à la frontière. Aucune explication officielle n'a été fournie par rapport à cette mesure. Les autorités politiques de ce pays, sous le régime d'Abdou Diouf, justifieraient cette mesure par la nécessité d'assurer la sécurité de l'ancien président Hissein Habré. Sous Abdoulaye Wade, la mesure est restée intacte, avec une application encore plus rigoureuse qu'auparavant. Par mesure de rétorsion, ou réponse du berger à la bergère, les autorités tchadiennes ont, elles aussi, imposé le visa obligatoire aux ressortissants Sénégalais qui se rendent au Tchad, avec une application rigoureuse, aveugle et méchante dès le début jusqu'aujourd'hui. Les forces de l'ordre sont sans pitié dans ce domaine quand ils tombent sur un Sénégalais. Une femme Sénégalaise rejoignant son mari Tchadien a N'Djaména a été ainsi refoulée de l'aéroport de N'Djaména. Pas plus que l'année dernière, un groupe d'artistes Sénégalais, se rendant dans une semaine culturelle au Tchad, a été refoulé de l'aéroport de N'Djaména par défaut du fameux visa.

Et pourtant, sans emprunter le langage politico-diplomatique, on peut affirmer que le Tchad et le Sénégal ont des liens historiques et séculaires, sans partager de frontière commune. Il y a un "quartier Sénégalais" à N'Djaména. Les Sénégalais formaient une assez forte communauté avant l'éclatement du pays en 1979. D'ailleurs, certains d'entre eux, malgré l'état de déliquescence avancée du Tchad, ont refusé de quitter ce pays. Les couples sénégalo-tchadiens se comptent par plusieurs dizaines à N'Djaména et à Dakar. A Dakar, la communauté qui se réclame tchado-sénégalaise (ou sénégalo-tchadienne) reste toujours très active. On mange du thiébou-dieune dans certains restaurants et certaines familles de N'djaména. A Dakar, jusqu'au début des années 90, les Tchadiens se sentaient chez eux au Sénégal. Un Tchadien interpellé par la police était très rapidement relâché. Aujourd'hui, si la police sénégalaise tombe sur un Tchadien, le visa d'entrée est la première chose qu'on lui demande, sans quoi, il est un "sans-papier" menacé d'expulsion.

Cette mesure soulève un certain nombre de questions : Les Tchadiens sont-ils capables d'aller attenter à la vie de Habré au Sénégal ? L'instauration d'un visa est-elle si efficace qu'on le pense, dans la prévention d'actes terroristes visant la personne de Habré ? Nous pensons que non. Hissein Habré est un criminel qui a trouvé refuge au Sénégal. Il a été responsable de quarante mille morts, selon les chiffres officiels, un peu plus dans la réalité. Les Tchadiens, dans leur écrasante majorité lui en veulent, mais pas au point d'aller attenter à sa vie en territoire étranger. Loin de là. On respecte son statut de refugié. Les victimes préfèrent s'en remettre à la justice, sénégalaise ou non. Elles se sont toujours armées de patience quant à l'éventuel jugement de leur bourreau. Depuis que ce dernier habite Dakar, il n'a nullement été inquiété par aucun Tchadien. Bien au contraire, c'est lui qui a inquiété des Tchadiens qui vivaient à Dakar. En 2000, au moment fort de son inculpation, certains de ses proches avaient menacé des ressortissants Tchadiens qui faisaient largement écho de l'inculpation du "lion de l'Unir" dans les colonnes de la presse sénégalaises. Les Associations des Droits de l'Homme s'étaient vues obligés d'intervenir pour réussir à faire accorder l'asile à l'étranger à ces Tchadiens menacés par Habré. Ces compatriotes risquaient leur vie en continuant de vivre à Dakar. Nulle n'ignore les méthodes de Habré : enlêvements, tortures, assassinats. etc

Et la France s'en mêle

Ce qui est écoeurant, voire insultant dans cette histoire de visa obligatoire entre le Sénégal et le Tchad, c'est le rôle joué par la France. Le Tchad n'ayant pas de représentation diplomatique à Dakar, les Sénégalais doivent se rendre à l'ambassade de ... France à Dakar pour demander un visa pour le... Tchad, comme si les insultes, les humiliations quotidiennes que subissent les Africains demandeurs de visa pour la France ne suffisaient pas. Au Tchad, il existe un consulat du Sénégal, dont le siège se situe au quartier Gardolé à N'Djaména. Ce consulat accorde donc naturellement des visas aux Tchadiens qui se rendent au Sénégal. Mais parallèlement au consulat du Sénégal, l'Ambassade de France à N'Djaména accorde, elle aussi, des visas sénégalais aux Tchadiens qui se rendent à Dakar. Les deux visas sont curieusement reconnus aux frontières du Sénégal. C'est incroyable ! L'Etat Sénégalais peut-il accorder des visas français aux ressortissants Tchadiens qui veulent se rendre en France à partir du Sénégal ? Bien sûr que non. Et alors ? ! ? Une différence est à souligner en plus : A N'Djaména, le coût du visa accordé par l'ambassade France est nettement plus élevé que celui accordé par le consulat du Sénégal. Il y a pire : un visa accordé par le consulat du Sénégal au Tchad n'est pas reconnu par l'ambassade de France à N'Djaména. On peut citer l'exemple d'une dame Tchadienne qui cherchait en 2002 à rejoindre son mari à Dakar par un vol de la défunte compagnie Air Afrique.

Comme la plupart des vols de cette compagnie étaient annulés à la dernière minute, la Tchadienne a voulu prendre un vol d'Air France sur Paris et à partir de là, se rendre à Dakar. Pour être en règle avec la France, la Tchadienne s'est rendue à l'ambassade de France pour demander un visa de transit. Le personnel du service des visas de l'ambassade de France a demandé à notre compatriote si elle avait déjà le visa sénégalais. Sûre d'elle, la dame ouvre son passeport et montre le visa accordé par le consulat du Sénégal à N'Djaména. Les Français lui font savoir qu'ils ne reconnaissent pas ce visa et que si elle veut obtenir un visa de transit, elle est obligée de prendre le visa sénégalais à l'ambassade de France. C'est ce que la pauvre dame s'est finalement résignée à faire sans quoi, elle ne pouvait avoir son visa de transit. A l'époque, le coût du visa s'élevait à dix mille francs CFA au consulat du Sénégal au Tchad et vingt-cinq mille francs CFA à l'ambassade de France. Jusqu'aujourd'hui, les Tchadiens demandeurs de visa pour le Sénégal se classent en deux catégories : il y a d'une part, ceux qui vont en séminaire à Dakar, par le biais de la Coopération Française. Ceux-là, c'est l'ambassade de France qui leur remet d'office le visa sénégalais en même temps que le billet d'avion. Il y a d'autre part, les Tchadiens qui vont au Sénégal par leurs propres moyens, soit pour étudier, soit tout simplement en visite familiale. Ceux-là prennent leur visa au consulat du Sénégal à Gardolé. C'est la honte. Les Français profitent de toutes les occasions pour humilier les Africains sur leur propre continent. Si le Tchad n'a pas de représentation diplomatique à Dakar, pourquoi c'est la France, toujours la France et encore la France qui doit jouer aux intermédiaires entre les deux pays ? Pourquoi ne pas désigner un pays africain pour jouer ce rôle, le Cameroun, le Gabon, le Niger par exemple ? Décidément, nous croisons la France sur tous les chemins que nous empruntons. C'est la souveraineté du Tchad et du Sénégal qui est ouvertement remise en cause dans cette histoire de visas. A quand la fin de la traite négrière ?

Espérons qu'après le procès de Habré qui va bientôt s'ouvrir, Sénégalais et Tchadiens voyageront sans visas dans un sens comme dans l'autre sans se faire humilier par les Français, sans se faire des soucis. Car, si les Sénégalais tiennent leur promesse en jugeant Habré, la prison à vie sera la demeure de ce criminel. Et comme la prison est l'endroit le plus sécurisant qui puisse être pour Habré, on pourra voir la suppression pure et simple de ce visa de la honte. Car, au rythme où vont les choses, l'application stricte et aveugle de cette mesure risque de susciter des sentiments d'animosité entre Sénégalais et Tchadiens à la longue, ce qui serait dommage pour deux peuples qui s'estiment très bien jusqu'ici. C'est le moins qu'on puisse dire.


BELEMGOTO Macaoura.

macaoura@aol.com


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