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REPORTAGE

Tchad : l’exode rural à Ndjamena, un phénomène qui préoccupe


Alwihda Info | Par Anass Ali Moussa - 29 Juin 2022


Dans la capitale tchadienne, de plus en plus, la croissance de la population est perceptible. Des personnes, en majorité des jeunes, quittent les villages, à la recherche de meilleures conditions de vie en ville.


Il faut être un fin stratège pour se frayer un chemin dans les grandes artères aux heures de pointe. C'est le cas de Thomas qui, en fonction de ses heures de sortie, alterne entre la voiture et la moto, pour mieux se faufiler. Des rues qui étaient fluides à la circulation dans les années 2010, sont aujourd'hui largement embouteillées. Jeune étudiant tchadien à l'étranger, Senoussi constate un grand changement en cinq ans dans la capitale, à l'exemple de l'avenue Taïwan qu'il assimile au futur centre-ville.

Quitter le village pour un salaire de misère
Nombre de jeunes qui affluent à Ndjamena sont soumis à de rudes conditions de vies, prêts à travailler pour une rémunération qui permet à peine de vivre. C'est le cas de Dénémadji, une femme âgée de 25 ans mariée, mère de deux enfants, qui nous raconte son quotidien.

« J’habite le quartier Arangadji (8ème arrondissement de Ndjaména), je travaille comme domestique au quartier Diguel Riyad (8ème arrondissement). Je quitte mon domicile à 6 heures, pour arriver à mon lieu de travail aux environs de 7 heures. Dès mon arrivée, je lave les tasses utilisées pendant la nuit, je nettoie la cour, je fais la lessive des vêtements des enfants et de leur maman. Après cela, je vais au marché pour acheter des ingrédients et des articles pour la cuisine », explique Dénémadji.

« À mon arrivée du marché, je change mes vêtements et j’entre dans la cuisine. Dès que le repas est prêt, je sers le groupe d’hommes et celui de la femme avec ses enfants. Je prends aussi mon assiette à part. Le soir, je nettoie les tasses utilisées dans l’après-midi, je balaie une fois de plus la cour ; après, je prends ma douche, je porte mes vêtements et je rentre chez moi à 17 heures. A la fin du mois, je gagne 35 000 FCFA », poursuit-elle.

« Le week-end à Ndjamena équivaut à une fête au village », nous confient plusieurs filles qui travaillent comme employées de maison (elles sont appelées communément les fonctionnaires de la rue de 40 mètres). D'après elles, ceux qu’on voit dans les villages pendant les occasions festives, se retrouvent toutes les fins de semaine à N'Djamena ; ceci est l’une des raisons valables pour lesquelles Ndjamena n’est pas égale aux villages, expliquent-elles.

Des causes identifiées de la migration interne
Agassiz Baroum, sociologue et chercheur au Centre d’études pour le développement et la prévention de l’extrémisme violent (CEDPE) définit l’exode rural ou la migration interne comme le « déplacement massif des campagnards vers les grandes villes ». Ils sont motivés essentiellement par la recherche d’un emploi et la quête d’une vie meilleure.

Au Tchad, on constate qu’aujourd’hui, plus que jamais, la migration interne est devenue un phénomène inquiétant ; elle est en train de battre son plein à Ndjamena, la capitale. Elle vide les bras valides des campagnes, sinon prive certains jeunes de la possibilité de fréquenter valablement l’école en se rendant à Ndjamena pour la recherche de meilleures conditions de vie.

Ces bras valides ont pourtant un grand rôle à jouer, par exemple dans le monde agro-pastoral en faveur de la sécurité alimentaire qui est en pleine détérioration. « Une agriculture et un secteur de l’élevage plus robustes devraient soutenir la sécurité alimentaire, qui fait cruellement défaut », laisse entendre la Banque mondiale dans son analyse économique sur le Tchad d'avril 2022. Qu'est-ce qui pousse ces jeunes à quitter massivement les villes et villages de provinces pour tenter leur chance à Ndjamena ?

D'après le sociologue Agassiz Baroum, les raisons qui poussent les jeunes à l’exode rural sont beaucoup plus d’ordre économique et social ; la recherche d’une vie meilleure, sortir de l’état de vulnérabilité, de la pauvreté, de la misère, de l’ignorance ou encore du chômage. M. Baroum identifie d'autres causes tels que les conflits intercommunautaires, les conflits agriculteurs-éleveurs.

Deux types de migrations sont à distinguer : la migration interne/exode rural et la migration d'un pays à un autre ou d'un continent à un autre. À Ndjamena, l’on remarque que les grandes artères de la ville sont bondées d’adultes, jeunes, personnes âgées, femmes, filles et garçons venant de divers points du Tchad profond.

La grande partie de ces jeunes provient de la zone méridionale ou septentrionale, relève Ahmat Yacoub Adam, journaliste et chercheur associé au CEDPE. Ces jeunes sont dans la tranche d’âge des 12-30 ans. Ils exercent diverses activités, entre autres cireurs, domestiques, vigiles et gardiens, baby-sitter, dockers, commerces ambulants, blanchisseurs, conducteurs de motos, boulangers, restaurateurs et gérants de stations de lavage.

Une jeunesse en manque de repères
Au Tchad, la migration interne prend de l'ampleur tel un effet boule de neige. « Ceux qui viennent à Ndjamena travaillent, s’achètent des habits neufs et peu de temps après, rentrent au village avec des vêtements neufs et de l'argent ; cela incite les autres à faire de même », affirme Agassiz Baroum.

Bilal est un jeune âgé de 27 ans qui travaille dans une boulangerie. Il confie que depuis qu’il a quitté son village, il y a de cela 8 ans, il se bat jour et nuit pour subvenir à ses besoins quotidiens, assurer sa survie et celle de ses parents au village. « On travaille tous les jours mais on ne réalise rien, parce que tout ce qu’on trouve comme argent part dans la nourriture et la location », dit-il.

Dans le même sillage, nous rencontrons Alexis, « fonctionnaire de la rue de 40 mètres », âgé de 25 ans. Il est en train de préparer sa valise pour rentrer au village. « Je m’apprête à rentrer au village, parce que l’unique moment où le village a un peu davantage et une rentabilité objective, c’est bien pendant la saison pluvieuse », relève Alexis. « C'est le moment donc on s'apprête à aller labourer et attendre la récolte », ajoute-t-il.

La migration interne met à rude épreuve les forces de sécurité
L'exode rural semble prendre de court la police nationale. « Nous sommes en deçà du ratio. En principe, une ville comme Ndjamena, il faut un ratio d'un policier pour cinq habitants. Aujourd'hui, nous sommes à un policier pour plus de 160 habitants », reconnait le ministre de la Sécurité publique et de l'Immigration, le général Idriss Dokony Adiker, en réaction à une vague d'insécurité dans la capitale ces derniers temps. Avant de faire le déplacement sur Ndjamena, certains pensent que la capitale est un eldorado. En réalité, c’est l’enfer qu'ils vivent.

Le sociologue affirme que la mauvaise adaptation sociale ne permet pas à certains jeunes d’intégrer la société d’accueil. Du coup, ces jeunes sont frustrés, ils se sentent rejetés par la société. C’est ainsi que certains deviennent des délinquants et commettent des actes de vandalisme, analyse le chercheur Agassiz Baroum.

L'État doit investir davantage en province pour accroître le potentiel de croissance
L’exode rural n’a pas seulement des effets négatifs mais bien au contraire, il y a aussi un côté positif. « Il y a des jeunes qui viennent travailler à Ndjamena et soutiennent financièrement leurs familles au village », souligne le chercheur Agassiz Baroum.

Pour d’autres, c’est le chômage, le banditisme, la prostitution ou le vol. Cela est un manque à gagner pour le développement socio-économique du pays. Avec de tels catégories de jeunes, aucun développement n'est possible, observe M. Baroum.

Le sociologue préconise à l’endroit de l'État d’investir davantage dans les villages en créant des écoles, des centres de santé, des hôpitaux, des lieux de loisirs « parce que même le jeune du village veut jouir de sa jeunesse ». À ses yeux, « il va falloir que l’État puisse créer des conditions de vie acceptables (en créant des emplois, infrastructures, routes, etc.), dans ces localités afin de maintenir ces jeunes dans les zones rurales ».



Pour toute information, contactez-nous au : +(235) 99267667 ; 62883277 ; 66267667 (Bureau N'Djamena)