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TCHAD

Tchad : le septentrion bascule dans la confrontation armée


Alwihda Info | Par - 16 Janvier 2019


Les conséquences néfastes engendrées par la chute de Kadhafi sur l’instabilité et l’insécurité galopante au Mali, au Niger et au Nigeria, se répercutent négativement sur la sécurité de la partie septentrionale du Tchad.


Arrestations d'individus par l'armée tchadienne au nord du pays. © Alwihda Info
Arrestations d'individus par l'armée tchadienne au nord du pays. © Alwihda Info
L’extrême nord du Tchad, frontalier de la Libye, bascule progressivement dans la guerre avec d'une part la multiplication des confrontations armées entre orpailleurs provenant des quatre coins du Tchad, et d’autre part entre des forces rebelles profitant de l’impuissance de l’Etat tchadien à pouvoir restaurer l’autorité de l’Etat.

Après le renversement du régime despotique libyen de Khadafi -à la tête d’un Etat pendant près de 4 décennies sans aucune structure institutionnelle organisée- par la force occidentale, aucun mécanisme n'a été prévu pour garantir la stabilité tant en Libye que dans la sous-région sahélienne. La déstabilisation de la Libye a largement contribué à l’instauration du désordre avec la circulation d'armes de tous calibres et la prolifération des trafics en tout genre qui s’opèrent dans une zone poreuse échappant complètement aux autorités centrales.

Les conséquences néfastes engendrées par la chute de Kadhafi sur l’instabilité et l’insécurité galopante au Mali, au Niger et au Nigeria, se répercutent négativement sur la sécurité de la partie septentrionale du Tchad, plus particulièrement dans la province du Tibesti, zone frontalière de la Libye.

Des expéditions punitives

Les affrontements meurtriers du samedi 12 janvier qui ont opposé des rebelles soudanais et ceux du Conseil du Commandement Militaire pour le Salut de la République (CCMSR) aux alentours de la zone aurifère de Kouribougoudi, ont été d'une rare intensité. Les deux protagonistes se sont affrontés durant toute la journée avant que le CCSMR ne prenne le dessus sur les rebelles soudanais. Ces derniers ont essuyé des lourdes pertes, tant en moyens matériels qu'en vies humaines, d'après des sources concordantes.

Les rebelles soudanais, conduits par leur chef militaire Mahamat Abdallah, circulaient à bord de 56 véhicules. Ils ont quitté la localité de Wow, une ancienne base militaire située dans l’extrême sud-ouest libyen. Ce chef militaire rebelle soudanais aurait transité par l’Egypte pour rejoindre ses troupes avant de les conduire vers Kouribougoudi. L’objectif de cette mission était de répliquer à une expédition punitive contre certaines communautés d'orpailleurs accusées d’avoir tué plusieurs orpailleurs soudanais en décembre dernier.

Les rebelles soudanais voulaient se venger contre certains orpailleurs. Une fois arrivée dans la localité aurifère de Kouribougoudi, avant d'atteindre leur cible, ils sont tombés dans une embuscade tendue par le CCSMR. Des échanges de tirs nourris à l’arme lourde et légère ont retenti toute la journée, selon des sources parmi les orpailleurs.

Pas d'intervention de l'armée

Pas un seul bilan n’a été communiqué par les deux belligérants sur le nombre de pertes en vies humaines et matérielles. L’armée tchadienne qui se trouve à 200 km du lieu des affrontements, dans sa garnison militaire, n’est pas intervenue dans ce conflit, que ce soit en faveur d’un camp ou d'un autre, selon une source sécuritaire. La neutralité de l’armée tchadienne laisse présager beaucoup de doutes sur sa motivation réelle, notamment dans l’attitude des rebelles soudanais qui avançaient comme prétexte de régler les comptes à des orpailleurs supposés être impliqués dans l’assassinat de membres de leur communauté.

L'intervention militaire des rebelles soudanais est survenue quelques jours après le lancement de plusieurs mandats d’arrêt contre des chefs rebelles tchadiens pour leur participation présumée dans le conflit libyen. Certains d'entre eux n’ont pratiquement jamais mis les pieds en terre libyenne, d’autres n'ont pas foulé la Libye depuis une dizaine d'années.

Des dissensions entre rebelles

L'Etat voudrait certainement en finir avec la présence de plusieurs mouvements rebelles affaiblis par des divergences internes dues à leur course effrénée de leadership. Ces rebellions armées hétéroclites continuent d’être assimilées par le président Deby comme une menace sérieuse pour la survie du régime dans l’avenir. Les rebelles sont situés non loin du massif du Tibesti où le régime est en délicatesse avec les Toubous. Pour cause, la tentative d'exploitation de l’or dont le contrat aurait été attribué à des entreprises réputées appartenir à certains proches de Deby et le limogeage brutal de trois chefs de canton par un décret du président de la République. Cela est à l’origine du déclenchement du conflit pour le contrôle de la localité de Misk entre l’armée régulière et le comité d’auto-défense de Miski.

Certains assimilent l'affrontement à une stratégie montée par les autorités pouvant encourager d'autres mouvements rebelles -tels que l'UFR de Timane Erdimi ou bien le FNJDT- à venir se battre aux côtés de CCSMR dans le but de les prendre en étau.

Le chef militaire rebelle soudanais, instigateur de l'opération militaire contre le CCMSR, aurait rejoint la garnison militaire de Wour après le premier combat entre ses hommes et la rébellion tchadienne, où un officier haut gradé proche du président Deby l’attendait. Ils auraient tous deux regagné la capitale tchadienne en transitant par Faya Largeau. L’attitude du CCMSR laisse présager beaucoup de doutes sur ses principales motivations. Il est suspecté de jouer un double jeu, même si les jeunes combattants sont déterminés à en finir avec le régime tchadien.

Certains cadres politiques et militaires du CCMSR seraient de connivence avec des services de renseignement tchadien, ce qui serait à l’origine de la dissension interne qui traduit la fragilité de ces mouvements et qui a engendré une panoplie de défections.

Pour rappel, l’attaque de deux petits postes avancés de Kouribougoudi, dont l’un détenu par quelques policiers et douaniers, a été orchestrée par le CCMSR le 11 août dernier. Elle n’a suscité aucune réplique militaire de l’armée tchadienne contre ce mouvement rebelle. Par contre, cela a eu pour conséquence immédiate l’ultimatum lancé par le gouvernement, sommant les orpailleurs d'évacuer les zones aurifères du Tibesti, avant l'usage de la force pour les contraindre à quitter la zone.

A l'origine, l'attaque du 11 août avait été préparée de concert avec d’autres petits mouvements rebelles, pilotée par un commandement commun. Elle aurait eu pour objectif d’attaquer une grande garnison militaire comme celle de Tanoua ou de Wour. Le CCMSR a fait avorter le projet en décidant de mener une opération militaire de façon unilatérale contre des petits postes à Kouribougoudi, violant de facto le pacte signé avec les autres rebelles.

La même chose s’est produite samedi dernier lors des affrontements armés entre les rebelles soudanais -considérés comme des supplétifs de l'armée tchadienne- et le CCMSR. L’armée n’a pas souhaité intervenir pour mettre fin aux affrontements. Le doute subsiste sur la sincérité du CCMSR quant à la justesse de sa lutte et à la proximité de certains de ses responsables avec le régime. Cela constituerait un obstacle pour l’évolution d’autres mouvements rebelles ayant pour objectif de renverser le régime et explique l’extrême fragilité de la situation sécuritaire dans le nord du Tchad. Cette situation se traduit par des affrontements meurtriers ayant opposé des orpailleurs Toubou et des coupeurs de route soudanais dans la province du Tibesti. L'affrontement se serait soldé par une quarantaine de morts dans les deux camps.

Vers la fin du mois de décembre dernier, des orpailleurs Ouaddaiens et Arabes se sont violemment affrontés au nord du Tchad. Cet affrontement a fait de nombreuses victimes de part et d’autre. La localité de Miski reste toujours contrôlée par le comité d’auto-défense qui réclame une répartition équitable des richesses après l'éventuelle exploitation formelle de l’or.

Des officiers refusent de piloter les opérations de l'armée

Au cours de la première tentative de reconquête de la localité de Miski, trois officiers mandatés pour la mission auraient successivement refusé de participer à la libération de Miski, selon une source militaire anonyme. Ils auraient été remplacés par le général Dadi Ehmet, natif de la province du Tibesti "qui a accepté volontier d’aller combattre ses propres frères de sang à cause de l’argent et de la promotion", d’après cette même source.

Récemment, deux autres officiers Zakhawa auraient également refusé de prendre les commandes des opérations de l'armée dans la province du Tibesti. Ils auraient été remplacés par d’autres personnes.

Par ailleurs, 31 policiers originaires de la province de Borkou ont été brutalement transférés de l’aéroport de Faya Largeau vers N’Djamena, jeudi 3 janvier dernier, sans aucune note d’affectation. Ces policiers seraient soupçonnés d’être complice avec les fauteurs de trouble.

Des déplacements multiples au Nord du ministre de la Sécurité

Les multiples déplacements du ministre de l'Administration du territoire, de la Sécurité publique et de la Gouvernance locale dans le nord du Tchad -accompagné du directeur général de l’Agence Nationale de la Sécurité- montre à quel point la détérioration de la situation sécuritaire au nord du Tchad est prise au sérieux par les hautes autorités. La tournée qu’a effectuée récemment le président Idriss Deby dans les localités, d’Amdjarass, de Darba, de Torboul et de Kalait ne semble pas être étrangère à la dégradation de la situation sécuritaire au Nord. Ce qui est d’autant plus surprenant, Idriss Deby a effectué des tirs en l’air d'armes lors de sa visite à Arada en provenance de Kalait, au vu et au su de la foule qui est venue lui réserver un accueil chaleureux. On assiste impuissamment à la dégradation constante de la situation dans septentrion tchadien avec le risque de faire plonger l’extrême nord du Tchad dans la guerre civile.
Djimet Wiche Wahili
Journaliste, directeur de publication. Tél : +(235) 95415519 / 66304389 E-mail :... En savoir plus sur cet auteur



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