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ANALYSE

Cyberespace et défense nationale : nouvelles perspectives pour le diptyque armée-nation


Alwihda Info | Par Dr Mbida Onambele Max Zachée Saintclair, chargé de cours à l’Institut des Relations Internationales de Yaoundé (IRIC). - 2 Juin 2022


La construction du duo renouvelé armée-nation, ouvre une fenêtre d’opportunité pour la doctrine camerounaise de sécurité et de défense nationales.


Cyberespace et défense nationale : nouvelles perspectives pour le diptyque armée-nation
L’influence grandissante et se confortant du cyberespace place inexorablement la cybersécurité et la cyberdéfense au cœur des enjeux de souveraineté nationale. De plus en plus, les acteurs aussi bien étatiques que non-étatiques investissent le cyberespace avec des visées hégémoniques et la cyberpolitique impactent par le fait même l’ordre international traditionnel. Face à ce nouveau défi, le Cameroun est interpellé autant dans sa fiction de sécurité et de défense que dans ses modes et modalités d’organisation et de déploiement de sa politique et de son dispositif de défense.
Ce challenge indexe plus encore le socle symbolique qui a inspiré dès son inception la philosophie de défense camerounaise et qui repose sur la nécessaire communication et l’harmonie entre l’armée et la nation qui a justifié la consécration de l’heureux concept de « couple armée-nation » ou encore celui de défense populaire. La réalité baroque du cyberespace impose cependant un renouvellement de cette relation dont la consolidation exige la redéfinition, la requalification et une ingénierie nouvelle de la défense.
Ce travail de refondation impose dès lors le dépassement autant symbolique et pragmatique de l’approche classique de la défense populaire vers celle de la cyberdéfense populaire de même que la stabilisation des effets de sens induits pour le dyptique armée-nation cybernétique.

I- SYMBOLIQUE ET PRAGMATIQUE DE LA CYBERDEFENSE POPULAIRE : CONSTRUIRE LE DUO CYBERNETIQUE ARMEE-NATION
Tel dans le monde réel, de même le cyberespace, et certainement un peu plus, consacre le lien de nécessité entre l’armée et la nation. D’où la construction du duo renouvelé armée-nation ouvre une fenêtre d’opportunité pour la doctrine de sécurité et de défense nationales camerounaise de revisiter autant la dimension symbolique qui attache le peuple à la défense que l’impératif technopolitique qui organise la défense comme un cortex stratégique dans lequel s’épanouit la nation.

1- La culture patriotique de la cyberdéfense : pour une nation de légionnaires cybernétiques
La nation et le peuple, dans l’idée de la défense au Cameroun, sont le prétexte, les « ressortissants » et les garants de la défense de l’intégrité du territoire national. Cette philosophie ne change pas avec et dans le cyberespace bien qu’il soit nécessaire de l’élargir. Ainsi, cette ouverture informe d’abord que la géopolitique du cyberespace est problématique parce qu’il n’est pas toujours aisé de savoir quelle est l’étendue de l’espace cybernétique ni la qualité du peuple qui l’occupe. Parfois perçu comme un néant, le cyberespace semble n’appartenir à personne et tous ceux qui y accèdent sont de partout.
Toutefois, au-delà de ce constat, il est acquis que le triangle national est l’espace couvert par la ceinture cybernétique camerounaise et, par conséquent, le peuple camerounais constitue l’élément vital de son espace cybernétique. L’ambiguïté cependant persistante de cette démonstration appelle, comme une nécessité, la requalification de la citoyenneté et du patriotisme dont la densité de la compréhension susurre à la nation qu’elle s’approprie un espace dont elle ne fait pas nécessairement une expérience immédiate mais vis-à-vis duquel elle est soumise à l’impératif de défense et de promotion. Dès lors, de même qu’elle se mobilise pour accompagner l’armée dans le monde réel, la nation, dans le cyberespace, prend les contours d’une légion militaire, le peuple de légionnaires cybernétiques se constituant et adaptant sa formation non plus au côté de l’armée mais au cœur des processus de défense.
Cette culture patriotique de la cyberdéfense informe ainsi que les comportements et attitudes de cyberdéviance ou de cyberdéfiance fragilisent l’Etat et rendent poreuses les lignes avancées de la nation que sont la citoyenneté et le patriotisme et qui conséquemment deviennent les voies royales pour les menaces cybernétiques de toutes sortes. Dans le cyberespace, la nation, et donc le peuple, chaque citoyen, est la première ligne de sauvegarde et de promotion de la stabilité de l’Etat.

2- La cyberdéfense comme impératif technopolitique : pour une représentation stratégique du cyberespace
Avec le repositionnement de la nation au cœur du process de défense, la représentation stratégique du cyberespace accuse sa centralité dans les processus politique de configuration de l’Etat. Dans l’optique d’arrimer l’Etat du Cameroun à la réalité internationale, il devient difficile d’imaginer une politique de défense qui ne soit adossée sur les exigences techniques et opérationnelles dans le cyberespace.
De même que la nation doit redécouvrir et réorienter sa culture patriotique pour mieux apprécier sa responsabilité contemporaine vis-à-vis de la défense nationale, de même l’armée, qui est le socle granitique de la défense, doit faire peau neuve pour intégrer dans sa perspective politique le cyberespace comme un horizon stratégique incontournable. Donner corps à cet impératif technopolitique appelle une approche triple, à la fois doctrinale, technique et opérationnelle qui prenne en compte, dans chacun de ses segments, la nécessité d’une proximité repensée avec la nation.
De même, l’effort stratégique, dans l’espace politique réservé à l’actualisation de la politique de défense camerounaise, qu’il soit de formulation ou de projection de la capacité cyber-militaire de l’Etat, devrait intégrer plus incidemment la dimension populaire de la défense dont les aptitudes et le potentiel technologiques bénéficient désormais de la faveur de la démocratisation de la connaissance et des processus, et notamment cybermilitaires. Il s’agit d’intégrer l’idée que dans le cyberespace, la défense est l’apanage de tous, que les connaissances cybermilitaires sont accessibles et manipulables par tous et que l’unité ou la structure technique de cyberdéfense logée au Ministère de la défense sera forte de ses proxies cybermilitaires populaires.

II- PERSPECTIVES POUR LE DYPTIQUE ARMEE-NATION
La refondation des symbolique et pragmatique de la cyberdéfense populaire induit une double perspective. Dans le monde réel, l’armée et la nation sont perçues comme deux entités qui se rapprochent, le citoyen et le militaire imposant une approche structurelle et organique différenciée. Dans le cyberespace, la cyberdéfense, plus encore populaire ainsi que le revendique la philosophie camerounaise de défense, repose sur un principe de proximité pratique plus appuyé, la défense, le concept autant que la réalité, intégrant une valeur plus partagée et participative en même temps que la responsabilité du citoyen au regard de la défense nationale est plus accrue.

1- Une défense plus fusionnelle
Dans la stratégie cybernétique en constante élaboration, ce qui est perceptible dans les usages récents de la technologie cybermilitaire, la frontière entre le soldat et le citoyen s’amenuise inexorablement. Et pour cause, l’accès au cyberespace et à la technologie militaire devient de plus en plus un secret de polichinelle.
Toutefois, et bien que la distance entre le soldat et le citoyen soit maintenue tout au moins parce que le premier a pour métier de défendre et organise en conséquence son existence autour de cette prérogative, le Cameroun, pour une cyberdéfense populaire résiliente et perspicace, gagnerait à investir dans une politique de défense plus fusionnelle. Ceci pourrait suggérer la vieille idée aronienne de « mobilisation collective » avec ses bataillons dormant d’officiers de réserves.
Il s’agit pourtant d’un renouvellement de perspective, la mobilisation s’inscrivant dans le créneau de la permanence opérative de la défense, le soldat et le citoyen lamda, parce qu’ils disposent d’outils techniques plus ou moins similaires, prenant, ensemble, et même sans le savoir, leur tour de garde au pied de la forteresse de l’espace cybernétique national.
D’où, une défense plus fusionnelle dans le cyberespace suppose de l’Etat le renforcement permanent des capacités du soldat et du citoyen, la mise en place d’un dispositif institutionnel et infrastructurel adéquat et l’aménagement de facilités qui renforcent le lien national car, dans le cyberespace, les peuples seront les plus grandes menaces à la stabilité des Etats. Le défi par ailleurs sera donc de capitaliser la capacité populaire de nuisance cybernétique dont le potentiel technologique va égaler sinon surpasser celui de l’institution régalienne de défense nationale.

2- Une responsabilité accrue du citoyen cybernétique
Le cyberespace est un milieu ouvert, sans fond et dont les frontières, du moins pour ce qui est de l’espace cybernétique des Etats, ont la consistance évanescente et la volatilité de l’ubiquité structurelle des acteurs. Tout autant, le cyberespace est le lieu où s’expriment de façon immodérée et sans borne les vices, les perversions et les intérêts.
Cette réalité grève fondamentalement le lien social et sociétal, chaque acteur tendant, à l’image du champ de confrontation surréaliste hobbesien, à promouvoir ses propres intentions de survie et à préserver cet avantage. Pourtant, cette propension à l’instabilité généralisée que véhicule une représentation pessimiste du cyberespace est une menace à la nation comme espace partagé. La perspective renouvelée de la cyberdéfense populaire semble dès lors reposer sur un socle bien fragile. Module opérateur de la défense nationale camerounaise, le couple armée-nation se retrouve face à l’urgence de la protection préalable de la citoyenneté.
Car, à l’ère cybernétique, la citoyenneté est plus exigeante et appelle plus que jamais la vigilance du citoyen. Cette responsabilité accrue suggère que l’appartenance et l’attachement à un Etat et à la nation ne sont pas négociables et dépassent les intérêts primitifs et agrégaires de l’individu. La stabilité, la sécurité et la défense de l’espace cybernétique national apparaissent fondamentalement comme le projet et l’horizon indépassable du citoyen dont toute la manœuvre symbolique, politique, social et économique doit être focalisée vers la promotion de la nation et le rayonnement de l’Etat. L’ère cybernétique est ainsi un temps sensible où le narcissisme des individualités doit disparaître au profit de l’éclosion de la nation dans sa splendeur et de la consolidation de l’Etat pour la réalisation de ses prétentions stratégiques. Le citoyen, qui devient en soi le premier soldat doit intégrer et assumer sa responsabilité vis-à-vis du territoire cybernétique national et de l’ensemble de ses concitoyens dont il est l’unique garant du bonheur et de l’épanouissement intégral.

En somme, cette réflexion qui est une démarche constitutive dans l’immense édifice de construction de la pensée stratégique camerounaise à l’ère du cyberespace, visait à lever un pan du voile dense et encore bien épais des problématiques contemporaines de sécurité et de défense nationales au Cameroun.
Bien plus, nous avons essayé de revisiter un concept phare de la philosophie politique de défense nationale camerounaise et en relever les ambiguïtés au regard des nécessités contemporaines qu’impose l’épanouissement structurel et stratégique du cyberespace. Il nous est ainsi apparu que la proximité entre le soldat et le citoyen va se faire de plus en plus évidente de même que l’impératif de prendre en compte les enjeux techniques et opérationnels de la cyberdéfense va se faire plus pressant.
Cette réalité sera le défi futur à relever pour la construction d’un dispositif de défense nationale pertinent et capable de saisir les enjeux de sécurité et de défense dans le cyberespace et maîtriser les contours du concept riche de défense populaire cybernétique qui va inspirer désormais le diptyque armée-nation.



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