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Entretien avec Idriss Deby Itno


Alwihda Info | Par Alwihda Info - 23 Juillet 2010


Le 14 juillet dernier des troupes africaines sont descendues sur les Champs Elysées. Ils ne l’avaient pas fait depuis 1959 date de la création de l’éphémère Communauté Française. Dans le passé, des soldats africains ont à plusieurs reprises défilé aux cotés des régiments français, descendu la prestigieuse avenue pour saluer des victoires dont certaines furent amères. Si les algériens se souviennent de Sétif, les sénégalais n’ont pas oublié le massacre des tirailleurs à Thiaroye. Ensemble, les anciens combattants de ces pays ex-français connaissent toujours, malgré les promesses et quelques efforts, les effets de la cristallisation des pensions. Ce fut la conséquence des indépendances africaines dont on célèbre cette année le cinquantenaire.

Le président tchadien Idriss Deby est bien trop jeune pour se souvenir de ces épisodes. Il connaît néanmoins comme tous les tchadiens le rôle éminent joué par son pays pour la libération de la France. Son gouverneur d’alors, Félix Eboué, un noir de la Guyane , fut le seul administrateur de la France coloniale à se rallier au Général de Gaulle. Sans son action, sans le Tchad il n’y aurait pas eu de Leclerc, et les forces françaises libres naissantes n’auraient sans doute pas connu le succès que l’on sait. Qu’en aurait il été alors de la France

Dans cette interview accordée à la rédaction de "Actualité Internationale", le président du Tchad revient sur la relation entre l’Afrique et le France et appelle à débarrasser cette relation des "discours pessimistes et paternalistes".


Entretien avec Idriss Deby Itno

Entretien paru dans l’édition Mai-Juin de "Actualité Internationale"

1 - Cinquante ans après les indépendances africaines, quel regard portez-vous aujourd’hui sur les relations entre la France et l’Afrique ?

Les relations avec la France sont de vieilles relations, liées par l’histoire. Les peuples africains ont activement participé à la libération de la France. Ils ont payé le plus lourd tribut. Des centaines, des milliers d’hommes ont offert leurs bras et ont laissé leurs vies. Cela est inscrit dans l’histoire de la France et de l’Afrique. Comme toute relation, celles avec la France ont connu des moments de tension, de faiblesse mais aussi des moments forts. Mais je crois qu’elles sont bonnes. Il faut surement les débarrasser des discours pessimistes et paternalistes. Après la période coloniale, les États africains prennent leur indépendance presqu’au même moment, c’est à dire qu’ils accèdent à la souveraineté. Ils ont leur destin en main. C’est à nous Africains de décider de ce que nous voulons faire. Après cinquante ans d’indépendance, je pense que nous sommes suffisamment mürs pour savoir ce qui est bien ou mauvais pour nous. Seuls les Africains peuvent construire l’Afrique.

2 - Dans un contexte de mondialisation économique, et à l’heure où les Etats africains multiplient les partenariats économiques avec la Chine , l’Inde ou encore le Brésil, le Sommet France - Afrique a t-il encore une raison d’exister ?

La mondialisation nous impose de diversifier nos relations et cela depuis des décennies, les États africains entretiennent des relations de coopération sud-sud avec la Chine , l’Inde et le Brésil. Observez que les industries des pays occidentaux sont de plus en plus délocalisées dans ces pays. La France par exemple entretient des relations suivies avec le Brésil, il y a même des journées du Brésil qui sont régulièrement organisées en France et vice versa. Alors pourquoi nous les Africains, nous ne devrions nous pas entretenir des relations avec ces pays. L’Afrique a toujours entretenu des relations commerciales avec les pays asiatiques ou encore sud américains. Un pays comme le Brésil est peuplé de noirs africains dont le plus célèbre « Pelé » lui a donné trois coupes du monde. Les Africains connaissent mieux les footballeurs brésiliens que les hommes politiques. Pour revenir au sommet France- Afrique, je pense qu’il s’inscrit aujourd’hui dans le cadre de la diversification de nos partenariats.

3- Vous êtes à la tête d’un pays qui subit de plein fouet les conséquences du changement climatique planétaire. Quel peut être le rôle du Sommet France-Afrique dans ce combat ?

Je vis les conséquences du changement climatique. La chaleur, les inondations, les sécheresses. Certains cours d’eau ont disparu, le Lac-Tchad est menacé de disparition. Notre message reste celui de la prise de conscience de la communauté internationale sur ce désastre écologique. Vous savez que plus de 30 millions de personnes vivent directement ou indirectement des eaux du Lac-Tchad. Qu’allons-nous léguer à nos enfants ? Je tiens à l’organisation d’un sommet international sur le Lac Tchad. J’en appelle aux soutiens des pays amis comme la France , les Etats-Unis, les pays arabes, des organisations internationales telles que l’Onu, l’Union africaine, l’Union européenne et les institutions financières internationales.

  4 - Depuis le 25 mars dernier, vous êtes à la tête du Comité Inter-Etats de Lutte contre la Sécheresse au Sahel (CILSS). Au vue de son bilan passé, cette organisation a-t-elle les moyens de faire face aux défis environnementaux ?

Le Cilss a une expérience avérée dans le domaine de la protection de l’environnement, de l’agriculture et même dans la formation des hommes. Le premier et grand défi pour les pays du Sahel est la maîtrise de l’eau. Déjà, nous avons lancé l’opération « la grande muraille verte » qui va de Dakar à Djibouti. Les moyens, ce sont d’abord les hommes, la volonté des Sahéliens de dompter la nature. Nul autre que le Sahélien ne connaît la valeur de l’eau. Au dernier sommet de N’Djaména, nous avons adopté une initiative en faveur de l’eau, une initiative qui vise aussi l’autosuffisance alimentaire.

5- Depuis son arrivée au pouvoir, le Président français Nicolas Sarkozy qui prône une rupture dans les relations France-Afrique, veut créer avec le continent africain, selon ses propres termes, une relation décomplexée et débarrassée des réseaux d’un autre temps. Cette rupture est - elle réalisable ?

De quelle rupture parlez-vous ? Les Etats africains sont indépendants depuis cinquante ans. La plupart d’entre eux sont liés par des accords de coopération. Pour ce qui concerne le Tchad, si vous faites allusion aux accords de défense, c’est depuis 1976, que le Tchad n’est plus lié à la France par un accord de défense. Maintenant, s’agissant de cette rupture, posez la question au Président français.

6-Les troupes des anciennes colonies africaines de la France ouvriront le défilé du 14 juillet 2010 sur les Champs-Elysées sur invitation de la France. Que pensez-vous de cette démarche française ? Ne fallait t-il pas associer l’Union Africaine dans le cadre d’une telle démarche collective ?

C’est une initiative française. Il aurait été intéressant d’inviter toutes les troupes africaines. Mais pour l’histoire, rappelez-vous que ce sont les troupes des anciennes colonies françaises qui ont participé activement à la Libération aux côtés de leurs frères d’armes français. C’est un devoir de mémoire pour la France et les autorités françaises. Mais je vous rappelle que le Tchad a été le premier pays à répondre à l’appel du général de Gaulle. Les troupes tchadiennes étaient les premières à arriver aux portes de Paris. La première victoire de la France libre a été obtenue par les troupes tchadiennes sous le commandement du maréchal Leclerc en Tripolitaine. Le Tchad est le seul pays d’Afrique noire francophone à avoir huit compagnons de la Libération.

7- Le sommet France-Afrique ne fait t-il pas de l’ombre aux ambitions d’intégration et d’indépendance de l’Union Africaine ?

Pas du tout. C’est comme le sommet Chine-Afrique, Inde-Afrique ou encore Japon-Afrique. Les Etats africains ne viennent pas individuellement. Ils participent à ce sommet en groupe. En aucune manière, l’intégration africaine ne peut souffrir de l’ombre ou du tort que lui causera un quelconque sommet.

8 - Au sein de l’Union Africaine, on assiste depuis quelques années à un débat sur la nécessité de la mise en place d’un gouvernement continental. Quelle est votre position à ce sujet ?

La formation d’un gouvernement continental est un des objectifs de l’Union africaine. Nous soutenons ce projet, mais pour le moment, il faut tenir compte des réalités liées à l’histoire de nos pays. Le salut de l’Afrique passe par son intégration, car individuellement les Etats africains ne pourront rien faire. Face à la mondialisation, le moment est aux regroupements, aux grands groupes. Je suis un panafricaniste convaincu.

9- Les derniers accords de paix avec le Soudan ont été salués par toute la communauté internationale. Peut-on dire aujourd’hui que l’ensemble du territoire tchadien est sécurisé ?

Le territoire national tchadien est sous le contrôle de l’administration tchadienne. Les forces de défense et de sécurité assurent parfaitement le contrôle des frontières tchadiennes. La sécurité règne à l’intérieur de nos frontières. Notre voyage au Soudan, il faut le situer dans le cadre des intérêts des peuples soudanais et tchadien. Il n’y a pas d’autres calculs. Nous voulons le bien-être de ces deux pays frères liés par la culture et l’histoire et tout naturellement par la géographie.




Pour toute information, contactez-nous au : +(235) 99267667 ; 62883277 ; 66267667 (Bureau N'Djamena)