Reporters Sans Frontières
Alors que les autorités ont récemment opéré un tour de vis à l’encontre de la presse, le Cameroun s’apprête à ajouter à son arsenal législatif une loi anti-terroriste qui pourrait accroître les difficultés que rencontrent les journalistes à exercer leur métier dans le pays. Reporters sans frontières relève en effet plusieurs problèmes dans ce texte, parmi lesquels la définition extrêmement vague du terrorisme, la disproportion des sanctions prévues et la compétence exclusive des juridictions militaires pour juger des actes de terrorisme.
“Reporters sans frontières demande au président Paul Biya de ne pas ratifier cette loi à la rédaction approximative, et aux dispositions qui pourraient se révéler extrêmement pénalisantes pour la liberté de la presse”, déclare Cléa Kahn-Sriber, responsable du bureau Afrique de l’organisation.
Le texte semble en effet avoir été rédigé sans tenir compte des recommandations contenues dans de nombreux instruments internationaux permettant de concilier lutte contre le terrorisme et respect des libertés. L’infraction de terrorisme n’est pas clairement définie dans le texte de loi, qui ne présente qu’une succession d’intentions et de moyens, sans jamais les relier clairement à une définition du terrorisme.
En effet, bien que le gouvernement camerounais se réclame des textes internationaux qui recommandent de "respecter les droits de l’homme et les liberté fondamentales”, et notamment la résolution 2178 du Conseil de sécurité des Nations unies sur le terrorisme, adoptées en septembre 2014, la présente loi ne respecte pas les conditions de proportionnalité des sanctions. C’est le cas pour le secteur des médias où l’infraction d’"apologie du terrorisme" est passible d’une peine de 15 années minimum d’emprisonnement (20 ans au maximum) et/ou d’une amende de 25 à 50 millions de francs CFA (28 000 à 76 000 €) pour de simples paroles ou des écrits. Certes, des lois similaires concernant l’apologie du terrorisme ont été adoptées dans d’autres pays, notamment en France, ce que ne manque pas de relever le gouvernement camerounais, mais celles-ci comportent néanmoins des peines bien moindres et plus équilibrées.
Enfin le texte prévoit que l’application de la loi relève exclusivement des juridictions militaires. Cette disposition est préoccupante, car l’usage de ces juridictions pour juger des civiles devrait demeurer l’exception et non la règle. De plus, le ministre de la Défense dispose des pouvoirs pour nommer et affecter ces magistrats, ce qui soulève la question de leur indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif.
Interviewé sur RFI, le 12 décembre 2014, le ministre de la Communication, Issa Tchiroma Bakary, a balayé d’un revers de la main les préoccupations de la société civile sur les conséquences que pourrait avoir cette loi sur la presse et la liberté d’expression, préférant insister sur le fait "qu’il n’y a pas de chance qu’il y ait confusion entre une manifestation politique et une manifestation à caractère terroriste".
Un durcissement déjà amorcé
Le Cameroun ne semble pas avoir attendu le passage de cette loi pour durcir son attitude envers les journalistes. En effet, deux journalistes, Félix Cyriaque Ebole Bola et Rodrigue Tongue, des quotidiens Mutations et Le Messager sont depuis le 28 octobre poursuivis devant une juridiction militaire pour “non dénonciation” de faits susceptibles d’atteindre à la sûreté de l’Etat, après avoir contacté la police pour vérifier des sources à propos d’un article qu’ils ont fini par ne pas publier. Empêchés de travailler, ils sont contraints de pointer à la police chaque semaine et interdits de toutes communications avec la presse nationale ou internationale.
Deux autres journalistes, Amungwa Tanyi Nicodemus et Zacharie Ndiomo sont actuellement derrière les barreaux pour des offenses en lien avec leur profession, respectivement depuis près de neuf et deux mois.
Le Cameroun occupe la 131e place de l’édition 2014 du Classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières