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INTERVIEW

Santé : Le point sur l’envenimation par piqûre de scorpion, l'état des connaissances et les acquis sur la situation


Alwihda Info | Par Info Alwihda - 1 Août 2018



Dr Djiddi Ali Sougoudi, coordonnateur du Programme National de Lutte contre le paludisme, est par ailleurs un passionné de l’étude des scorpions du Sahara tchadien et de tous les serpents du Tchad. Très impliqué, il est à la base de l’arrivée au Tchad du sérum antiscorpionique dénommé Inoscorpio de la firme Inosan-Biopharma, firme mexicaine basée en Espagne, grâce aux travaux de recherche sur l’identification des espèces de scorpions mortels du Tchad.

Dr Djiddi Ali Sougoudi, expert national sur la question, se livre avec perspicacité et esprit vif, sur la problématique sanitaire du scorpionisme ou envenimation par piqûre de scorpion. Aussi chevronné dans la prise en charge que dans la connaissance des scorpions, Dr Djiddi nous donne des pistes et des informations inattendues, scientifiquement validées.

Alwihda Info : Qu’est-ce que le scorpionisme ?

Dr Djiddi Ali Sougoudi : Le scorpionisme est l’inoculation du venin de scorpion dans la circulation sanguine du corps humain au décours d’une piqûre par cette bestiole venimeuse dont le venin peut être mortel chez les enfants de moins de 7 ans et les personnes âgées. La gravité d’une envenimation par piqûre de scorpion dépend de beaucoup de facteurs de :
- site de la piqûre (grave si c’est en pleine artère) ;
- l’espèce de scorpions : les espèces Androctonus australis, Androtonus mauritanicus, Androctonus amoreuxi et Leiurus quinquestriatus qui existent tous au Tchad et sont les plus dangereux au monde ;
- l’état nutritionnel du scorpion : le scorpion affamé, à jeûn, a un venin hyper-concentré et donc dangereux ;
- l’âge de la victime : enfants et personnes âgées sont les plus vulnérables), de la prise en charge retardée du cas envenimé ;
- Etat de santé antérieur de la victime : une personne déjà porteuse de tare ou de problèmes cardiaques meurt plus facilement d’une envenimation.

C’est quoi un scorpion ?

Les scorpions sont des arthropodes (corps articulé ou segmenté) de la classe des arachnides. Ils se distinguent des autres arachnides par leurs pédipalpes qui se terminent en pinces et par leur aiguillon venimeux au bout de l’abdomen, sur la queue. Il faut rappeler que l’ancêtre des scorpuons appelé Pterygotus est l'un des plus grands euryptérides (ou scorpions des mers) connus. Ce fut aussi l'un des plus grands arthropodes de tous les temps, seulement égalé en taille par le mille-pattes géant Arthropleura et un autre Pterygotidae : Jaekelopterus rhenaniae.

Il y a plus de 1.500 espèces de scorpions actuellement. Les plus venimeux et les plus toxiques par leur venin sont l’Adroctonus, le Buthus et le Leiurus qui sont tous malheureusement présents au Tchad.

Comment savez-vous que ces espèces hautement toxiques sont au Tchad ?

Depuis plus de quinze (15) ans, l’identification des scorpions du Sahara tchadien nous a fort préoccupé. D’abord une première image d’un scorpion capturé dans la ville de Fada a été envoyée en France à un éleveur de scorpions qui nous l’a identifié comme étant le Leiurus quinquestriatus, appelé par les anglo-saxons « Death talker », « semeur de la mort » ou « rodeur de la mort ».

Ensuite j’ai envoyé en 2013 une vingtaine de scorpions en Tunisie, au Centre des Animaux venimeux de Souskra pour identification.

Cette étude nous a révélé qu’il s’agit des espèces Androctonus amoreuxi, Leiurus quinquestriatus et le Pandinus impérator. Ce dernier, le Pandinus imperator est le plus grand scorpion connu et vivant dans les forêts tropicales mais sa découverte dans l’Ennedi n’est que le reflet de cette région qui garde encore les reliques des animaux et végétaux des temps passés d’où l’existence des crocodiles à Archey, de l’eucalyptus nain à Bachikélé mais dont les congénères sont dans la forêt de Douala, la capture d’un pangolin en 1958 par les ouvriers de la compagnie GEPROSCO à l’oued Chily dans le Mortcha alors que cet insectivore des forêts tropicales n’était pas sensé être dans cette zone plus ou moins aride.

Récemment en 2017, lors d’une mission de Paludisme, j’ai eu à capturer plusieurs scorpions dans les environs de Fada, d’Amdjarass, de Kalaït, de Keoura et de Torboul : la majorité des scorpions sont soit des Androctonus australis soit des leiurus quinquestriatus. Ces deux espèces ont un venin très toxique, coté 4/4 sur l’échelle mesurant la toxicité de ces poisons constitués de polypepetides.

Quels sont les signes d’une envenimation ? Comment prendre en charge, médicalement un envenimé par scorpion ?

Sur les 2.000 à 3.000 piqûres de scorpion rapportées annuellement dans nos régions sahariennes, les manifestations cliniques se limitent dans plus de 90 % des cas à une simple douleur localisée à l’endroit de la piqûre.

Dans le restant des cas, on observe des manifestations d’envenimement systémique, dominées par les troubles digestifs (vomissements, ballonnement abdominal), l’hyperthermie, l’hypersudation, soit des manifestations nécessitant tout au plus l’observation et un traitement symptomatique aux urgences. Dans moins de 1 % de l’ensemble des piqûres de scorpion, surviennent des perturbations cardio-respiratoires mettant en jeu le pronostic vital. Ces manifestations correspondent à une insuffisance cardiaque aiguë se déclinant sous forme d’état de choc et/ou œdème pulmonaire aigu.

L’introduction par le Ministère de la Santé du sérum antiscorpionique au Nord en janvier 2015 a réduit significativement la mortalité. Par exemple de 50 cas décès en 2013-2014, l’on a enregistré seulement 8 décès en 2015 avec l’utilisation du sérum, disponible et gratuit.

La prise en charge consiste à calmer le malade, à évaluer rapidement le stade d’envenimation (il existe trois stades d’envenimation), puis calmer la douleur par la glace ou par le paracetamol. Convoyer le patient vers l’hôpital si la situation s’aggrave. Le sérum est donné en perfusion et peut être renouvelé si besoin mais il faut toujours administrer ce sérum dans une période n’excédant pas deux (2) heures après la piqûre. Un sérum reçu tardivement n’est pas efficace car le venin aura déjà été fixé sur les organes de sa nuisance.

Tous les traitements traditionnels actuellement utilisés sont inutiles voire dangereux pour les patients :
  • l’eau de javel : c’est une méthode empirique tentée au Maroc et vulgarisée récemment au Tchad mais c’est inutile et le javel est toxique pour l’homme si mal dilué ;
  • la « pierre noire » : pure croyance en un placebo inutile. Mais si la pierre calme simplement l’envenimé dans son agitation, tant mieux. Juste un effet psychologique mais pas du tout curatif car cette fameuse pierre n’aspire nullement le venin déjà dans la circulation sanguine de la victime ;
  • le garrot est également inefficace et dangereux. Un membre, bras ou jambe garrottés peuvent être ischémiés et donc amputés à cause d’un garrot ;
  • les scarifications du site de piqûre : c’est aussi inutile. Le venin migre et se répand dans le corps très rapidement. Une scarification peut au contrairement faire entrer le venin égaré en sous-cutané dans la circulation générale et aggraver la situation de l’envenimé. Les scarifications, si faites dans des conditions douteuses, peuvent occasionner d’autres infections voire le tétanos qui est une maladie redoutable ;
  • les décoctions de plantes et des herbes : dangereuses pour le foie et les reins ;
  • le pétrole, l’essence, le lait caillé, la chair séchée de fouette-queue ou uromastyx, les décoctions des plantes, le sel gemme rouge de Ouadi-Doum, tous ces panacées de grands-mères sont inutiles voire dangereux. Un malade gravement envenimé doit reste à jeun pendant 8 12 heures de temps pour lui éviter un syndrome de Mendelson. En effet un estomac rempli peut refluer et le liquide de reflux peut aller dans les poumons d’un envenimé en détresse vitale, d’où la mort.
Est-ce qu’on peut dire que la situation de l’envenimation est maitrisée sur le plan sanitaire au Nord du Tchad ?

Non ! Je ne peux mentir à l’opinion qu’il y a une situation maitrisée en ce qui concerne l’envenimation dans nos régions sahariennes. D’ailleurs les piqûres de scorpions demeurent un réel problème de santé publique et l’introduction des sérums antiscorpionique (S.A.S) seule ne suffit pas à juguler le problème.

Il faut tout un plan de suivi et un programme qui va manager la lutte contre ce fléau qui tue de nombreux jeunes enfants.

D’ailleurs les sérums sont parfois détournés et vendus à la population par des mains cupides. Il n’y a aucun contrôle sur ces sérums après leurs sorties de la direction de la gratuité qui les commande et qui les repartit de façon aléatoire voire sans réelle compréhension.

En plus l’efficacité, la conservation et le bon usage de ces sérums n’ont jamais été étudiés et on navigue à vue.

Il faut aussi instaurer dans les hôpitaux du Nord des unités de réanimation pour récupérer les enfants gravement envenimés. Les mesures de réanimation permettent de réduire drastiquement le taux de mortalité.

Pourtant il n’existe ni respiratoire, ni charriot d’urgence, ni médicaments de réanimations et ni extracteur d’oxygène dans nos hôpitaux de district du Tchad. Alors comment tenir en vie un enfant en coma profond suite à une envenimation ? Au Tchad, tous les hôpitaux et les praticiens s’en foutent de la réanimation et de nos jours presque aucun hôpital ne dispose de l’expertise et des moyens de réanimation. Les services de réanimation de nos hôpitaux sont devenus des mouroirs parce qu’il n’existe pas les bons gestes et les bonnes drogues de réanimation.

Votre dernier mot, Docteur ?

Je l’ai déjà dit, le scorpionisme est un véritable problème de santé publique dans nos oasis. Aujourd'hui, l’expertise existe mais les moyens ne suivent pas. Il manque une réelle prise des décisions en la matière. Je suggère la création d’un programme d’envenimation par morsure de serpents et par piqûre de scorpions, programme doté des moyens pour sauver des vies. Dans les régions de l’Ennedi-Ouest, de l’Ennedi-Est et du Borkou, de nombreux enfants y meurent et c’est inacceptable. Dans un pays, il faut de l’équité dans les services et tout doit se décider en fonction des problèmes de santé de chaque région. Les ressources de l’Etat doivent être équitablement réparties et dans la transparence, en tenant compte des spécificités de chaque région. Si des milliards sont injectés au Sud pour des maladies tropicales connues, il en faut autant pour lutter contre le scorpionisme dans le Nord. Et c’est une question d’équité et de transparence !

Je recommande par ailleurs à la population vivant dans les zones infestées de scorpions de faire recours aux structures de soins et de ne jamais appliquer des traitements traditionnels qui sont souvent dangereux.

Je vous annonce par ailleurs que les résultats de cette lutte seront publiés bientôt dans le cadre de nos recherches.

Propos recueillis par Djimet Wiche.



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