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INTERNATIONAL

Assistance internationale au Mali : un cadre stratégique pour l’action


Alwihda Info | Par Adil Abou - 4 Novembre 2013


La combinaison des deux dimensions de la faillite précédemment évoquées aboutit logiquement à une faillite de la légitimité de l’État dont la manifestation est, au nord et particulièrement chez les Touareg, à l’origine du sentiment « […] d’abandon et de relégation économique d’une partie des populations nomades qui conduit […] à percevoir l’État malien comme une “entité extérieure” » .


L’argument principalement défendu par cette contribution est l’inadéquation entre, d’une part, l’approche strictement politico-sécuritaire privilégiée par le Conseil de Sécurité des Nations Unies (CSNU) pour les fins de la Mission Multidimensionnelle Intégrée des Nations Unies pour la Stabilisation du Mali (MINUSMA) et, d’autre part, la profondeur des problèmes auxquels le Mali est confronté. L’analyse souligne incidemment la nécessité d’une stratégie d’intervention résolue à agir sur les causes profondes de la situation, transcendant par définition ses manifestations politique et sécuritaire afin de créer les conditions d’émergence d’un Mali stable et viable à terme. L’étude des dispositions de la résolution 2100 (2013) relatives à la MINUSMA vise, dans un premier temps, tant à circonscrire le mandat de la Mission qu’à souligner le caractère restreint de l’approche du CSNU (Partie 1). L’examen de la situation malienne à travers le prisme de la fragilité étatique permettra ensuite d’établir que l’effondrement politique et sécuritaire du Mali a pour cause profonde la défaillance de la gouvernance du pays et fournira, dans le même temps, les éléments de conceptualisation devant articuler toute stratégie d’intervention se voulant efficace (Partie 2). Il s’agira enfin de fixer les grandes orientations d’une stratégie holistique d’assistance du Mali axée sur la refondation de la gouvernance de l’État (Partie 3). LE MANDAT DE LA MINUSMA : UNE APPROCHE POLITO-SÉCURITAIRE LIMITÉE L’analyse des dispositions de la résolution 2100 (2013) du CSNU relatives au mandat de la MINUSMA met en lumière deux grands domaines d’action: Processus politiques : La MINUSMA doit soutenir (I) le processus politique et les efforts de mise en œuvre de la feuille de route pour la transition du 29 janvier 2013, notamment en ce qui a trait au processus électoral à venir pour les législatives; (II) soutenir le processus de paix, (i) en favorisant le dialogue politique inclusif et la réconciliation nationale, notamment par la facilitation des travaux de la Commission Dialogue et Réconciliation (CDR) et (ii) par son concours à la traduction en justice des auteurs de crime de guerre d’une part, et la surveillance aux fins de défense et promotion des droits de l’homme d’autre part. Sécurité : La MINUSMA doit (I) contribuer à la sécurisation du nord Mali par (i) la stabilisation des principales agglomérations en collaboration avec les autorités maliennes (et notamment empêcher le retour des éléments armés qui en ont/auront été chassés) et (ii) par le retour de l’administration dans les zones stabilisées; (II) contribuer, en collaboration avec les autorités maliennes, à l’établissement de conditions favorables à l’acheminement sécuritaire de l’aide humanitaire; (III) protéger les civils dans ses zones de déploiement, les sites culturels et historiques du pays d’une part ainsi que le matériel des Nations Unies, son personnel et sa liberté de circulation d’autre part; (IV) concourir aux efforts des autorités maliennes et des partenaires internationaux en matière de réforme du secteur de la sécurité et de désarmement, démobilisation et réintégration des groupes rebelles et milices d’autodéfense. Dans l’exécution et la mise en œuvre des trois premiers objectifs précités, la MINUSMA pourra « […] user de tous les moyens nécessaires, dans la limite de ses capacités et dans ses zones de déploiement » et bénéficier du soutien de l’armée française « […] en cas de danger grave et imminent à la demande du Secrétaire général […] » . Ces prérogatives et pouvoirs sont somme toute importants, particulièrement en ce qui a trait à l’engagement militaire. Ils demeurent toutefois restreints au vu de la profondeur des problèmes auxquels le Mali – État failli à plusieurs égards – est confronté. La stratégie d’intervention du CSNU semble en effet procéder d’un diagnostic strictement politico-sécuritaire de la situation malienne et soustrait de ce fait un volet pourtant crucial d’assistance en matière de gouvernance économique et politique aux attributions de la MINUSMA. Le choix de cette approche interpelle d’autant plus que le CSNU n’est pas étranger aux problèmes de gouvernance du Mali puisque, bien qu’adoptée subséquemment à la résolution 2100 (2013), la stratégie intégrée pour le Sahel du Secrétaire général des Nations Unies (SGNU) identifie un certain nombre d’objectifs stratégiques complémentaires, dont celui de la « gouvernance efficace » . On peut donc se demander si, en l’état, le mandat de la MINUSMA ne constitue pas la première étape d’une stratégie en deux temps (consistant initialement en la stabilisation du Mali et en la réhabilitation de son État dans une phase ultérieure) ou s’il n’a pas vocation à être complété par la mise en œuvre en parallèle de la stratégie intégrée du SGNU. On ne peut non plus écarter des contraintes d’ordre financier et/ou politique résultant par exemple des réticences de certains de ses membres vis-à-vis d’un mandat trop large, sur une durée trop importante. En tout état de cause, l’émergence d’un Mali stable et viable à terme est tributaire d’une stratégie d’intervention internationale sans exclusive (3) et formulée sur la base d’un examen holistique des défis auxquels le pays est confronté, transcendant par définition les dimensions politique et sécuritaire de sa situation (2). ÉLARGISSEMENT ET CONCEPTUALISATION DU CADRE STRATÉGIQUE DE L’INTERVENTION Les dimensions sécuritaire et politique de la crise malienne en sont indéniablement les aspects les plus spectaculaires. Elles doivent cependant être appréhendées comme les signes de processus plus profonds ayant, à l’occasion des évènements déclenchés en janvier 2012, atteint un point de rupture. Aussi l’examen du contexte d’intervention entrepris ici sert-il deux objectifs : (i) la mise en évidence des causes profondes de l’effondrement de l’État malien et (ii) la conceptualisation des éléments devant articuler notre stratégie holistique d’intervention. Un système de crises L’analyse du contexte d’intervention met en évidence qu’à son paroxysme, la crise malienne concentrait un enchevêtrement de crises, chacune dotée d’une logique propre mais non mutuellement exclusives: (i) la rébellion targuie débutée en janvier 2012, dernier avatar d’un irrédentisme historique, exacerbé par l’afflux de combattants et d’armes sophistiquées en provenance de Libye; (ii) les extrémismes international et local se revendiquant de l’Islam, respectivement incarnés par Al Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI) et le Mouvement pour l’Unicité du Jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) d’une part et Ansar Dine d’autre part; (iii) la présence de réseaux criminels transnationaux; (iv) la déliquescence des forces de défense et de sécurité; et (v) la crise politico-institutionnelle subséquente au coup d’État du 22 mars 2012, qui marque un point de rupture dans le processus de défaillance de la gouvernance politique du pays. Le caractère pluriel et multiforme de la menace observée au Mali s’inscrit donc comme l’expression de la « […] concentr[ation] [de] tout un système de [crises] […] qui, à la moindre étincelle [en l’occurrence, la situation sécuritaire en Libye], […] [est susceptible de provoquer une réaction] en chaine » . L’interconnexion des crises Ce « système de crises » est, par définition, caractérisé par l’interaction permanente de ses sous-ensembles, la conclusion opérationnelle à retenir à cet égard étant la difficulté, voire l’impossibilité de traiter efficacement les problématiques qui le constituent de façon isolée. Si l’on s’en tient aux problématiques de la criminalité organisée et du terrorisme par exemple, il importe de bien observer les interactions suivantes : (i) du fait de la précarité de leurs conditions, les populations du septentrion malien ont développé des stratégies de survie consistant à tirer profit des retombées économiques des trafics divers, notamment de celui de stupéfiants; (ii) les réseaux criminels tirent quant à eux une rente stratégique de la vulnérabilité socioéconomique des populations locales, mettant notamment à contribution leur parfaite connaissance de l’environnement désertique et des routes secondaires pour l’acheminement des marchandises; (iii) ces trafics constituent par ailleurs une source de financement pour AQMI qui, contre rémunération, offre ses services de protection des « caravanes » au cours de leur transit dans le septentrion malien; (iv) ces revenus dérivés du trafic intègrent les sommes réinvesties par AQMI dans le cadre sa stratégie d’enracinement local, via le recrutement d’une part et sa substitution à la puissance publique (par le biais de protections et de prestations d’aides sociales) d’autre part; (v) depuis Bamako, certains gradés maliens et autres agents de l’État participent à divers degrés aux trafics et par là même, à la perpétuation de l’absence d’État de droit au nord Mali. La triple faillite de l’État La conjonction et l’interaction permanente de ces facteurs d’insécurité demandent néanmoins à être transposées en des catégories opérantes. Envisagées sous le prisme de la fragilité étatique, elles traduisent une triple faillite de l’État malien, à savoir en matière (i) de prestation de services critiques, (ii) d’autorité de l’État et (iii) de légitimité de l’État. Faillite dans la prestation de services critiques Le Mali s’inscrit pleinement dans une situation où « […] the state fails to ensure that all citizens have access to basic services […] » . Ce dernier connaît en effet « […] un indice de développement humain de 0,359 (2011), […] [et] occupe la 175e place sur 187. Il accuse un très grand retard en matière d’éducation (durée moyenne de scolarisation en 2011 : 2 ans) et de santé (espérance de vie à la naissance en 2011 : 51,4 ans). […] Le pays dépend en grande partie de l’aide extérieure. D’un montant d’environ 1,2 milliards de dollars, selon la Banque mondiale, elle couvre 40% du budget et finance 70% des investissements publics » . Cette réalité est d’autant plus flagrante au nord du pays où la rudesse et l’hostilité du climat désertique laissent les populations (pastorales et nomades) particulièrement vulnérables aux aléas du sous-développement. Cette faillite socioéconomique de l’État malien est doublement génératrice d’insécurité. D’abord en ce qu’elle constitue l’une des causes principales des rébellions ayant ponctué l’histoire du pays depuis son accession à l’indépendance en 1960, celles-ci étant largement analysées comme les manifestations périodiques d’un problème de sous-développement chronique . Mais aussi en ce qu’elle entretient un environnement fertile, propice à l’« adhérence » des trafics et à l’enracinement des groupes terroristes. Faillite de l’autorité de l’État La situation malienne est également marquée par une faillite de l’autorité de l’État, illustrée par le fait que «[…] [t]he state authority does not extend to a significant portion of the country […][and] [t]here are very high levels of criminality with almost no state action to control it […]» . Deux raisons principales peuvent être avancées ici. La première à l’effet que les forces de défense et de sécurité maliennes (FDSM) enregistrent un fort handicap technique et matériel: (i) la lutte contre le terrorisme et les réseaux criminels requiert d’importantes capacités de surveillance (aérienne en particulier, compte tenu de l’étendue du territoire à couvrir et de la porosité des frontières) dont les forces maliennes ne disposent ni en quantité ni en qualité suffisantes; (ii) l’efficacité de l’armée, majoritairement composée de sudistes qui « […] perdent de [de ce fait] beaucoup de leur efficacité dans un milieu auquel ils ne sont pas habitués » est tributaire de l’allégeance des touareg, combattants rompus au combat en milieu désertique. Le deuxième facteur d’explication a trait à la gouvernance de l’armée et couvre une série de problèmes qui empêchent un fonctionnement régulier et optimal de l’institution, dont : (i) la politisation du corps (nominations arbitraires tributaires du pouvoir politique à Bamako au détriment du mérite comme critère d’accès et de promotion); (ii) le factionnalisme (au sud, favoritisme et compétition entre bérets « rouges » et bérets « verts » notamment sur les questions d’accès aux équipements de pointe et d’envoi au front; clanisme au nord); (iii) les pratiques de corruption (revente du matériel, participation aux divers trafics, y compris de drogue); (iii) précarité de l’enrôlement (soldes faibles, fréquemment impayés); (iv) discipline et inadéquation de la formation au respect des droits de l’homme. Faillite de la légitimité de l’État La combinaison des deux dimensions de la faillite précédemment évoquées aboutit logiquement à une faillite de la légitimité de l’État dont la manifestation est, au nord et particulièrement chez les Touareg, à l’origine du sentiment « […] d’abandon et de relégation économique d’une partie des populations nomades qui conduit […] à percevoir l’État malien comme une “entité extérieure” » . Du reste, si le pays affichait d’excellents résultats en termes d’exercice démocratique avant le coup d’État de mars 2012 et jouissait d’un statut de modèle régional en la matière, une distinction cruciale doit être faite entre la « mécanique » du processus démocratique (incarnée par la tenue d’élections) d’une part et les dividendes escomptés de la démocratie (tels que la sécurité humaine, les résultats économiques, la lutte contre la corruption etc.) d’autre part. L’analyse de la situation malienne en de tels termes révèle à suffisance la perte de légitimité des institutions, qui s’illustre notamment par la défiance « […] de la population vis-à-vis du monde politique sur les thèmes de l’insécurité alimentaire ou […] du maintien à un prix abordable des produits de première nécessité, de la gestion de l’économie ou encore de la lutte contre la corruption » . L’épicentre de la fragilité sahélienne Il importe enfin de (re)situer le pays dans sa matrice régionale : la région du Sahel. En effet, réunissant la Mauritanie, le Niger et le Burkina Faso et le Mali (pour ce qui est de sa partie occidentale), « […] le Sahel est aux prises avec des problèmes aigus de développement et de graves difficultés humanitaires. Le développement humain de la région est parmi les plus faibles au monde » . Le phénomène de fragilité étatique que l’on y observe à divers degrés se traduit par (i) une faible présence étatique contrastant avec des territoires étendus et (ii) la porosité des frontières. La concentration des trois dimensions de la faillite précédemment mises en évidence fait toutefois du nord Mali l’« […] épicentre de la fragilité sahélienne » . En définitive, les faillites de l’État malien en matière de prestation de services critiques, d’autorité et de légitimité participent, ensemble, d’une faillite générale de la gouvernance. Dénominateur commun au système de crises précédemment évoqué, cette faillite de la gouvernance de l’État malien constitue la cause profonde de son effondrement et fonde, à ce titre, la stratégie d’intervention internationale proposée ici. Qui plus est, si la vulnérabilité particulière du nord Mali constitue une menace supplémentaire pour les fragiles équilibres du Sahel, elle indique surtout qu’une stratégie viable d’assistance au Mali dans la refondation de la gouvernance de l’État devra nécessairement intégrer une dimension régionale. Ainsi conceptualisée, la situation au Mali milite en faveur d’une action en profondeur, intégrant la dimension politico-sécuritaire sans toutefois s’y limiter. ROP



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