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« Deux mandats et c’est terminé »


Alwihda Info | Par Le Témoin - 3 Novembre 2014



La Chronique de DMF

Le Printemps démocratique est en train de fleurir les artères de la capitale Ouagadougou et de Bobo Dioulasso, la deuxième ville du pays des hommes intègres. Cela tombe bien car cela va dépoussiérer un peu les toiles d’araignée dans lesquelles les dinosaures brodent le Burkina Faso depuis 27 ans. Cette brise de fraîcheur était la bienvenue dans la chaude journée d’émeutes d’hier, marquée par l’incendie de l’Assemblée nationale qui s’apprêtait à voter une loi scélérate et par le saccage de la télévision nationale qui comme dans beaucoup de monarchies républicaines en Afrique est la voix de son maître. Même si on peut déplorer l’usage de la force par les manifestants et une mort d’homme constatée par le reporter de l’AFP, quel réconfort de savoir qu’au Burkina Faso aussi, quand on refuse on dit non !
Dans cette ancienne colonie française de la Haute-Volta devenue indépendante en 1960, les coups d’état militaires sont devenus récurrents dès les premières années du Président Herbert Yaméogo. A partir de 1965, après des manifestations suivies de l’avènement du lieutenant colonel Sangoulé Lamizana, l’armée prend définitivement le pouvoir en 1974 en prétextant une crise politique. L’ancien militaire Lamizana est élu président de la République en 1978 avant d’être renversé en 1980 par le colonel Zerbo, qui lui-même sera déposé en 1982 par un putsch du médecin-commandant Jean-Baptiste Ouédraogo qui devient président. L’année 1983 ne sera pas de tout repos non plus. Thomas Sankara devient Premier Ministre en Janvier, est arrêté en Mai et en Août il revient aux affaires après un autre coup d’état qui renverse le régime Ouédraogo et amorce la révolution démocratique et populaire menée par le duo Sankara-Compaoré.
Vingt-quatre ans après son indépendance la Haute-Volta devient le Burkina Faso sous la houlette de Thomas Sankara. La malédiction du coup d’état frappe encore en 1987. Cette fois c’est l’ami Compaoré qui renverse son frère d’armes Sankara et s’en débarrasse en le faisant tuer. En 1991, la IVème République est instaurée et Blaise Compaoré est élu président et est toujours réélu depuis lors avec des scores soviétiques. Après deux septennats (1992-2005) et deux quinquennats (2005-2015), les populations Burkinabé descendent dans la rue pour empêcher le président à vie de faire voter un amendement lui permettant d’être de nouveau candidat. Rappelons que l’article 37 de la loi fondamentale avait été déjà retouché en 1997 et en 2000 pour lui permettre de se maintenir au pouvoir.
Pour le régime en place, c’est la crise la plus grave depuis les mutineries de 2011 qui avaient fait trembler le pouvoir. Si les manifestations de ce genre sont rares en Afrique subsaharienne, on ne peut s’empêcher d’y voir une ou plusieurs similitudes avec la situation politique pré-électorale du Sénégal du 23 Juin 2011. En pleine tourmente, le gouvernement Burkinabé a annoncé à la mi-journée avoir annulé le vote du projet de révision constitutionnelle qui a mis le feu aux poudres et appelé au calme et à la retenue. De son côté, la présidence a publié un communiqué décrétant l’état d’urgence sur l’ensemble du territoire national et la dissolution du gouvernement. Las ! L’affrontement perdure et els manifestants demandent la tête de Compaoré. Alors qu’au Sénégal, si le projet de loi permettant au futur président d’être élu par seulement un quart des électeurs avait été retiré dès que les populations avaient massivement investi plus ou moins pacifiquement la rue, la contestation avait faibli dès que les Sénégalais avaient eu la garantie que le Président Wade ne se ferait pas succéder par un dauphin constitutionnel caché qu’ils soupçonnaient d’être son fils. Le fonctionnement correct des institutions et une longue tradition de libertés démocratiques ont mis fin pacifiquement au cycle de dangers un an plus tard avec la tenue des élections présidentielles qui ont chassé Wade du pouvoir. Et contrairement au Burkina, au Sénégal, l’ère des scores soviétiques est révolue depuis longtemps, le président élu se contente d’un peu plus de la majorité qualifiée.
Mais au Burkina Faso, l’un des hommes forts de l’Afrique de l’Ouest ne semble pas avoir pris en compte l’exaspération démocratique des 17 millions d’habitants dont 60% ont moins de 25 ans et n’ont jamais connu d’autre dirigeant que lui. Ni le fait que le stable Burkina Faso joue un rôle incontournable dans l’instable zone sahélienne en prise avec les menées subversives des groupes djihadistes liés à Al-Qaïda. Selon le militant de gauche Ababacar Fall-Barros, « le peuple Burkinabé s’est soulevé contre une dictature de 27 ans, faite d’assassinats, de prévarication et de mensonges. Jamais dans l’histoire du monde, on n’a pas vu un peuple se soulever, parce que son roi ou son gouvernement a développé l’agriculture, construit beaucoup d’écoles, d’universités, de dispensaires et d’hôpitaux. Si la gouvernance de Blaise était ponctuée par des résultats bénéfiques pour son peuple, il aurait même pu obtenir 100 mandats, sans objection de la part des burkinabé ». Dans la région francophone, le chef de l’Etat Burkinabé partage ce triste privilège avec quatre autres collègues qui préparent ou envisagent des révisions constitutionnelles similaires en vue de se maintenir au pouvoir : Denis Sassou Nguesso du Congo Brazzaville, Pierre Nkurunziza du Burundi, Laurent Désiré Kabila du Congo Kinshasa et Thomas Yayi Boni du Bénin. Cependant le procédé est un classique qui a été déjà utilisé par huit pays africains ces dernières années.
Si Compaoré comptait sur les forces françaises présentes au Sahel dans le cadre des opérations Serval puis Barkhane pour lui venir en aide, c’est raté car elles sont trop occupées par l’extrême complexité de leur mission. Cette neutralité de Paris montre aussi qu’une page se tourne en Afrique sur la capacité de la France à soutenir des dictateurs contre un partage intéressé de l’uranium, de l’or, du pétrole, et autres ressources précieuses. Quant aux Etats-Unis, ils ont réaffirmé le 14 Octobre dernier par la voix de leur Secrétaire d’Etat Adjointe aux Affaires Africaines Linda Thomas-Greenfield, la doctrine américaine authentifiée par le Président Obama début Aout 2014 devant 50 chefs d’Etat lors du Sommet américano-africain de Washington : « deux mandats et c’est terminé ». Si le président Obama et les dirigeants africains avaient discuté durant trois jours des stratégies pour stimuler la croissance économique, créer des opportunités et soutenir un environnement favorable pour les générations actuelles et futures de l'Afrique, la démocratie et la bonne gouvernance étaient un élément central de ces discussions.
La grande majorité des Africains veulent plus de démocratie, des élections libres et équitables comme le préconise en outre la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance. Selon l'Afrobaromètre, qui est l'étalon-or pour les sondages d'opinion indépendants en Afrique, 84% des Africains veulent des élections libres et équitables, 77% rejettent un régime de parti, 72% croient que la démocratie est préférable à tout autre système de gouvernance, 74% des Africains, représentant les trois quarts des hommes et des femmes vivant sur le continent, ne veulent pas que leur président puisse exercer plus de deux mandats consécutifs. Ces données ne sont pas abstraites, mais sont des chiffres accablants et puissants qui reflètent les opinions de millions d’Africains. Dans ce contexte de forte exigence démocratique, la limitation des mandats présidentiels est essentielle.
La limitation constitutionnelle des mandats à deux prévoit naturellement un mécanisme pour rendre les dirigeants responsables dans la reddition des comptes, pour réduire la tendance à la corruption en veillant à un turnover politique, et pour donner aux nouvelles générations l’opportunité de concourir aux postes politiques et de se choisir de nouveaux dirigeants. La durée du mandat est également importante parce que "l'Afrique n'a pas besoin d'hommes forts, mais d’institutions fortes" (Président Obama, Ghana, 2009).
Quatorze élections présidentielles sont prévues en Afrique d'ici à la fin de 2016, y compris dans les pays où la limitation des mandats présidentiels est déjà profondément inscrite dans l’Adn politique. Pourtant comme au Burkina, la limitation de durée des mandats y est menacée. Les changements de constitution et l'élimination de la limitation des mandats réduisent la confiance des peuples dans leurs institutions, affaiblit la gouvernance globale, et ne sert que les intérêts de la personne ou du parti au pouvoir. Dans les systèmes démocratiques, des leaders forts respectent les constitutions, se rangent de côté lorsque leur mandat finit et soutiennent la tenue d’élections libres et équitables.
DMF
« Le Témoin » quotidien sénégalais ( novembre 2014)





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