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REPORTAGE

Soudan: Khalil Ibrahim, le Darfouri qui a porté la guerre à Khartoum


Alwihda Info | Par - ҖЭBIЯ - - 8 Juillet 2008


Les rebelles tchadiens attaquaient N'Djamena en février ? Le JEM se précipitait à Khartoum en mai. Dans les deux capitales où les pétrodollars servent à cette guerre de proximité par procuration, on dresse des défenses, et on prépare le coup suivant. Jusqu'à quand ? Comme soudainement épuisé, Khalil Ibrahim se livre à cette énigmatique confidence : "Je voulais mourir à Khartoum."


Soudan: Khalil Ibrahim, le Darfouri qui a porté la guerre à Khartoum

Par Jean-Philippe Rémy

Pour le pouvoir soudanais, s'il est un homme à abattre, le voici. Le Dr Khalil Ibrahim, assis en tailleur sous un arbre au milieu de nulle part, le long d'une frontière jamais tracée entre Tchad et Soudan, est héroïque, dangereux, ou fou à lier, selon le point de vue. En mai, avec ses hommes du Mouvement pour la justice et l'égalité (JEM), groupe rebelle du Darfour, il lançait une opération suicidaire, baptisée "Bras long". En partant de cette région, les rebelles ont parcouru 1 600 kilomètres pied au plancher en pick-up pour atteindre Khartoum, la capitale soudanaise hérissée de bases militaires, réputée inatteignable, inattaquable, inexpugnable.

Contre toute attente, Khalil Ibrahim s'est retiré de Khartoum, en vie, au bout de soixante-douze heures de combats furieux, après avoir échappé à une chasse à l'homme assortie d'une récompense d'un quart de million de dollars, et a fait le chemin en sens inverse sans se faire tuer. Pour le JEM, le bilan était lourd, mais le "docteur Khalil" triomphait. Il venait de porter la guerre du Darfour dans la capitale soudanaise. A présent, il se promet de recommencer dès que possible.

A l'autre bout du tapis synthétique chinois, dans le campement du jour, s'aligne l'état-major du JEM. Mêmes postures attentives, mêmes résistance à la chaleur et aux irritantes petites mouches piquantes. Ils avaient pris la décision d'attaquer Khartoum en octobre 2007. Sept mois plus tard, Khalil Ibrahim menait à partir de cette région les pick-up couverts de peinture kaki camouflage jusqu'aux phares, armes lourdes dissimulées sous des housses, pour filer en zigzag jusqu'à la capitale. "Il nous a fallu sept jours, sans pouvoir faire de feu. Nous avons subi sept attaques aériennes, mais nous avancions en changeant constamment de direction. On a payé les chameliers pour nous montrer les routes où l'armée ne s'aventure jamais", raconte, rêveur, Khalil Ibrahim.

Une partie de la colonne a emprunté la route du Nord, dans le désert, s'aventurant même en Egypte. D'autres se sont dispersés, avant de se regrouper aux alentours de la capitale dans un ravin encaissé qui leur a permis de tenir face aux bombardements aériens, avant d'attaquer brusquement le 10 mai, après avoir pris une base aérienne, détruit des appareils au sol et saisi du matériel. A 15 heures, ils entraient dans les faubourgs d'Omdourman, cité-jumelle de Khartoum, accueillis par des vivats, des fruits, et les premiers tirs. La progression des pick-up, ralentie d'abord par des embouteillages monstres causés par la panique et les salves d'armes lourdes, allait être bloquée au passage crucial des ponts qui enjambent le Nil.

Face à eux se dressait la résistance des milices des services de sécurité, tandis qu'une grande partie de l'armée demeurait passive. Le JEM comptait sur des ralliements d'officiers, et sur une insurrection populaire, pour déboulonner le régime. A la nuit tombée, ces espérances s'évanouissaient. "Nous avons démontré que le pouvoir soudanais, qui terrorise la communauté internationale, n'est qu'un tigre de papier", se console Khalil Ibrahim, qui ajoute : "Se battre au Darfour est inutile. La seule chance de guérir ce grand corps malade qu'est le Soudan est d'en extirper sa tumeur, le gouvernement. J'appelle toutes les régions marginalisées par Khartoum, à l'est, au nord, au Kordofan Etats séparant la capitale du Darfour à nous rejoindre pour attaquer !"

En portant la guerre dans la capitale, il a déjà défié un régime que la violence n'effraie pas, dictature militaire oscillant entre fondamentalisme d'inspiration locale et soif d'enrichissement à tout prix, le tout dans le plus grand pays d'Afrique, cinq fois la superficie de la France, un climat impossible et un sous-sol où se niche un Pérou de pétrole à peine exploité, que le monde entier s'arrache déjà. Pendant un quart de siècle, le pouvoir nordiste a été en guerre avec le Soudan sud. Deux millions de morts. Depuis 2003, c'est le Darfour qui est en feu. Jusqu'ici, sans dommage pour la capitale, tendance que Khalil Ibrahim se fait fort d'inverser : "A Khartoum, ils vivent dans la terreur. Je veux que le JEM leur donne des cauchemars."

A l'appui de ces formules, les préparatifs de la rébellion battent leur plein. Dans le labyrinthe d'arbres secs couleur poussière du wadi (oued) Howa, où la visibilité n'excède pas quelques mètres, on se ferait renverser à la moindre inattention. Des pick-up passent en trombe, chargés d'armes anti-aériennes et de batteries d'orgues de Staline. Dans un grand fracas métallique, un semi-remorque cahote hors piste, amenant une montagne de fûts d'essence, suivi d'un camion citerne.

En quelques mois, leurs effectifs ont enflé. L'équipement, flambant neuf, s'est multiplié au même rythme. Pour la troupe, les camps de réfugiés darfouriens sont mis à contribution, de gré ou de force. Pour la logistique, on songe plutôt au Tchad. Après des hauts et des bas, le JEM est devenu l'assurance-vie du pouvoir du président Déby. Si le régime d'Idriss Déby devait être renversé, cette "porte" vers le monde extérieur, cette voie d'approvisionnement et cette base de recrutement se refermerait, les condamnant. Comme le pouvoir soudanais équipe des rebelles tchadiens pour renverser Idriss Déby, celui-ci fait appel aux rebelles du Darfour pour sa défense, voire pour attaquer. "On est bien obligés de défendre le régime tchadien pour éviter qu'il soit renversé", lâche Khalil Ibrahim. Malgré leurs différends, le JEM et le pouvoir tchadien sont liés par le pacte du danger que fait peser sur eux Khartoum, obligés de jouer ensemble la même partie de ping-pong meurtrier par-delà les frontières.

Les rebelles tchadiens attaquaient N'Djamena en février ? Le JEM se précipitait à Khartoum en mai. Dans les deux capitales où les pétrodollars servent à cette guerre de proximité par procuration, on dresse des défenses, et on prépare le coup suivant. Jusqu'à quand ? Comme soudainement épuisé, Khalil Ibrahim se livre à cette énigmatique confidence : "Je voulais mourir à Khartoum."

Jean-Philippe Rémy


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